Rapport annuel de la présidence 1890-1891

Alexis LOMBARD, président
30 octobre 1891

 

Mesdames et Messieurs,

C’est avec une véritable satisfaction que votre Comité voit, arriver l’époque de l’Assemblée générale de la Société académique, non pas qu’il ne s’aperçoive d la fuite rapide des années, ou qu’il ait le sentiment d’avoir fait tout ce qu’il aurait pu faire pour le développement des intérêts que vous lui avez confiés, mais parce qu’il sait que les mandataires doivent autant que possible retrouver le contact de leurs mandants, recevoir d’eux encouragements ou reproches, en un mot reprendre le « la » des sociétaires dont ils ne sont que l’émanation et le corps exécutant. C’est dans cet esprit que nous vous avons convoqué à cette réunion et nous espérons qu’après avoir entendu le rapport annuel, vous voudrez bien nous faire librement part de vos impressions sur la marche suivie jusqu’ici et sur celle que vous désirez voir suivre au Comité qui va entrer en fonctions. Nous vous rappelons que le but de la Société académique est de « contribuer de tout son pouvoir au progrès du haut enseignement dans tous les domaines et particulièrement au développement de l’Université. »

C’est là le programme que nous nous sommes efforcés de suivre et que nous avons eu constamment eu vue dans nos réunions périodiques du jeudi ; vous jugerez si nous y avons été fidèles et vous sortirez d’ici, nous l’espérons, avec le sentiment que si Ia pierre que nous apportons à l’édifice universitaire n’est pas considérable, elle a cependant sa valeur, et que sans empiéter sur le domaine du Sénat universitaire ou des Autorités – elle leur a pourtant été de quelque utilité.

Disons d’abord quelques mots de la composition du Comité.

A défaut de membre mieux qualifié, celui qui vous parle en a pris la présidence, en remplacement de M. Emile Rivoire, que nous n’avons pu, malgré tout notre désir, décider à diriger encore au moins pour une anuée, nos délibérations.

Horace Micheli, – nommé membre du Comité à l’Assemblée générale de 1890 – a pris une part active aux travaux du Comité; il y a apporté de la jeunesse et de l’entrain, qualités précieuses et qui nous font vivement regretter sa retraite motivée par un projet d’absence, et, nous l’espérons, seulement temporaire. Nous insistons sur la nécessité d’avoir dans le Comité une bonne représentation de l’élément jeune, encore pénétré des aspirations et des idées universitaires et capable de nous guider utilement dans les décisions que nous avons à prendre. Nous espérons que notre vœu sera entendu et que nos jeunes amis, bons juges des améliorations dont est encore susceptible l’enseignement supérieur à Genève, se laisseront recruter lorsque nous ferons appel à leur bon vouloir.

Nous avons eu du reste une preuve précieuse de cette bonne volonté dans l’offre qui nous a été faite par la Société de Belles-Lettres, de nous faire bénéficier de la moitié d’une charmante soirée littéraire et musicale, qu’elle a donnée cet hiver au local des Amis de l’Instruction. Qu’elle en reçoive ici nos remerciements publics. La Société sœur de Zofingue ne restera pas en arrière, elle nous a déjà donné une marque d’amitié dans une de ses soirées précédentes, et nous a promis de ne pas nous oublier à l’avenir.

Nous avons le plaisir de vous annoncer que le Conseil d’Etat nous a accordé l’exemption des droits de mutation sur les dons et legs qui pourraient nous être faits, reconnaissant ainsi notre qualité d’institution d’utilité publique. Ne pouvons-nous pas espérer que l’enlèvement de ce barrage nous vaudra quelques dons ? Nous pouvons assurer à cette haute autorité et en particulier au Département de l’Instruction publique et à son chef M. le Conseiller Richard, que tout notre désir est de faciliter sa tâche en toute circonstance, tout en restant modestement à notre place.

Parcourons maintenant le cercle de notre activité en 1891 :

William Barbey a désiré se servir de notre intermédiaire pour faire don à la ville d’une belle collection d’ossements fossiles découverts et recueillis à Samos, en Grèce, par M. Forsith-Major.

Nous nous sommes volontiers prêtés à son désir et nous pouvons ajouter que de l’avis d’hommes experts, cette collection a une réelle valeur qui comble une lacune de notre Musée jusqu’ici vierge de ce genre de matériaux.

Nous avons aussi eu le plaisir de transmettre à la Ville une collection de minéraux des Alpes Maritimes rassemblés par un ingénieur, et dont une demoiselle étrangère, domiciliée dans notre ville, a bien voulu nous faire le don.

