Rapport annuel de la présidence 1895-1896

Léopold FAVRE, président
14 novembre 1896

 

Mesdames et Messieurs,

Il n’est aucun de vous, j’en suis certain, qui ne se soit engagé cet été dans le labyrinthe qui constituait le Groupe XVII de l’Exposition Nationale, le groupe de l’Instruction publique, et je suis certain aussi qu’un très grand nombre d’entre vous se sont rapidement et sans peine orientés et reconnus, y ont pris le plus vif plaisir, et sont revenus à plusieurs reprises examiner de près comment se forment et se développent les intelligences dans notre peuple, à partir des premiers essais de l’enfant jusqu’au plus haut développement scientifique.

Dans cette ruche si complexe, une cellule nous a particulièrement touchés et intéressés. C’est celle où était logée notre Université. Une exposition rétrospective y montrait les instruments de travail des anciens maîtres genevois de la science, ceux des générations précédentes qui n’ont pas connu le grand développement que l’Université a donné à nos installations scientifiques.

Un grand nombre de vitrines étaient consacrées aux travaux de nos maîtres d’aujourd’hui, à ces résultats vraiment merveilleux obtenus dans leurs laboratoires :

Préparations et planches anatomiques si élégantes, où les mystères les plus subtils des organes nous sont révélés au grand jour ;
Entreprises chirurgicales qu’on n’aurait pas osé rêver il y a vingt ans ;
Squelettes d’animaux habilement décomposés dans leurs éléments et si coquettement disposés qu’on serait tenté de les mettre dans des écrins ;
Préparations botaniques ;
Tableaux où la polarisation de la lumière montre la composition intime des rochers ;
Belles coupes géologiques ;
Instruments simples et ingénieux par lesquels les psychologues nous font comprendre les relations secrètes des phénomènes de la sensation avec ceux de l’intelligence ;
Papyrus grecs ;
Travaux d’archéologie égyptienne ;
Recherches astronomiques ;

Et enfin, la longue et brillante série des écrits des professeurs, des thèses, des travaux d’élèves ; tout était réuni là pour donner l’idée d’une Université active et bien vivante.

Au milieu de toutes ces richesses figurait un modeste petit livre relié de maroquin rouge. C’était l’exposition de Ia Société Académique. Ce volume contenait un exemplaire de nos statuts, les rapports des sept premiers exercices et un relevé fait par notre trésorier, indiquant de quelle manière ont été employés et répartis les 32,810 francs que la Société avait, jusqu’au début de cette année, consacrés au développement des hautes études.

Peut-être, Mesdames et Messieurs, Ia forme sous laquelle nous avons exposé a-t-elle été trop modeste. Peut-être avons-nous perdu là une occasion de mettre en relief, d’une manière frappante, la relation qui existe déjà, mais qu’il faut fortifier encore, entre notre Société et les merveilles que le public admirait dans les vitrines et contre les parois. Il aurait fallu faire toucher du doigt aux visiteurs le fait qu’ils pouvaient contribuer pour leur part à créer de nouveaux moyens d’étude, en dotant ces savants si ingénieux d’instruments plus perfectionnés. Il fallait leur faire comprendre que la Société Académique a pour but de servir d’intermédiaire entre eux et la science, qu’entre ses mains, l’or et l’argent, ces vils métaux, se transforment en découvertes scientifiques et en conceptions philosophiques et littéraires. A vrai dire, nous croyons que cette démonstration, faite d’une façon plus frappante aurait été plutôt Ia cause d’une satisfaction platonique pour nous que d’un sérieux avantage pour notre Société, étant donnée l’immense diversité des attractions et des préoccupations que l’Exposition imposait au public intelligent.

Le Jury, du moins, ne s’y est pas trompé, – nous parlons ici du Jury en exposants heureux – et malgré le jeune âge de notre Société, il lui a accordé une médaille d’argent pour son passé et son présent. Si l’on avait récompensé les espérances d’avenir, je n’ai aucun doute que nous n’eussions mérité une médaille d’or.

Tout auprès de notre modeste volume, au centre de la salle, figurait l’exposition du Livre de l’Université, cette importante publication de M. Borgeaud, dont, vous le savez, la Société Académique a été l’instigatrice. Il n’a pas tenu à l’ardent travailleur qui est l’âme et pour la plus grande partie l’auteur de ce monument élevé à l’Université, qu’il ne fût prêt en temps utile. Le temps dont il disposait était vraiment trop court pour un semblable travail qui, en cours d’exécution, a rencontré des difficultés imprévues.

Ce travail est divisé en deux parties ; la première retracera l’histoire de l’Académie de Genève depuis sa fondation jusqu’en 1872. Elle est l’œuvre exclusive de M. Borgeaud, qui a dû en retarder l’exécution pour concentrer toute son activité sur la partie qu’il était nécessaire de terminer pour l’Exposition.

