Rapport annuel de la présidence 1960-1961

Jean-Jacques GAUTIER, président
21 novembre 1961

 

 Mesdames et Messieurs,

J’ai l’honneur, au nom de notre Comité, de vous souhaiter la bienvenue à la 73ème Assemblée générale de la Société académique. Je salue tout particulièrement M. le Conseiller d’Etat Alfred Borel, Président du Département de l’instruction publique, M. le Recteur Eric Martin, M. le Vice-recteur Jean Graven, MM. les doyens et les professeurs, le président de l’Association des anciens étudiants, les représentants des autorités cantonales et municipales, les membres du corps enseignant et de la presse. Leur présence à cette assemblée nous honore et nous assure de leur intérêt pour l’activité que nous poursuivons en faveur de notre Université.

C’est en outre pour moi un grand plaisir d’accueillir notre conférencier de ce soir ; le professeur Golay ne m’en voudra pas, je l’espère, de révéler ici qu’il est plus proche de trente que de quarante ans et qu’il est ainsi à ma connaissance le plus jeune conférencier présenté par notre Société depuis sa fondation. Sa carrière scientifique a été d’une rapidité que je qualifierai de météorique, s’il m’autorise à utiliser ce terme qui est de son ressort. Docteur en sciences mathématiques en 1954, M. Marcel Golay était nommé l’année suivante privat-docent pour l’astrophysique et suppléant du professeur Tiercy. Deux ans plus tard, il se voyait confier la direction de l’Observatoire et le titre de professeur extraordinaire d’astronomie et d’astrophysique. En 1958, il devenait professeur ordinaire ; il est actuellement président de la Commission nationale des recherches spatiales, président de la Société astronomique suisse, et vice-président du Groupe européen pour l’étude de la collaboration dans le domaine des recherches spatiales. Il vient de rentrer d’un voyage d’étude, je dirais presque d’une tournée d’inspection, qui l’a conduit dans une trentaine d’observatoires des Etats-Unis. Nul n’est donc plus qualifié que lui pour nous servir de guide au travers de ces espaces sidéraux dont les hommes ont rêvé pendant des millénaires et où ils expédient maintenant de véritables laboratoires.

Permettez-moi cependant de vous retenir encore quelques minutes sur cette terre. Votre comité vous doit des comptes sur son activité de l’année écoulée et je vous prie d’écouter maintenant notre rapport annuel.

En commençant celui-ci, j’ai le triste devoir d’évoquer ici le nom de nos sociétaires décédés au cours du récent exercice. Ce sont : Mesdemoiselles Alice Segond et Gertrude Biéler, Messieurs les professeurs Gottfried Bohnenblust et Edouard Paréjas, les docteurs Edouard Berchten, William Junet, Camille Jaccard et Théodore Reh, Messieurs René Jaccard, William Richard, Walter Sommer, Robert Bory, Ernest Chaponnière, Jean Turrettini, Louis Lacroix, Ludovic d’Arcys, Arnold Borloz, Guy de Budé et André Aubert.

Nous pensons avec émotion à ces fidèles collègues que la mort nous a enlevés et exprimons à leurs familles notre profonde sympathie.

Je désirerais évoquer plus particulièrement ici le souvenir de M. André Aubert.

Bien qu’attaché au monde anglo-saxon par des liens multiples, fils d’une Anglaise, marié à une Américaine, et domicilié aux Etats-Unis pendant les années qui ont précédé la première guerre mondiale, M. Aubert, issu d’une ancienne famille de notre cité, était avant tout un citoyen genevois et suisse. Rentré pour servir son pays à la mobilisation de 1914, il continua sa carrière à Genève, d’abord comme directeur du siège genevois d’une banque américaine, puis comme administrateur de la Société anonyme de Gestion et de Dépôt, enfin comme associé de MM. Lombard, Odier & Cie. Parallèlement, sa carrière militaire le conduisait au grade de colonel, et il fut commandant de la place de Genève pendant la dernière guerre. Tous ceux qui l’ont connu ont apprécié son caractère noble et loyal, son dévouement à ses amis et son attachement à sa cité.

