Rapport annuel de la présidence 1893-1894

Charles AUBERT, président
20 novembre 1894

Mesdames et Messieurs,

Lorsque le conseil d’administration d’une société financière se présente devant l’assemblée générale des actionnaires, il l’informe des opérations de l’exercice écoulé, et, s’il y a lieu, propose la répartition d’un dividende. Nous n’avons entrepris aucune opération fructueuse ou infructueuse, et nous n’avons aucun dividende à vous répartir. Nous avouons même, sans aucune honte, avoir consciencieusement dépensé la presque totalité des revenus des capitaux dont vous nous avez confié la gestion. En agissant ainsi, nous avons exécuté notre mandat, et nous ne craindrions vos reproches, que si l’usage que nous avons fait de l’argent mis à notre disposition ne répondait pas à vos intentions ou au but de notre Société.

Disons tout de suite que, pas un seul instant, nous n’avons éprouvé le moindre embarras au sujet de l’emploi de nos fonds ; sans qu’il fût nécessaire de nous mettre en quête de dépenses, elles s’offraient d’elles-mêmes à nous, permettant de mesurer à Ia multiplicité des demandes le degré d’utilité de notre Société. Que de quémandeurs intéressants nous avons dû renvoyer ou ajourner !

Que de fois nous avons regretté que notre indigence ne nous permît pas de faire tout ce que nous aurions aimé faire en votre nom !

Répétons-le, une fois de plus :

Il faut étendre le cercle des sympathies déjà acquises; il faut surtout que ces sympathies, précieuses et encourageantes, alors même qu’elles ne constitueraient qu’un appui moral, revêtent une forme concrète. Nous attendons beaucoup du temps, et certes, nous en avons le droit. A six ans ! l’âge où l’homme se dégage à peine du bégaiement de l’enfance !

Notre rôle, il est vrai, est modeste, et nos travaux ne parlent guère à l’imagination. Personne, ni journal, ni revue, ne mentionne nos découvertes. Et cependant, peu à peu, l’opinion s’habituera à voir dans notre Société un auxiliaire indispensable, Personne, en tous cas, ne nous refusera le rôle d’intermédiaire utile. Nous recueillons comme de minces filets d’eau les subsides des particuliers, et, de même que le Rhône capté, par la main des ingénieurs, devient une source intarissable de force et de lumière, de même, aussi, nous aspirons à former par la réunion de tous ces petits ruisseaux un fleuve puissant destiné à alimenter notre Université, cette usine de force et de lumière intellectuelles. Mais quittons le pays des rêves ; redescendons sur la terre et passons rapidement en revue les divers emplois que nous avons faits, cette année, de nos ressources :

La Faculté des Lettres nous avait demandé pour sa bibliothèque un subside de 2000 francs. Cette demande, fortement motivée par un rapport très documenté de M. le professeur Muret, a été accueillie favorablement. Jusqu’ici la plus grande partie de nos ressources avait été accordée à la Faculté des Sciences pour ses cours ou pour ses laboratoires. Il était équitable de faire quelque chose pour la Faculté des Lettres. Elle, aussi, a grand besoin d’instruments dans son laboratoire, c’est-à-dire de livres dans sa bibliothèque. En lui accordant un subside de 1000 francs, nous avons laissé entrevoir que pareille allocation serait probablement accordée l’année prochaine, si Ia demande en était faite.

Une somme de 500 francs a été allouée à M. le professeur de botanique, Dr Chodat, pour l’installation d’une couche destinée à la culture rationnelle de certains cryptogames.

M. le professeur de minéralogie Duparc, ne recevait, vous le savez, qu’un traitement lblt modeste dont il a employé, depuis plusieurs années, la plus grande partie aux installations de son laboratoire. Cette situation anormale ne pouvait se prolonger indéfiniment. Il était à craindre que M. Duparc, dont l’enseignement est vivement apprécié, n’acceptât les offres plus avantageuses d’une autre Université. Son départ aurait été une perte pour la nôtre. Un certain nombre de membres de la Société Académique, après entente avec le Département de l’Instruction Publique, se sont engagés à verser chacun une somme annuelle de 200 francs pendant trois années, de telle sorte que le traitement de M. le professeur Duparc serait, pendant cette période, porté à 3500 francs. Pour permettre d’atteindre ce résultat, nous avons nous-mêmes promis une allocation annuelle de 50 Fr. pour la même durée.

