Rapport annuel de la présidence 1897-1898

Albert GAMPERT, président
12 novembre 1898

 

Mesdames et Messieurs,

Notre Université va, vous le savez, prochainement achever la 25è année de son existence. Vingt-cinq ans, direz-vous, c’est encore peu de chose, c’est presque l’enfance pour une institution comme celle-ci, dont quelques-unes des sœurs aînées sont plusieurs fois centenaires. Cependant nous aurons à souligner cette date, non pour célébrer de banales réjouissances, mais pour avoir l’occasion de resserrer les liens qui unissent la famille universitaire et de manifester combien nous sommes attachés à cette Université, l’un des plus purs joyaux, de notre patrimoine national.

Un anniversaire est d’ailleurs chose salutaire. Il est une occasion de jeter un coup d’œil en arrière et de mesurer le chemin parcouru. Pour notre Université, ce coup d’œil ne s’arrêtera pas à la date où lui fut conféré son nouveau titre.

Il se prolongera plus loin dans le passé et remontera jusqu’à cette vénérable Académie dont elle est l’héritière et la continuatrice. Guidés par la magistrale histoire dont la publication ne tardera guère, nous reconnaîtrons que si notre Université a, malgré son peu d’années, atteint un degré de maturité et, un bon renom qui font bien augurer de son avenir, c’est, en outre de ses mérites propres, qu’elle est au bénéfice d’un passé qui n’a pas été sans éclat et de traditions qu’elle ne saurait répudier sans renier ses origines.

Mais n’anticipons pas. Deux ans au moins nous séparent encore de cet anniversaire, nous avons le temps de nous y préparer. L’évocation de cette solennité prochaine éveille cependant en nous un sentiment auquel je vous demande la permission de donner essor. Ne voyez-vous pas là, alors que notre Université entre dans une nouvelle phase de son existence, une occasion propice pour ses disciples de se demander s’ils ont su reconnaître les bienfaits qu’ils en ont reçus ; s’ils se sont suffisamment acquittes de la dette de reconnaissance qu’ils ont contractée envers elle ? Car, on nous le dit souvent, et il y a une part de vérité dans cette affirmation : l’enseignement universitaire est un trésor plein de choses précieuses, mais dans lequel un petit nombre de privilégiés seuls sont appelés à puiser. Cet examen de conscience, les anciens étudiants de notre Université pourront le faire avec profit.

Oui, certes, nous qui avons reçu de cette Université le meilleur de nos connaissances, nous qui avons eu le privilège d’y recueillir les enseignements qui ont formé notre esprit et nous ont fait goûter aux fruits savoureux de la science, nous avons tous un devoir de reconnaissance à remplir. Nous voudrions, aujourd’hui que l’expérience de la vie est venue et nous a enseigné à mieux apprécier le prix des choses entendues autrefois, nous voudrions pouvoir témoigner cette reconnaissance aux maîtres qui ont été nos guides et nos initiateurs.

Hélas beaucoup ne sont plus, car que de vides creusés pendant ces vingt-cinq années ! Ce n’est plus eux qui peuvent recueillir le témoignage de notre gratitude. Mais si les hommes passent, l’institution dont ils ont fait le renom et la gloire demeure et c’est à elle que va le tribut de notre reconnaissance.

C’est à vous tout d’abord, jeunes gens qui sortez de l’Université encore tout vibrants des émotions ressenties, que je demande si vous n’ayez pas un devoir à remplir envers celle qui vous a libéralement prodigué les connaissances avec lesquelles vous vous élancez dans la vie.

C’est aux plus âgés aussi, à ceux qui se qualifient eux-mêmes d’une manière prématurée de « vieux » que cet appel s’adresse. Ils aiment, ces « vieux », à se réunir pour se remémorer leurs souvenirs universitaires ; ils aiment à cultiver les relations d’amitié nouées sur les bancs de l’Université. Que ne pensent-ils aussi à ce qu’ils pourraient faire en mémoire de ces temps passés, pas très anciens pour quelques-uns, en faveur de cette Alma mater déjà vénérable.

Et si les uns et les autres sont embarrassés quant à l’expression à donner à ces sentiments qui doivent les oppresser, voici la Société Académique qui se présente. Elle offre de servir d’intermédiaire entre les disciples reconnaissants et cette bienfaitrice qui ne demande qu’à recevoir à son tour de nouveaux bienfaits pour les répandre sur d’autres. Le moyen pour y arriver est bien simple. Je me permets de l’indiquer sous forme de conseil et sans artifices de rhétorique.