Nous serons toujours heureux de pouvoir concourir d’une manière quelconque à l’enrichissement des collections de Ia ville et nous nous permettons à ce sujet de nous féliciter de ce que, grâce à l’acquisition du Palais Eynard, la Ville sera bientôt en état de loger d’une manière convenable les diverses collections qu’elle possède et de faciliter ainsi les branches d’étude auxquelles ces diverses collections se rattachent.

Vous vous rappelez, Mesdames et Messieurs, qu’en 1890, les allocations faites par notre Société portaient principalement sur des objets ayant trait à l’étude des sciences exactes: salle dans le bâtiment de chimie, microscope polarisateur pour l’étude de la minéralogie, microscopes pour les cours de botanique ; nous avons donc saisi avec empressement l’occasion de faire quelque chose pour les lettres qui ont certainement la sympathie de chacun de vous, nous n’en cloutons pas. Ne sont-ce pas elles qui contribuent à embellir et à charmer l’esprit humain si facilement envahi par l’esprit par trop positif de notre fin de siècle.

Monsieur le professeur Decrue nous a demandé si nous serions disposés à concourir à l’achat de moulages destinés à illustrer son cours d’archéologie. II s’agit de quelques pièces de première importance tirées de l’antiquité grecque seulement, et qui, avec un certain nombre de spécimens que la Ville possède déjà, mais qu’elle a dû, par manque de place, enfouir dans les caves du Musée Rath, formeront une collection. M. le Conseiller administratif Bourdillon veut bien autoriser l’exhumation de ces moulages forts beaux et intéressants ; on les réunira à ceux dont M. Decrue demande l’acquisition, et l’on fera du tout un petit, musée spécial dans le vestibule de l’Université, au 1er étage. Monsieur le Président du Département de l’Instruction publique a bien voulu prêter les mains à cet arrangement, qui précédait l’acquisition du Palais Eynard ; nous ne voulons point préjuger si ce nouveau local modifiera les décisions prises ; nous nous bornons à signaler les facilités qui en résulteront et qui permettront peut-être de placer plus tard les moulages dans un local, ad hoc.

Les pièces à acquérir et qui sont en partie arrivées, viennent de Paris et de Berlin ; nous devons ajouter que la Société auxiliaire des sciences et des arts concourt avec nous à leur achat.

Vous vous féliciterez avec nous de la perspective de posséder à Genève une collection, si modeste soit-elle, de reproductions de ce que l’art grec antique a produit de plus beau et de plus classique ; ce sont les bas-reliefs de Selinonte, le Discobole en action et les Parques du Parthénon, des collections du Louvre. De Berlin, M. Decrue acquerra quelques groupes des bas-reliefs de Pergame.

Il demeure entendu gue ces moulages deviendront la propriété de la Ville.

Le Comité a pensé qu’il y aurait de l’intérêt pour notre public, étudiants, darnes et messieurs, à entendre dans un cours de quelques séances l’un des professeurs en vue de Paris, et à voir développer par lui quelque sujet de littérature contemporaine. II s’est adressé pour cela à Messieurs Emile Faguet et Jules Lemaitre, tous deux critiques éminents. Nous devons à regret vous dire que ces démarches n’ont pas abouti et que l’idée a dû être renvoyée à une année subséquente.

Un sujet d’un tout autre ordre a occupé quelques-unes de nos « séances. Vous avez présente à l’esprit la belle cérémonie qui réunissait le public genevois dans cette salle même, il y a un peu moins d’un an pour le Jubilé cinquantenaire de M. le professeur Ernest Naville. En collectant les fonds nécessaires pour offrir à M. Naville une médaille à son effigie, le Comité s’était réservé d’employer l’excédent des fonds recueillis, s’il y en avait un, à quelque œuvre présentant un intérêt général d’un ordre scientifique ou philanthropique. Or l’empressement des amis et admirateurs de M. Naville fut si grand que, tous frais payés, il resta en mains du Comité une somme de six mille francs.

L’idée qui réunit tout de suite tous les suffrages fut celle de créer une salle d’études pour les étudiants, en les mettant à même de travailler dans une salle bien éclairée et chauffée, à la portée des diverses bibliothèques de la Ville et de l’Université ; le but manifeste était d’encourager au travail la jeunesse universitaire, à laquelle le voisinage de la brasserie fait souvent, par manque de local convenable, perdre des heures précieuses, soit dans le jour, soit le soir. Malheureusement de petites difficultés se sont mises à la traverse du projet lorsqu’il a été question de trouver, le local, et le Comité pour le Jubilé Naville s’est vu dans l’impossibilité de réaliser son plan. Il ne pouvait cependant pas se perpétuer, n’ayant plus d’autre sujet d’activité et il résolut à l’unanimité de demander à la Société académique si elle serait disposée à se charger de Ia somme disponible, moyennant certaines conditions. Votre Comité n’a pas hésité à accepter cette offre qui pour ne lui présenter aucun avantage matériel dans le présent, n’en est pas moins pour la Société un témoignage flatteur de l’estime et de la confiance dont elle jouit. Qui d’ailleurs, mieux qu’elle, peut mener à bien la réalisation des vœux de M. Naville et du Comité ?

