Rapport annuel de la présidence 1889-1890

Emile RIVOIRE, président
30 octobre 1890

 

Mesdames et Messieurs,

Le rapport qui vous a été lu l’année dernière, à pareille époque, vous a rendu compte des premiers travaux d’organisation intérieure de la Société Académique ; celui que nous avons l’honneur de vous présenter aujourd’hui vous renseignera sur la marche qu’elle a suivie pendant le second exercice de son existence commencé le premier octobre 1889. Cette marche doit être considérée comme normale et donne l’idée de ce que pourra faire notre Société, tant qu’elle sera limitée dans son action par la modicité de ses ressources.

Votre Comité s’est organisé en nommant M. Emile Rivoire, président, M. le professeur Jacques Reverdin vice-président, M. Barthélemy Bouvier, trésorier, et MM. Charles Patru et Arnold Vallette, secrétaires.

Nous aurions désiré conserver comme président M. Edouard Sarasin, qui a eu la tâche difficile de diriger la Société à ses débuts et s’en est acquitté de façon à mériter notre reconnaissance, mais il a refusé absolument sa réélection, estimant qu’il était dans l’intérêt d’une bonne administration de changer chaque année de président ; nous avons dû, bien à regret, nous incliner devant cette résolution irrévocable.

Au terme de l’article 10 de nos statuts, vous aurez à élire aujourd’hui six membres du Comité en remplacement de MM. Charles Borgeaud, Edouard Favre, Alexis Lombard, Jules Nicole, Jacques Reverdin et Edouard Sarasin, qui ont été élus en 1888 et sont d’ailleurs immédiatement rééligibles. Vous aurez en outre à remplacer M. Alfred Didier, que ses occupations multiples ont malheureusement obligé à nous envoyer sa démission de membre du Comité.

L’appel adressé au public dans le rapport de l’année dernière a été entendu, et nous avons eu la satisfaction d’inscrire sur la liste de nos membres à vie et sur celle de nos souscripteurs annuels les noms d’un certain nombre de nouveaux adhérents ; toutefois ce recrutement est encore bien insuffisant et nous ne saurions assez insister sur la nécessité qu’il y a, pour chacun de nos membres, de faire une propagande active dans le but de nous amener ceux qui devraient figurer dans nos rangs et sont, jusqu’à ce jour, restés en dehors.

Nos sociétaires ne sont tenus qu’à une modeste contribution annuelle, mais nous leur demandons instamment de témoigner aussi leur intérêt à notre cause en faisant connaître la Société autour d’eux ; trop de personnes nous ignorent encore ; et comme en toute occasion nous n’avons rencontré que des encouragements sympathiques, nous sommes persuadés qu’il suffirait souvent d’un seul mot en notre faveur pour provoquer une souscription. Nous comptons en particulier que tous les étudiants se feront un devoir de signer nos bulletins d’adhésion en prenant leurs inscriptions universitaires.

Malheureusement nous avons à déplorer la mort de plusieurs de nos membres fondateurs parmi les plus dévoués à la Société académique ; nous ne leur consacrerons pas de notices nécrologiques, mais nous ne pouvons moins faire que de rappeler le souvenir de trois d’entre eux, dont la perte nous est particulièrement sensible, parce qu’elle atteint à la fois notre Société et l’Université de Genève : M. le professeur Charles Cellérier († le 2 octobre 1889), M. le professeur Louis Soret, qui l’année dernière nous présentait ici le rapport des vérificateurs des comptes († le 13 mai 1890) et M. le professeur Alphonse Favre († le 11 juillet 1890). Nous avons reçu en souvenir de chacun d’eux des dons importants, qui rappelleront à nos successeurs l’intérêt que ces savants éminents ont porté à notre œuvre naissante ; nous renouvelons à leurs familles l’expression de notre vive gratitude pour ces actes de générosité ; nous tenons à signaler en particulier le don de la famille de M. le professeur Favre, qui nous a remis Fr. 5,000, somme la plus considérable que la Société ait reçue depuis sa fondation. Si ces exemples sont suivis nous pouvons envisager l’avenir avec confiance.