Aux étudiants actuels, je dis : « N’oubliez pas, en quittant ces lieux, de vous faire recevoir membres de la Société Académique. Vous conserverez ainsi un lien avec cette Université dans laquelle vous avez passé quelques-unes des plus belles années de votre vie, et vous aiderez la Société Académique dans sa modeste mais utile tâche d’auxiliaire de notre enseignement supérieur. Il ne vous en coûtera chaque année qu’une obole. »

Aux anciens étudiants, Vieux-Zofingiens, Vieux-Bellettriens et vieux de diverses dénominations qui sont, je m’assure, déjà tous membres de notre société, je dirai : « Continuez à vous intéresser aux choses de l’Université, étudiez ses besoins, profitez de votre expérience des temps jadis pour voir les lacunes qu’il faut combler ; et lorsque vous vous serez rendu compte qu’avec un peu de vil métal on pourra y remédier, souvenez-vous que Ia caisse de la Societe Académique est ouverte pour recevoir vos offrandes et son Comité prêt à recevoir vos suggestions pour les transmettre à qui de droit. »

Ceci sent un peu la réclame ; pardonnez-nous, Mesdames et Messieurs, mais la Société Académique est à un âge où elle a encore besoin de cet élément de succès pour se faire sa place au soleil, et le devoir de notre Comité est d’en user, même avec quelque indiscrétion, s’il ne veut pas laisser péricliter les intérêts que vous lui avez confiés.

Le nombre de nos membres, qui devrait sans cesse s’accroître, reste stationnaire. Chaque année, nos rangs que la mort éclaircit devraient se remplir de jeunes recrues. Malheureusement, cela n’a lieu que dans une trop faible mesure. Aussi ne cesserons-nous de vous dire : « Amenez-nous de nouveaux membres et de nouvelles forces. »

Si nous devons nous plaindre du faible recrutement de nos membres et adresser sous ce rapport quelques reproches à nos anciens adhérents, nous devons, du moins, témoigner sans réserve notre gratitude à ceux de nos sociétaires qui, à cette qualité, ajoutent celle de généreux donateurs. Cette année, la liste en est plus longue que de coutume. L’éloquent appel adressé par mon prédécesseur n’a pas retenti en vain. Ce sont M. et Mme Ch. Hentsch qui, une fois encore, nous ont versé 500 francs ; Mme Emile Plantamour, dont nous avons reçu 1000 francs ; M. le Dr Edouard Martin, qui nous a fait parvenir 500 francs ; puis M. Charles Rigaud 100 francs ; M. Edmond Chenevière 50 francs. Un généreux anonyme nous a envoyé 250 francs. La Société de Zofingue et la Société des Étudiants français, sur le produit de leurs soirées, nous ont remis, la première 200 francs, la seconde 50 francs.

Un beau don de 1000 francs nous a été remis en souvenir et de la part de M. Philippe Plantamour, ce savant aimable et modeste que notre Société comptait, parmi ses adhérents de Ia première heure. « Il a tenu, nous dit Mme Plantamour, à vous laisser ce témoignage du grand intérêt qu’il avait toujours porté à votre Société. » Enfin, M. Paul Dumas, l’un de nos membres dont nous déplorons aussi la perte, nous a légué 50 francs.

A tous ceux qui ont pensé à nous, nous voudrions adresser nos chaleureux remerciements.

Trois de nos membres ont effectué le versement d’une contribution unique de 100 francs.

Ces diverses sommes réunies forment un total de 4000 francs qui est venu accroître d’autant notre capital. Celui-ci s’élève actuellement à Fr. 56 088.20. Depuis l’origine de la Société, cette augmentation a été constante, mais lente. Combien ce capital est encore éloigné de celui que nous attendons pour réaliser tous nos projets ! Que nos fidèles donateurs ne se lassent donc pas et que leur exemple nous prépare d’agréables surprises pour l’avenir. Je n’ai qu’un mot à ajouter au sujet des finances de notre Société, et c’est pour remercier une fois de plus notre excellent trésorier, M. Bouvier, des soins dévoués et constants qu’il leur consacre.

Passons maintenant rapidement en revue les divers objets qui ont occupé votre Comite pendant le cours de l’exercice.

M. le professeur Chodat, dont le laboratoire de botanique systématique est fréquenté par un grand nombre d’étudiants, nous a de nouveau demandé notre concours. Il s’agissait d’acquérir un matériel de stérilisation, étuves, fours et autoclaves destinés à l’étude, à des températures variées, de cultures de végétaux inférieurs. A l’appui de sa demande, M. Chodat signalait l’intérêt qui s’attache actuellement à la morphologie et à la biologie des végétaux inférieurs et la nécessite d’initier les étudiants aux recherches modernes qui se poursuivent sur les ferments, les algues et les champignons ; recherches qui trouvent leur application pratique dans le brassage, la vinification, l’acétification, le rouissage et dans d’autres domaines industriels.

La somme nécessaire pour cette installation était élevée, il s’agissait de plus de 1400 francs. C’était-beaucoup pour notre modeste budget. Aussi, de même que nous l’avions fait dans des cas précédents, avons-nous demandé au Département de l’Instruction publique de bien vouloir fournir Ia moitié de la somme, nous engageant à verser l’autre moitie. M. le Président du Département mit le plus obligeant empressement à accéder â notre demande ; nous pûmes donc répondre à M. le professeur Chodat qu’il serait pourvu aux frais de l’installation projetée tant par le Département qu’au moyen d’une allocation de Fr. 722.75 que la Société Académique était prête à lui fournir.