La cession du fonds a été faite aux clauses et conditions suivantes ;

  1. Ce fonds fera l’objet d’une comptabilité distincte de celle des autres ressources de la Société académique.
  2. Il s’accroîtra des intérêts que la Société académique pourra lui faire produire par une bonne gestion.
  3. Il devra être employé exclusivement à quelque but scientifique ou philanthropique, qu’il y aura lieu de déterminer avec M. Naville ou ses ayants droit.
  4. Il sera affecté en entier à un objet unique auquel la mémoire de M. Naville puisse être attachée et qui porte son nom. La Société académique devra le consacrer de préférence à l’établissement d’une salle de travail pour les étudiants, et ne pourra lui donner une autre destination avant le 3l décembre 1900, à moins que d’ici là, il ne se présente l’occasion d’un emploi différent, qui à ses yeux, comme à ceux de M. Naville ou de ses ayants droit, réponde mieux encore aux intentions des donateurs.
  5. Si la Société académique fait servir le fonds Naville à la satisfaction d’un intérêt scientifique, cet intérêt devra concerner les sciences morales et politiques ou la science en général, mais non exclusivement les sciences physiques ou naturelles.

Sur la demande de M. le professeur Chantre, recteur de l’Université, nous avons alloué une somme pour l’expédition de programmes universitaires, accompagnés d’adresses en langues anglaise et allemande signées par les consuls et par des étrangers résidant à Genève, et qui ont été envoyés dans les Universités d’Allemagne, d’Angleterre et des Etats-Unis. Nous avons jugé qu’une allocation, d’ailleurs modeste, pour faire mieux connaître au dehors les ressources multiples qu’offre notre Université, se justifiait pleinement, et nous avons tout lieu de croire que les efforts qui ont été faits dans ce sens ne sont point demeurés stériles.

Deux nouvelles chaires viennent d’être créées : celle des langues indo-européennes, qui a été contée à notre compatriote, M. Ferdinand de Saussure, et celle des langues romanes, à M. Muret.

Il importe qu’on sache bien au dehors que l’étude de Ia branche des lettres se complète aussi avantageusement.

Deux mots seulement de la situation financière, qui sera traitée tout à l’heure d’une manière complète par notre trésorier, M. B. Bouvier. Grâce à un beau don de 6,000 Fr. qui nous a été fait en souvenir de M. Edmond Sarasin, savant et chimiste, par ses sœurs Mme Math. Van Berchem et Mlle Augusta Sarasin, et à d’autres rentrées inespérées, entre autres une somme donnée par notre collègue, M. Horace Micheli, en souvenir de sa mère, Mme Micheli de Ia Rive, notre capital s’est accru de Fr. 9,838.60 et s’élève actuellement à Fr. 36,107.45, cela indépendamment du fonds Naville. II est vrai que nous n’avons pas fait de fortes dépenses cette année. En dehors des moulages, il ne nous a pas été adressé de demandes importantes. On ménage nos forces et de fait nous sentons bien que nous avons encore le souffle court. Que sommes-nous en face de l’Université de Bâle possédant, au dire d’un journal de notre ville, un fonds de 1,200,00 Fr., pour suppléer aux déficits de la bourse de l’Etat ? Pas de jalousie, mais aussi pas d’assoupissement. Si nous voulons que notre Université puisse se mesurer avec d’autres, il faut être prêts à faire les sacrifices nécessaires.

Nous avons eu le plaisir d’entendre l’année dernière à la suite du Rapport présidentiel, la spirituelle leçon de M. le professeur Nicole sur le manuscrit d’Homère, dont il vient de faire la publication ; aujourd’hui, Mesdames et Messieurs, c’est M. le professeur Flournoy qui consent à relever l’intérêt d’une séance autrement un peu sèche, par une lecture sur le Siège de l’âme et l’avenir de la Psychologie.

J’aurai le plaisir de lui donner la parole, lorsque M. Bouvier nous aura lu son rapport financier et que vous aurez entendu celui de MM. les Vérificateurs des comptes.