Cet attachement, M. Aubert a voulu le manifester notamment par un legs de 50.000 francs à notre Société, dont il était membre depuis 1942. Avec l’accord de Mme Aubert, nous avons affecté cette somme à la création d’un Fonds André Aubert dont les revenus permettront d’attribuer des bourses d’étude ou de voyages aux étudiants, anciens étudiants et professeurs de notre Université. Le Fonds Aubert remplira donc des fonctions assez semblables à celles du Fonds Moriaud, ce dont nous nous félicitons grandement. En effet, les travaux et recherches que les universitaires entreprennent, bien souvent de leur propre chef, après avoir terminé leurs examens, prennent dans la vie académique et dans la vie des nations elles-mêmes une importance de plus en plus grande, si bien qu’on désigne maintenant couramment cette période d’activité post-universitaire par le nom de « troisième cycle ». Si les Fonds Birkigt et Firmenich nous permettent de favoriser ces travaux dans le domaine des sciences exactes, les revenus du Fonds Moriaud ne suffisent plus, à eux seuls, à répondre à toutes les demandes du même ordre dans le domaine des sciences morales. C’est dire que nous avons accueilli le legs de M. Aubert avec une profonde gratitude.

Cette gratitude s’adresse également à Mme Aubert dont nous n’ignorons pas la part qu’elle a prise à ce geste si généreux.

Comme chaque année, une partie importante des séances de notre Comité a été consacrée à l’examen des demandes de subventions qui nous sont parvenues. Les revenus de notre Fonds ordinaire nous ont permis de contribuer à l’équipement du laboratoire chromosomique des professeurs Franceschetti et Klein par l’achat, pour un montant de Fr. 10.5244,-, d’un photomicroscope Zeiss devenu indispensable pour les recherches actuelles de chromosomes.

En outre, nous avons attribué un montant de Fr. 750,- à la Faculté des lettres pour le déménagement de la bibliothèque du regretté professeur Bohnenblust acquise par l’Etat en faveur de la Faculté.

Enfin, nous avons accordé aux professeurs Posternak et Cherbuliez une subvention de Fr. 1.000,- pour le remplacement d’un compresseur utilisé journellement du laboratoire de chimie biologique et organique.

La Commission du Fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique a voté l’achat de divers ouvrages pour un montant de Fr. 3.786,-.

Le Fonds Gillet ordinaire a été grevé cette année de dépenses pour plus de Fr. 24.000 ,-. La plus importante demande provenait de la Faculté autonome de théologie. Celle-ci avait besoin d’un capital supplémentaire de Fr. 150.000,- pour que ses revenus puissent équilibrer les dépenses accrues résultant du développement de l’enseignement de la théologie. Le Fonds du IVe Centenaire ayant alloué la moitié de cette somme, et un donateur anonyme un montant de Fr. 50.000,-, il fallait encore trouver Fr. 25.000,-. Notre Société a donc accordé à la Faculté un montant de Fr. 15.000,-, sous réserve que Ia Fondation de la Faculté trouve elle-même les Fr. 10.000,- nécessaires à parfaire la somme. Ce montant est maintenant réuni et la Faculté de théologie peut aborder la nouvelle année universitaire avec des soucis financiers moins lancinants.

C’est par le Fonds Gillet également que nous avons versé un montant de Fr. 7.060,- pour le cours du professeur Rousset sur la civilisation du moyen âge, et un montant de Fr. 2.000,- au professeur Maystre pour l’organisation des conférences du Centre d’études orientales, dont l’intérêt n’est plus à démontrer.

Les revenus du Fonds Gillet voyages nous ont permis, comme précédemment, d’attribuer trois bourses de voyage de Fr. 1.000,- chacune aux titulaires des premières maturités, MM. Jean-Daniel Kaestli, Michel Herzschuch et Bernard Anet.

A la suite des dépenses importantes de l’exercice précédent, les ressources du Fonds Moriaud étaient limitées cette année, ce qui nous a obligés, hélas, à écarter plusieurs demandes intéressantes. Du moins sommes-nous certains que la somme relativement modeste de Fr. 1.500,- attribuée à M. Charles Grivel pour poursuivre ses études ethnologiques dans le bassin du Niger et celle de Fr. 550,- accordée à M. Aarberg, collaborateur du professeur Kellenberger, pour lui permettre de présenter une communication au congrès de biophysique de Copenhague, ont été très utilement employées.