Votre Comité, en outre, a donné au laboratoire de M. le professeur Duparc, un microscope polarisant, d’une valeur de Fr. 1195 50. Quand je dis que nous avons donné, je m’exprime d’une façon inexacte. Nous avons servi d’intermédiaire à un donateur qui, aussi modeste que généreux, a voulu que ce don soit fait au nom de la Société Académique. Il nous est interdit de le nommer, mais il ne nous est pas défendu de le remercier publiquement, en votre nom et au nom des amis des études scientifiques. Cet instrument de précision a été pourvu d’une plaque portant le nom de la Société Académique et du donataire effectif.

D’autre part, nous aurons payé, cette année, pour Ia dernière fois, la subvention annuelle de 700 francs, que nous avons accordée pendant quatre années au cours de Droit fédéral, donné par M. le professeur Alfred Martin. A partir de cette année, le Département de l’Instruction Publique a pris ce cours à sa charge. Il estime que l’on ne comprendrait pas une Faculté de Droit à Genève sans un cours de droit fédéral, et qu’une chaire de cette importance doit être subventionnée par l’Etat et non par une société privée. Vous serez frappés, comme nous l’avons été nous-même,

de Ia justesse de ce raisonnement, et vous vous féliciterez avec nous de ce que notre Société ait fait doter notre Faculté de Droit d’un enseignement absolument indispensable.

Nous avons enfin à vous entretenir de la publication d’un Livre de l’Université de Genève, qui a été proposée par votre Comité, et qui, depuis longtemps, avait fait l’objet des préoccupations de plusieurs de ses membres.

Malgré ses trois siècles et demi d’existence, l’éclat dont elle a brillé et le développement qu’elle a atteint, notre Académie devenue Université, est peu connue à l’étranger ; elle l’est moins que certaines de ses sœurs cadettes, auxquelles elle ne le cède ni pour la richesse de ses programmes, ni pour la valeur de ses professeurs.

Le professeur Wuarin nous a dit que, dans son dernier voyage aux Etats-Unis, on lui a plus d’une fois demandé si Genève était près de Lausanne, On connaissait l’existence de Lausanne et de son université, on ignorait jusqu’à l’existence de Genève ! Et notez que cette ignorance était le fait de gens relativement cultivés, professeurs ou étudiants. II est inutile d’en rechercher bien loin les causes, Lors des fêtes de l’inauguration de l’Université de Lausanne, l’Etat de Vaud a dépensé, nous a-t-on dit, près de Fr. 60,000 en frais de publicité à l’étranger. Or, ceci est non pas une dépense de luxe, mais un placement de bon père de famille, Les universités étrangères ont bien compris l’importance d’une saine réclame, en répandant au dehors des notices fort bien faites, donnant, sous une forme élégante, tous les renseignements nécessaires aux étudiants.

Jusqu’ici, Genève n’a rien fait ou presque rien dans cet ordre d’idées. C’est une lacune à combler. La création d’universités nouvelles, surtout dans l’Europe orientale, tend à diminuer notre clientèle d’étudiants appartenant à ces pays, Il faut remplacer par une autre cette clientèle qui nous échappe. La Hollande, l’Ecosse, l’Angleterre, les Etats-Unis, nous enverront probablement leur contingent d’étudiants, lorsque les ressources de notre Université leur seront connues mieux qu’elles ne le sont à l’heure actuelle.

Le Sénat de l’Université a fait un accueil très encourageant aux ouvertures gue nous lui avons faites en vue de la publication d’un livre qui ne se bornerait pas aux renseignements purement matériels, mais qui serait le Livre d’or de notre Université; ce livre ferait connaître l’admirable passé de notre vieille Académie, le développement de ses diverses Facultés et les ressources actuelles de notre Université.

Une Commission, composée de délégués du Bureau du Sénat de l’Université et de la Société Académique, a été chargée d’étudier les moyens de réaliser ce projet. Elle s’est mise immédiatement à l’œuvre, et, loin de se conformer à l’usage qui fait du renvoi d’un objet à une commission, un enterrement déguisé, elle avait, en moins de deux mois, terminé et fait approuver un plan qui ne tarda pas à entrer dans la période de réalisation. A cet effet elle s’est assuré le concours de M. le Dr Borgeaud que se§ études et ses travaux avaient désigné à son choix. Il a bien voulu se charger de Ia direction de cette entreprise et de la rédaction de la partie générale du livre. Chaque faculté s’est engagée de son côté à pourvoir à la rédaction de la partie la concernant spécialement. Nous espérons que cette œuvre de longue haleine sera prête pour l’Exposition de 1896. La Société Académique s’est engagée à contribuer à cette entreprise par une somme de 3000 francs payable en deux annuités. Il est inutile d’ajouter que cette somme ne représentera qu’une faible partie du coût total.