Nous avons reçu de la Société pour le progrès des études, lors de sa dissolution, la somme de 400 francs formant le reliquat de son petit avoir. Cette société, dont l’origine remonte à la pose de la première pierre des bâtiments académiques (31 octobre 1868), avait surtout pour but, comme son nom l’indique, de rechercher les moyens propres à favoriser le progrès des études dans notre patrie ; durant vingt années elle a consacré à ce travail de nombreuses séances, dont le résumé se trouve dans les intéressants rapports imprimés de ses présidents ; en les parcourant, l’on voit qu’elle a étudié les diverses questions qui intéressent l’instruction à tous ses degrés. Trop timide dans ses allures, sans ressources pécuniaires, mal vue dans certains milieux attachés à la routine, elle a dû limiter son activité à des discussions purement théoriques ; mais si elle n’a pas signalé son existence par des créations tangibles, il est incontestable qu’elle a contribué pour une bonne part au développement et au perfectionnement de nos établissements d’instruction publique. Lorsque sa dissolution fut votée et qu’il fut proposé de remettre sa petite fortune à la Société Académique, un régent primaire fît observer fort justement que ce qui profite à l’Université profite au pays tout entier, et la proposition fut adoptée à l’unanimité. C’est donc à juste titre que nous consacrons quelques mots de regrets à la disparition d’une société qui a réuni, dans un but analogue à celui que nous poursuivons, des hommes soucieux de la prospérité intellectuelle de notre patrie.

Votre Comité a continué à se réunir dans une des salles de l’Université dont l’usage lui a été gracieusement octroyé par le Département de l’Instruction publique, et il a consacré ses séances à l’examen de diverses demandes de subsides, qui sont arrivées nombreuses surtout à la fin de l’exercice. II a considéré comme établie la règle que le capital formé des dons et des contributions à vie était inaliénable, et que les intérêts seuls de ce capital joints aux contributions annuelles pouvaient être dépensés.

Il a d’abord décidé de faire imprimer le rapport présidentiel qui vous a été présenté l’année dernière par M. Edouard Sarasin, en y joignant la liste des dons et celle des membres de la Société ; la diffusion de cette brochure, envoyée à tous les sociétaires et à, plusieurs centaines d’autres personnes, a eu pour effet immédiat de nous amener de nouveaux adhérents, en sorte que cette petite dépense a été plus que couverte par une augmentation de contributions.

Il a passé à l’ordre du jour sur la demande d’un particulier qui désirait un subside pour un cours donné à domicile et n’ayant d’ailleurs rien d’académique. Il a dû, à son grand regret, faire de même sur une demande du comité qui s’est constitué pour élever un buste à la mémoire du professeur Amiel ; tout en étant très sympathique à cette entreprise, il a estimé qu’elle ne se rattachait, pas assez directement an but poursuivi par Ia Société Académique pour pouvoir y consacrer une partie de ses ressources.

En revanche, il a volontiers accédé au désir de Messieurs les professeurs qui lui demandaient son appui, purement moral du reste, pour les cinq conférences qu’ils ont organisées, en novembre et décembre 1889, au bénéfice de la caisse du Sénat.

Un certain nombre de jeunes savants genevois, qui ont terminé leurs études à l’étranger et qui feraient certainement honneur à l’Université de leur ville natale, s’ils pouvaient y donner des cours, en sont restés à l’écart jusqu’à présent ; il y aurait un puissant intérêt à concentrer toutes ces forces intellectuelles et scientifiques et à les retenir à Genève. Déjà quelques démarches, purement officieuses et très discrètes, ont été faites en vue d’offrir à notre Faculté des lettres des cours qui lui manque encore ; elles n’ont pas toutes abouti; mais l’accueil fait à nos propositions donne lieu d’espérer qu’un jour ou l’autre le résultat désiré sera obtenu. Dès aujourd’hui, nous avons le plaisir d’annoncer, pour l’année académique qui commence, un cours d’archéologie arabe dont M. Max van Berchem, docteur en philosophie de l’Université de Leipzig, a bien voulu se charger sur notre demande. Si cet essai réussit, selon nos désirs, nos efforts tendront à multiplier progressivement de cette manière les cours des différentes facultés.

Le Département de l’Instruction publique nous a demandé de participer aux frais d’acquisition d’une collection de grandes photographies se rapportant à l’embryologie humaine et animale, obtenues par M. le professeur Auguste Eternod avec les appareils de son invention qu’ii avait fait construire pour les recherches du laboratoire d’embryologie. Ces photographies, primées à l’Exposition universelle de 1889, ont contribué à faire connaitre au Monde scientifique les travaux de notre Université. Une enquête nous ayant prouvé que ce matériel de démonstration, nouveau dans son genre, rendrait de réels services à l’Ecole de médecine, nous avons décidé de participer pour deux cents francs à son acquisition ; il orne maintenant le laboratoire d’histologie normale et d’embryologie.

Jusqu’à présent notre Faculté de droit était dépourvue d’un cours de droit privé suisse : l’enseignement de cette branche était donné occasionnellement dans les différents cours, tandis qu’elle figure au programme des autres facultés de droit suisses comme cours spécial. À lui seul le droit fédéral privé comprend, non seulement le Code des obligations, la Loi sur l’état civil et le mariage, et la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite, qui ont apporté de profondes modifications dans notre droit civil, mais aussi une grande quantité de lois qui, depuis 1850, l’unifient toujours davantage.