Cette seconde partie a trait à l’Université même (période de 1892 à’1896). Elle a été exposée d’une manière complète sous la forme de cinq grands mémoires, consacrés aux cinq facultés, et rédigés par MM. Charles Soret et Emile Yung pour la Faculté des sciences, Bernard Bouvier pour la Faculté des lettres, Alfred Martin pour la Faculté de droit ; pour la Faculté de théologie, par les professeurs de la Faculté, et par M. Auguste Eternod pour la Faculté de médecine.

A ces mémoires, étaient joints de grands tableaux statistiques, spécialement exécutés pour l’Exposition, et enfin une collection d’un intérêt capital, toute une série de portraits reproduits en phototypie par la Société des Arts graphiques, destinés à figurer comme planches hors texte dans l’ouvrage. « Ces portraits, nous écrit M. Borgeaud, ont été réunis pour la première fois. Les originaux de plusieurs ont dû être recherchés au loin, notamment à Bâle et à Paris; d’autres, pastels délicats ou émaux fragiles, appartenant à des galeries particulières, n’ont été confiés à l’auteur qu’à la condition qu’ils ne sortiraient pas de ses mains, et qu’il en surveillerait personnellement la reproduction. Ce simple travail de groupement a coûté plus de temps et plus de peine qu’on ne saurait l’imaginer. Quant à ce qui concerne l’ensemble de la publication et l’histoire de l’ancienne Académie, à laquelle je pourrai enfin me consacrer de nouveau tout entier, j’espère voir mon travail en librairie dans le courant de 1897. »

Deux chapitres spécimens de la partie historique ont également paru à part Ce sont, le fragment sur les Etudiants de l’Académie au XVIème siècle qui a été exposé et envoyé à tous les souscripteurs, et un autre, intitulé : Calvin fondateur de l’Académie de Genève.

Ce dernier fragment, destiné à annoncer l’ouvrage à l’étranger, a paru récemment dans la Revue Internationale de l’Enseignement supérieur, à Paris.

Vous vous souvenez, Mesdames et Messieurs, que Ia Société Académique avait entrepris de mener à bien des négociations ayant pour but d’installer dans notre Bibliothèque une nouvelle salle de travail réservée plus spécialement, quoique non d’une, façon absolue, aux professeurs et aux étudiants. Une somme de 6000 francs, reliquat d’une souscription publique, ouverte lors du Jubilé de M. le professeur Ernest Naville devait être consacrée à l’arrangement de cette salle et à des achats de livres. Le Rapport de mon prédécesseur vous avait informés du plein succès des négociations. Je suis heureux de vous annoncer que les installations sont à peu près complètement terminées. La question de l’éclairage reste cependant encore en suspens. Je suis seulement autorisé à vous dire qu’elle est à peu près résolue dans le sens de l’établissement de l’éclairage électrique. Qu’il nous soit permis de formuler ici le vœu pressant que ce mode d’éclairage soit étendu de là à tout le reste de la Bibliothèque, spécialement à la grande salle dont l’atmosphère est actuellement très éloignée des conditions hygiéniques les plus élémentaires, et que pour la même raison les amphithéâtres de facultés et l’Aula soient mis au bénéfice de cette amélioration, qui est grandement désirée par tous les intéressés.

L’exercice qui vient de se terminer n’a été au point de vue financier et administratif, signalé par aucun phénomène qui lui donne une physionomie spéciale.

Quelques dons nous ont permis d’augmenter notre fonds capital.

Nommons d’abord M. et Mme Charles Hentsch, qui nous ont cette année encore remis 500 francs et auxquels nous exprimons une reconnaissance qui s’accroît d’année en année.

La Société de Zofingue, celle de Belles-Lettres et celle des Etudiants Français nous ont remis chacune 200 francs sur le produit des soirées qu’elles ont données ‘hiver dernier. Cette preuve d’intérêt donnée à la Société Académique, par la jeunesse universitaire a non-seulement une utilité financière incontestable, mais une valeur morale sur laquelle je n’ai pas besoin d’insister.

Nous avons à remercier les héritiers de M. Charles Brot, qui nous ont fait, en souvenir de lui, un don de 500 francs.

Après Ia clôture de nos comptes, nous avons reçu des héritiers de M. le professeur André Oltramare, conformément aux intentions qu’il avait lui-même exprimées, un don de 200 francs. Je leur adresse ici, à la fois, l’expression de notre reconnaissance pour ce pieux souvenir et celle des regrets que M. Oltramare a laissés après lui comme homme et comme professeur.

Le rapport de notre trésorier vous donnera un exposé complet de la partie financière, je me borne à vous en donner ici un aperçu.

Notre fonds capital s’est trouvé, du fait des divers dons mentionnés, porté à Fr. 49,388 40, ayant produit un intérêt de Fr. 1857 45.