Il faudra faire appel au concours généreux de tous les amis de notre Université, Sociétés et particuliers, pour faire face à cette dépense, et de l’Etat pour la large diffusion de ce livre hors de Genève.

Le Comité du Xme Congrès international des Orientalistes, qui s’est réuni cet automne à Genève, nous avait priésde désigner un délégué pour assister à ses travaux. Nous avons été très sensibles à cette courtoise attention, et notre choix s’est porté sur M. le professeur Jules Nicole, qui a bien voulu accepter notre délégation.

Le succès de ces savantes assises ne saurait être indifférent à la Société Académique. Elles ont réuni dans notre ville et sur les bancs de cette Université, un nombre inusité de savants, qui ont illustré leur nom dans l’étude des langues, des mœurs, de la philosophie, des arts de cet Orient, si attirant, même pour les profanes, par le mystère et la poésie dont il s’enveloppe. Pendant huit jours, je ne sais par l’effet de quelle contagion intellectuelle, nous nous sommes tous sentis plus ou moins Orientalistes. Nous avons suivi les conférences avec un zèle et un intérêt qui ne se sont pas démentis devant les communications les plus ardues. C’était plus et mieux que de Ia curiosité ordinaire. J’y vois un hommage respectueux à ces infatigables travailleurs de Ia pensée, et l’affirmation de ce sentiment très net que si notre ville a encore un rôle à jouer et une influence bienfaisante à exercer, c’est autant dans le domaine intellectuel et moral que dans les domaines politique, commercial ou industriel.

Cette impression doit se convertir en conviction solide ; elle doit être le point de départ d’une impulsion vigoureuse donnée au perfectionnement des études supérieures dans notre pays ; ce perfectionnement étant le but et la raison d’être de notre Société, vous excuserez la longueur de cette digression. Elle n’était pas complètement étrangère à mon sujet.

Après vous avoir renseignés sur le peu de choses qu’il nous a été donné de faire pendant l’année écoulée, je devais aussi vous montrer une partie des champs immenses que nous ouvre l’avenir et qui n’attendent que la semence et les travailleurs, c’est-à-dire, pour parler en prose, de l’argent et de nouvelles recrues.

Notre Société compte aujourd’hui 156 membres à vie, dont 9 I nouveaux, et a reçu la contribution annuelle de 313 membres. Notre fonds capital, qui était l’année dernière de Fr. 41,026.75 s’élève aujourd’hui à Fr. 44,323 65. Vous entendrez tout à l’heure le rapport de notre trésorier, qui vous renseignera plus complètement que je ne puis le faire, sur notre situation financière. Je désire, toutefois, mentionner encore les divers dons qui nous ont été faits.

M. et Mme Charles Hentsch, dont la générosité à l’égard de notre Société ne s’est jamais lassée, nous ont fait un don de 500 francs.

La famille de M. le professeur Charles de Marignac, nous a fait en souvenir de son chef regretté, un don de 500 francs.

M. le professeur L. Wuarin nous a versé la somme de Fr. 252, produit des conférences qu’il a bien voulu donner cet hiver, au bénéfice de notre Société.

M. le professeur Adrien Naville nous avait témoigné le désir de donner une conférence au profit de la Société Académique de Neuchâtel et de Ia Société Académique de Genève. Notre part a été de Fr. 92.50.

Nous avons reçu de la Société de Zofingue la somme de Fr. 200, prélevée sur le produit d’une soirée donnée en février 1894.

La Société auxiliaire des Sciences et des Arts, à la bourse de laquelle nous n’avons jamais fait appel en vain, nous a donné un subside de 500 francs. Enfin nous avons reçu en divers dons anonymes une somme de 2,200 francs.

Nous tenons à renouveler ici, en votre nom, à tous ces généreux donateurs, l’expression de notre vive gratitude.

Tout à l’heure je donnerai la parole à M. le Professeur Francis De Crue, qui vous conduira en Argolide, admirer les ruines de Mycènes. En faisant sous la direction de ce guide aussi aimable que seyant cette intéressante excursion, vous vous reposerez de la sécheresse d’une séance purement administrative et de l’aridité des questions budgétaires.

Je ne veux pas terminer ce rapport sans adresser mes très sincères remerciements, au nom de la Société Académique, à tous mes collègues du Comité. Leur intelligente activité, et l’entrain avec lequel ils ont étudié et mené à bien les divers projets dont nous avons eu à nous occuper, ont suppléé à l’inexpérience que j’apportais dans des fonctions auxquelles je ne me sentais nullement préparé.