Il est donc indispensable pour les étudiants de parcourir d’une façon systématique ce vaste champ d’études. En outre il est très important que la Faculté de droit de Genève soit à même d’exprimer, en ces matières, une doctrine qui puisse, avec Ia jurisprudence de nos tribunaux, exercer une influence sur la législation fédérale. Tels sont, les motifs qui ont engagé les étudiants en droit, réunis en assemblée générale, à charger leur commission permanente de faire les démarches nécessaires pour arriver à une organisation régulière et officielle de l’enseignement du droit fédéral à Genève. Fidèle à son mandat, cette commission adressa une requête dans ce sens simultanément à la Société Académique et au Département de l’Instruction publique, et ce dernier, à son tour, nous ayant réclamé notre appui, nous avons eu à nous occuper de cette affaire importante. Accorder un subside, ne serait-ce pas pousser le Département de l’Instruction publique à une grosse dépense, contrairement à nos principes bien arrêtés de ne jamais grever le budget de l’Etat de charges nouvelles ? A cette objection il fut répondu que c’était l’Etat lui-même qui demandait une subvention, et cela pour un temps limité, et que cette création était indispensable pour l’existence de la Faculté de droit. En conséquence votre Comité vota une subvention de mille francs pour deux années consécutives, grâce à laquelle le cours de droit fédéral figure actuellement sur le programme de l’Université. Nous devons dire que cette création a été grandement facilitée par le désintéressement de M. le professeur Alfred Martin, qui a bien voulu consentir à se charger de ce cours supplémentaire à des conditions très favorables.

Les fêtes universitaires de Montpellier ont réuni dans cette ville les représentants de toutes les Universités de l’Europe ; Genève ne pouvait faire exception. M. le professeur Auguste Chantre, alors vice-recteur, d’accord avec le Département de l’Instruction publique, s’adressa à la Société Académique pour obtenir un viatique en faveur de la députation des étudiants de Genève ; il s’agissait de deux cents francs seulement, le Département fournissant une somme égale. Votre Comité s’est demandé s’il devait consacrer une somme, même minime, à faciliter à nos étudiants Ia fréquentation d’une fête où la science ne devait d’ailleurs jouer aucun rôle; tout bien considéré, il a pensé qu’il avait là une occasion de manifester sa reconnaissance pour les services rendus maintes fois à Ia Société Académique par les étudiants, et qu’il était dans l’intérêt de notre Université d’affirmer son existence et d’entretenir ile bons rapports avec celles de l’étranger.

Si nous en croyons les récits enthousiastes de ceux qui ont participé aux fêtes de Montpellier, nous leur avons facilité un voyage sinon fort utile du moins très agréable.

Sous le titre de Guide de l’Instruction Publique de Genève, la commission d’éducation de l’Association des intérêts de Genève a publié cette année une brochure élégamment illustrée, qui donne un résumé très clair des nombreuses ressources offertes par notre ville pour l’instruction, et elle en a mis des exemplaires à notre disposition pour être distribués à l’étranger ; comme nous nous étions déjà chargés de la diffusion des programmes universitaires, nous n’avons pas cru devoir accepter cette offre qui nous imposait une tâche sortant un peu de nos attributions.

Nous avons estimé également que nous n’avions pas à participer aux frais d’annonces universitaires dans les journaux, ces frais rentrant dans les dépenses ordinaires de l’administration.

Le laboratoire de botanique systématique est en voie de réorganisation ; il ne possède que deux microscopes, ce qui est notoirement insuffisant, puisque près de 90 élèves sont inscrits à ce cours, donné par M. le professeur Robert Chodat ; le recteur s’est adressé à la Société Académique pour lui demander un subside de 740 francs destiné à l’acquisition de cinq de ces instruments et d’un appareil de polarisation, l’Etat, de son côté, devant fournir 750 francs pour cinq autres microscopes. Ce subside a été accordé sous la condition qu’une inscription gravée sur chaque appareil donné par notre Société en rappellerait la provenance.

Nous avons aussi voté l’acquisition, pour le prix de Fr. 1,200, d’un microscope polarisateur qui manquait au laboratoire de minéralogie de M. le professeur Louis Duparc.

Quelques personnes nous reprocheront peut-être d’avoir trop donné pour les sciences physiques et naturelles et d’avoir négligé les autres facultés ; mais nous nous hâterons de répondre que, si nous l’avons fait, c’est sans parti pris, et uniquement parce que nous n’avons pas eu à examiner de desiderata émanant de ces dernières, lesquelles d’ailleurs n’ont ni laboratoires ni collections.