Avec les cotisations annuelles Fr. 2161, nous avions à notre disposition pour cette année une somme de Fr. 4018.45, à laquelle il faut ajouter 1250 francs qu’un certain nombre de souscripteurs nous ont  généreusement remis pour la troisième et dernière fois, pour compléter le traitement de la chaire de minéralogie.

Notre budget était d’avance grevé de 1500 francs de subvention au Livre de l’Université, et de 500 francs de subvention à Ia chaire de chimie théorique.

Nous avons voté 500 francs au laboratoire qui dépend de cette même chaire pour l’achat d’une boîte de résistance.

Nous avons également voté 500 francs pour l’achat d’un cylindre enregistreur pour le laboratoire de psychologie physiologique. Ce laboratoire est incomplètement outillé jusqu’à maintenant, mais nous avons l’espoir que l’Etat voudra bien combiner son action avec la nôtre pour le doter de quelques appareils qui lui sont nécessaires pour vivre et pour qu’il permette aux étudiants d’arriver aux résultats scientifiques qu’on peut attendre de l’habile direction à laquelle il est confié.

Nous avons aussi fait don à deux reprises à la Bibliothèque de la Faculté de théologie, d’un certain nombre d’ouvrages nécessaires soit aux professeurs, soit aux étudiants.

Voilà certes des dépenses utiles, mais combien modestes, combien distantes du rêve que font tout président, tout membre de comité entrant en charge ! Quand verrons-nous la Société Académique en possession d’un beau capital, avec les intérêts duquel elle pourra créer des chaires et doter largement les bibliothèques et les laboratoires ?

Faisons de nouvelles recrues, travaillons à augmenter le nombre des personnes qui s’intéressent à l’Université.

Le goût et la pratique des hautes études est une des plus nobles traditions de Genève, nous devons y veiller tout particulièrement dans la période actuelle où Genève devient ville cosmopolite, ville où affluent les élément étrangers, trop souvent indifférents à nos souvenirs et à nos traditions. Si nous voulons que Genève conserve dans le monde, non pas la même place qu’elle y a occupée, mais une place analogue, aussi noble et aussi haute, c’est sur notre capital intellectuel qu’il nous faut veiller » Il n’est donc pas besoin d’être un grand clerc en sciences ou en lettres pour aimer notre Université, il suffit, n’est-ce pas, d’être un bon patriote et un bon Genevois.

J’ai hâte de terminer ce rapport et de donner la parole à M. le professeur Yung, qui a bien voulu venir communiquer à notre Assemblée les résultats de ses recherches sur un sujet encore très nouveau, mais je dois vous dire encore deux mots au sujet des modifications aux statuts que le Comité a cru devoir proposer.

L’article 10 fixait à douze le nombre des membres du Comité. Dans le courant de cet exercice, il a été fait une proposition tendant à augmenter la représentation des étudiants dans le sein du Comité, et particulièrement à y donner une place à un représentant de la Société des Etudiants français. Cette société, qui entretient de par son organisation et ses statuts des rapports très étroits avec les professeurs et avec l’Université en général, a donné à la Société Académique des preuves de son intérêt en lui remettant, comme je vous l’ai dit, une somme de 200 francs, prélevée sur le produit d’une soirée, et nous la savons disposée à continuer dans la même voie.

S’il y a un avantage indiscutable à intéresser la jeunesse universitaire à la marche de notre Société, nous avons pensé qu’il ne convenait cependant pas pour cela de diminuer le nombre des membres du Comité qui ne sont pas étudiants. C’est pourquoi nous avons proposé dans le nouvel article 10 que le nombre des membres peut s’élever à quinze sans pouvoir descendre au-dessous de douze.

Une étude sérieuse de la question nous a montré dans cette latitude de nombreux avantages pour le recrutement du Comité et nous n’avons su y voir aucun inconvénient.

Une observation nous a été faite sur la rédaction que nous avions donnée à la seconde partie de cet article 10. On nous a demandé d’y affirmer le principe du renouvellement par moitié du Comité, en sorte que nous vous proposons d’emblée un léger amendement consistant à dire : l’Assemblée élit chaque année la moitié des membres du Comité, soit six au moins.

La modification à l’article 20 a pour but de consacrer par la loi un état de fait. L’obligation de réunir l’Assemblée générale avant la fin du mois d’octobre avait de sérieux inconvénients. A ce moment, l’Université n’a pas encore repris sa vie normale. Le Comité même de la Société Académique a encore à peine eu le temps de se réunir après les vacances et de préparer la fin de l’exercice. En fait, depuis et y compris l’année 1892, les séances ont toujours eu lieu au mois de novembre. Il nous semble inutile de prolonger volontairement un état de choses qui semble bien être un cas de force majeure.

Je ne puis, Mesdames et Messieurs, terminer ce rapport sans témoigner à mes collègues du Comité toute ma reconnaissance pour l’appui que mon inexpérience a trouvé en eux et les remercier de l’intérêt, qu’au travers des multiples occupations de cette année, ils ont mis à nos délibérations.