Chose à peine croyable, la bibliothèque de Ia Faculté de théologie découvrit qu’elle ne possédait que de mauvaises éditions dépareillées des œuvres de Calvin ! Or, une occasion se présentait précisément d’acquérir pour un prix relativement modique une bonne édition des œuvres du grand réformateur, l’Edition de Strasbourg. Votre Comité n’hésita pas un instant et vota un crédit de 44o francs destine à combler une lacune inexplicable dans le laboratoire de nos théologiens.

C’est encore une bibliothèque de Faculté, celle des sciences mathématiques, qui a sollicité notre secours pour acquérir des ouvrages dont le prix était inabordable à ses faibles ressources. En son nom, M. le professeur Cailler nous a demande un subside pour faire l’achat de la collection des Annales de la Faculté de Toulouse. Nous avons volontiers accordé le subside demandé. Sur ces entrefaites, l’un des membres de notre Comité a trouvé une combinaison qui a permis à la bibliothèque en question de se procurer par une autre voie la collection désirée. Mais notre subside de 250 francs étant voté il y avait chose jugée et M. Cailler n’a pas eu de peine à l’affecter à d’utiles acquisitions pour sa bibliothèque.

Le Comité avait jadis accordé une modeste allocation de 500 francs à M. le professeur Flournoy pour l’acquisition d’appareils enregistreurs destinés aux intéressantes études qui se poursuivent depuis quelques années dans le laboratoire de psychologie. Ce subside, en rapport avec l’exiguïté de nos ressources d’alors, n’était, paraît-il, pas suffisant pour permettre l’achat des instruments nécessaires, aussi ne fut-il pas touché. Cette année, M. Flournoy nous a remis en mémoire notre généreuse intention et nous a demandé de porter cette fois notre crédit à 1 500 francs. Lorsque la demande de M. Flournoy nous est parvenue, notre caisse était déjà fort épuisée, il nous a fallu, bien à regret, réduire notre allocation à 1000 francs, en espérant que l’année prochaine il nous sera possible de compléter l’outillage du laboratoire de psychologie.

Votre Comite s’est s’occupe à plusieurs reprises de l’aménagement de la salle Naville et a servi d’intermédiaire entre les visiteurs de cette salle et le Conseil Administratif.

Après mûr examen, nous avons renoncé à demander l’installation d’un monte-charge, vu le coût élevé de cet appareil.

Nous avons estimé qu’il était préférable d’employer le solde disponible sur les fonds affectés à la salle Naville à d’autres améliorations dans l’aménagement de la salle, à des achats de livres ou à des objets d’une utilité plus immédiate. La question de l’emploi de ce solde est encore à l’étude. Disons seulement que M. le conseiller administratif Piguet-Fages met la plus grande amabilité à régler cette question, au mieux des intérêts qui nous sont confiés.

Le dernier rapport présidentiel vous a entretenus de la publication de l’Histoire de l’Université et vous a fait entrevoir ce que promet ce beau travail. Vous en attendez l’apparition avec une légitime impatience et vous vous étonneriez si notre rapport de cette année n’en disait mot. Je n’ai cependant que peu de choses de nouveau à vous en dire, mais ce peu est une bonne nouvelle. Notre ami, M. le professeur Borgeaud m’informe que la publication de son ouvrage est en très bonne voie. Selon toutes probabilités, le tome premier pourra être envoyé aux souscripteurs d’ici à peu de temps. Comme le prix de souscription sera très inférieur au prix de revient de l’ouvrage, qui comportera deux volumes au lieu d’un, il sera livré broché, mais avec une couverture ornée de fers spéciaux.

Une reliure de luxe sera exécutée avec des fers semblables et pourra être fournie à prix réduit aux personnes qui le désireront.

La Societe Académique s’est, comme vous le savez, intéressée financièrement à la publication du livre de M. Borgeaud et s’est engagée à contribuer aux frais pour une somme de 3000 francs. En présence du développement considérable et tout à fait imprévu au début pris par cette œuvre, le Comite qui s’occupe plus spécialement de la publication de l’ouvrage, nous a demandé si nous serions disposés à ne pas limiter notre concours à cette somme. Nous avons répondu qu’il importe avant tout d’assurer le succès de cette grande et belle œuvre et que notre concours serait assuré, même au-delà de la somme que nous avions primitivement fixée.

Vous ratifierez sans doute cet engagement.

En terminant cette rapide énumération de nos travaux, nous éprouvons un regret, c’est de n’avoir pu faire davantage. Les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur de notre ambition, car nous voudrions pouvoir satisfaire à tous les désirs de messieurs les professeurs et chefs de laboratoires, nous voudrions même devancer leurs désirs et leur offrir ce qu’ils n’osent nous demander. Ce serait l’Ideal. Mais ne prenez point ce regret pour un indice de découragement. Bien au contraire, nous sommes plus que jamais remplis de confiance dans l’avenir et l’utilité de la Societe Académique. Son action est encore bien modeste, mais elle est persévérante dans ses efforts. Si son but est élevé elle est pleine d’ardeur et d’entrain pour l’atteindre.