En prévision de ce reproche, nous avons nous-mêmes provoqué des demandes de la Faculté des lettres, et votre nouveau Comité aura probablement à prendre des décisions qui donneront toute satisfaction à celle-ci.

Notre trésorier, M. Barthélemy Bouvier, va vous donner des détails circonstanciés sur l’état de nos finances et l’emploi de nos revenus ; mais ce qu’il ne vous dira pas, c’est le dévouement intelligent qu’il a consacré à cette partie si importante de notre administration depuis la fondation de notre Société ; vous vous joindrez à nous pour lui en exprimer notre sincère gratitude.

Nous sommes très reconnaissants aussi à MM. Darier et Cie, nos banquiers, pour les services désintéressés qu’ils ont continué à nous rendre.

La plus parfaite entente n’a cessé de régner entre votre Comité et les autorités avec lesquelles il a été en rapport ; il a notamment rencontré chez M. le conseiller d’état Eugène Richard, chargé du Département de l’Instruction publique, une sollicitude toute particulière pour ce qui peut contribuer à la prospérité de notre Université.

La loi du 7 mai 1890 autorise le Conseil d’Etat à exempter des droits de mutation les sociétés poursuivant un but d’utilité publique; nous eussions préféré qu’elle fixât la liste des institutions exemptées de ces droits, en y comprenant la Société Académique; mais nous aimons à croire que le Conseil d’Etat admettra toujours celle-ci au bénéfice de cette exemption qui ne saurait être mieux appliquée.

Le succès obtenu par la conférence que M. Edouard Naville a faite dans notre assemblée générale de l’année dernière, nous a engagés à ajouter à notre programme de ce jour une conférence pour laquelle nous nous sommes adressés à notre collègue, M. le professeur Jules Nicole ; ce savant helléniste à obligeamment consenti à nous entretenir d’un ouvrage considérable, actuellement sous presse, qui est appelé à avoir du retentissement dans le monde des philologues, et fera connaître au loin la valeur jusqu’ici trop ignorée de notre Faculté des lettres et les richesses de notre bibliothèque publique. Aussi, bien qu’il s’agisse de l’Iliade, pouvons-nous dire que le sujet est plein d’actualité.

Avec votre assentiment, nous espérons faire donner ainsi chaque année une conférence qui ôtera à notre Assemblée générale de ce qu’elle aurait de trop aride, si elle n’avait à son ordre du jour que des questions purement administratives. La rentrée des cours n’est marquée par aucune solennité officielle, et il nous plaît d’offrir aux professeurs et aux Étudiants des différentes facultés cette occasion rare de se trouver tous réunis avec les amis de notre Université.

Voilà, Mesdames et Messieurs, Ie résumé de ce que nous avons fait pendant la durée de nos fonctions ; les résultats sont sans doute encore bien modestes ; Ils montrent néanmoins ce que peuvent produire les efforts individuels combinés en vue d’un but d’utilité publique. C’est à vous de dire si nous suivons la bonne voie ; nous accueillerons avec reconnaissance les observations et les conseils que vous voudrez bien nous adresser, car notre plus grand désir est de marcher d’accord avec tous ceux qui soutiennent notre Société.

En terminant nous faisons appel de nouveau aux personnes qui comprennent l’importance de l’œuvre que nous poursuivons, ne perdons pas de vue que l’Université est un organe essentiel de notre petite République, un élément indispensable de son indépendance ; considérons les efforts de nos confédérés de Fribourg et de Vaud pour créer leurs Universités, et disons-nous que nous devons travailler énergiquement pour maintenir et développer la nôtre. Les sympathies ne lui manquent pas et se sont parfois manifestées d’une façon grandiose, témoin les quelques centaines de mille francs que de généreux citoyens ont donnés pour la construction de notre palais académique; mais trop souvent ces sympathies restent à l’état latent et des personnes résolues à traduire leurs sentiments de munificence par des faits en renvoient de jour en jour l’exécution; c’est à celles-là surtout que nous adressons une pressante requête; qu’elles ne tardent pas davantage, puisqu’elles sont bien décidées : il s’agit peut-être de deux lignes à écrire, pourquoi attendre à demain ? Il faut que tous les membres dc notre Société travaillent dans la mesure de leurs forces à l’accomplissement de notre tâche commune, ne fut-ce qu’en nous amenant chacun une recrue nouvelle.

Genève ne prospérera qu’à la condition de conserver une place éminente dans le monde scientifique, et en contribuant à l’y maintenir nous faisons une œuvre de patriotisme éclairé dont nos enfants recueilleront les fruits.