Les revenus du Fonds Emile Plantamour, au montant de Fr 5.500,- ont permis de payer partiellement le voyage du professeur Golay aux Etats-Unis. Je suis heureux de penser que nos sociétaires vont en profiter indirectement dans quelques minutes.

Comme chaque année, nous avons participé, par le débit du Fonds « La Linnaea », et pour une somme de Fr. 6oo,-, aux frais d’entretien de notre station de botanique alpine à Bourg-Saint-Pierre.

Les revenus du Fonds pour l’Université nous ont permis de payer la note d’honoraires de Fr. 5.000,- de M. François Peyrot, architecte, qui a bien voulu étudier les transformations à apporter à l’actuel Museum d’Histoire naturelle pour qu’il puisse être mis à la disposition de l’Université dès que sera construit le nouveau Museum. Notre Société continue à s’occuper activement de ce problème qui figure à son ordre du jour depuis plus de 30 ans. Si nous sommes un peu inquiets de la lenteur de la nouvelle construction de Malagnou, nous saluons avec reconnaissance le geste bienveillant de la Ville de Genève, et singulièrement de M. le Conseiller administratif Bouffard, qui ont par avance libéré et mis à la disposition de l’Université dans l’enceinte de l’actuel Museum les locaux suffisants pour créer une salle de travail qui permettra, dans une quinzaine, d’accueillir près de 200 étudiants.

Le Fonds Birkigt nous a permis d’allouer Fr. 4.000,- à M. Maurice Stroun pour ses recherches sur les relations entre le milieu et l’hérédité, Fr. 4.000,- également à M. Alain Gallay pour les études d’ethnologie qu’il poursuit à Paris, Fr. 2.400,- à M. Félix Hunkeler pour continuer ses recherches sur la phosphorisation des acides cétoniques et Fr. 1.000,- à M. Jacques Deferne pour le transport et la préparation des échantillons de roches rapportés de l’Himalaya. Signalons à ce sujet que, grâce à la bonne volonté des équipes d’alpinistes suisses à l’Himalaya, et aux modestes subventions votées à quelques reprises par notre Société, notre Université possède actuellement la plus importante collection européenne d’échantillons géologiques himalayens, laquelle comprend un spécimen prélevé au sommet même de l’Everest.

Vous n’ignorez pas, Mesdames et Messieurs, que notre comité s’est préoccupé constamment du sort du nouvel Institut de physique dont la création en 1949 est due à l’initiative de notre Société, et dont les vicissitudes au cours des récentes années n’ont pas été sans nous causer de graves soucis. C’est avec une vive satisfaction que nous avons pu constater cette année que la réorganisation de l’Institut commençait à porter des fruits. Cela étant, nous avons pu de nouveau voter des subventions à prélever sur le Fonds pour l’Institut de physique. Ces allocations, de même que celles du Fonds du IVme Centenaire, avec lesquelles elles sont en étroites relations, vous seront exposées tout à l’heure par notre trésorier, M. Fatio.

L’année dernière, Mesdames et Messieurs, je vous ai mentionné l’intérêt et la part prise par notre Comité dans les travaux visant à améliorer l’organisation interne de l’Université. Nous n’avons pas cessé d’y vouer notre attention. Le Conseil académique, qui est destiné à assurer d’une part des contacts plus étroits avec la cité et à préparer d’autre part des programmes à long terme qui sont ensuite proposés au bureau du Sénat, a été constitué et a appelé à sa présidence le représentant de notre Société, M. André Fatio ; deux autres membres de notre comité ont été conviés à y siéger, M. Roger Firmenich qui en est le vice-président, et le professeur Olivier Reverdin. Vous avez pu lire tout récemment dans les journaux de notre ville quelle avait été l’activité étonnamment féconde du Conseil académique au cours de sa première année d’existence et les nombreuses tâches qu’il a entreprises et partiellement menées à chef. Nous sommes persuadés que lie Conseil académique, qui a pris un si bon départ, contribuera puissamment à repenser l1es problèmes multiples qui se posent à notre Université dans la phase d’expansion et de transformation qu’elle traverse actuellement et aussi à assurer une certaine continuité dans la gestion de cette gigantesque entreprise – la plus importante du canton – dont l’administrateur principal, je veux dire le recteur, voit son activité limitée à la période déplorablement courte de deux années.

Un autre élément de continuité a été introduit dans l’organisation universitaire par la nomination d’un secrétaire général qui, lui aussi, laissant au secrétaire de l’Université les fonctions proprement administratives, peut aider le recteur et le bureau du Sénat à maîtriser les grandes tâches du présent et de l’avenir.

Le premier secrétaire général a été désigné l’année dernière en la personne de M. Hermann Blanc, qui avait été secrétaire de l’Université pendant 23 ans. Mais l’âge de la retraite ayant sonné, l’Université a pris congé de lui il y a quatre semaines en lui exprimant publiquement sa gratitude pour les services innombrables qu’il lui a rendus pendant un quart de siècle. La Société académique désire aujourd’hui se joindre à cet hommage et dire à M. Blanc combien elle a apprécié son zèle, sa perspicacité, sa courtoisie et son dévouement inconditionnel à la cause universitaire. Nous sommes persuadés qu’en prenant sa retraite M. Blanc n’abandonne pas son Université et qu’il saura la faire profiter longtemps encore de sa grande expérience.

Notre Comité désire aussi saluer le nouveau secrétaire général, M. Bernard Ducret, auquel elle souhaite une féconde carrière. M. Ducret sait que notre Société n’a pas d’autres buts que d’aider l’Université et qu’il peut compter sur nous comme nous comptons sur lui.

Mesdames et Messieurs, la rédaction de son rapport annuel est toujours pour votre président l’occasion d’un examen de conscience. A-t-il fait réellement tout ce qu’il pouvait et ce qu’ii devait pour sa Société et surtout pour notre Université ? Celui qui vous parle se rend compte cruellement de ses insuffisances. Il n’est pas toujours facile de se consacrer comme on le devrait aux tâches multiples – je n’ai pas pu, et de loin, les énumérer toutes – qui attendent votre président et son comité, à côté des obligations et des activités diverses et souvent écrasantes que nous impose notre époque trop agitée. J’aurais été tenté de me plaindre, si un livre venu d’Amérique il y a quinze jours seulement ne m’était apparu comme un signe du ciel et un encouragement. Je dis venu d’Amérique, car il a été trouvé par une connaissance chez un brocanteur de New-York, mais en fait ce livre a été imprimé à Genève ii y a exactement 240 ans. C’est un recueil des discours prononcés en latin par les recteurs de Genève aux solennités du Dies Academicus des années 1711 à 1721.

Je ne résiste pas au plaisir de vous lire – en traduction, n’ayez crainte – un passage du discours prononcé par le Recteur Magnificus le 13 mai 1720 et qui a pour titre « de Causis Scientiarum Progressum Remorentibus », qu’on peut traduire, je pense, par « Des causes qui retardent le progrès des sciences ». Selon son auteur, ce qui empêche l’homme de se consacrer aux recherches scientifiques c’est, dans l’enfance, « l’ineptia aetatis puerilis » puis, dans l’adolescence, « l’amor voluptatum ». Quant à la période suivante, voici ce qu’en dit le recteur : « les affaires diverses qui se présentent dans un âge plus avancé et s’ajoutent les unes aux autres détournent les humains de suivre avec constance la noble voie des sciences. Et telle est l’origine la plus fréquente des obstacles qui retardent le progrès des études. Plongé dans l’agitation bruyante des affaires, soit privées, soit publiques, qu’il est d’usage de traiter, on se trouve soudain parvenu à l’âge mûr. Au milieu des soucis que lui causent l’éducation et la direction de ses enfants, la poursuite que ses affaires et de ses charges publiques, soumis à la nécessité importune ou opportune de participer à des réceptions, l’homme ne trouve plus assez de loisirs, ni assez de liberté d’esprit pour traiter des sciences avec l’attention qu’il convient et sans laquelle il ne saurait y avoir nulle place pour des progrès insignes. »

Ainsi donc, Mesdames et Messieurs, nos ancêtres d’il y a deux siècles et demi se plaignaient comme nous des journées trop courtes et des soucis trop divers. Comme nous, semble-t-il, ils ne savaient où donner de la tête mais cela ne les a pas empêchés de faire de leur minuscule république un centre intellectuel qui éblouissait l’Europe, et de leur Université une étonnante pépinière de savants.

Puisse cette constatation nous donner courage et entrain et nous pousser à œuvrer toujours mieux pour assurer à notre Université la place éminente à laquelle elle a droit au sein de notre cité.