Rapport annuel de la présidence 1905-1906

Auguste BLONDEL, président
17 novembre 1906

 

Mesdames et Messieurs,

Jamais peut-être plus que cette année, l’utilité de la Société Académique n’a été démontrée. Les demandes nécessaires, indispensables même pour assurer un développement fécond à notre enseignement universitaire, ont été si nombreuses, que nous n’aurions pu y faire face sans le concours d’amis toujours heureux de nous prouver leur dévouement.

Les sciences nous ont sollicité tout d’abord. M. le prof. Ph. Guye désirait installer dans son laboratoire une pompe à vide, pour la détermination des poids atomiques. Vous savez que depuis quelques années, on s’est tout particulièrement occupé de cette question, et qu’il existe même, à l’heure qu’il est, une Commission internationale des poids atomiques.

Or, cette commission a prié notre savant compatriote de l’aider dans ses travaux, et le budget de l’Etat ne prévoyait point cette dépense extraordinaire. Notre allocation de Fr. 1000 a permis de faire l’emplette de cet utile instrument.

Le professeur Ch.-E. Guye est venu plaider à son tour la cause de l’électricité. Notre laboratoire de physique possède, paraît-il, une assez riche collection d’appareils historiques ayant servi aux physiciens genevois, et des dispositifs destinés aux démonstrations de cours. Il est beaucoup moins bien doté en instruments modernes pour les travaux de recherches. Dans le domaine des mesures électriques, en particulier, il est indispensable de pouvoir rapporter les résultats des expériences à quelques appareils-étalons aux indications desquels on puisse avoir toute confiance. On devra donc posséder au minimum, deux appareils-étalons : une pile de force électro-motrice constante, dite pile-étalon, et une boîte de résistance, minutieusement étalonnées. Ces deux grandeurs (force électro-motrice et résistance) étant bien déterminées, toutes les autres grandeurs électriques peuvent leur être rapportées. Or, si nous possédions des piles-étalons, il nous manquait une boite de résistance de précision. La somme de Fr. 1000. – accordée par la Société Académique, a permis de parer à cette lacune, et rendra, nous en sommes certains, les services qu’on est en droit d’en attendre.

Nous avons été heureux aussi de prouver notre sympathie à M. le professeur Pittard, et de lui faciliter par un don de Fr. 400.-, son enseignement de l’anthropologie, comme privat-docent à la Faculté des Sciences. Ce cours, qui s’est terminé avec le semestre d’été, a obtenu le plus brillant succès.

M. le professeur Chavannes a recouru à notre bonne volonté pour l’aider dans son organisation d’une bibliothèque de pharmacognosie (Fr. 1900). Sa demande bien justifiée nous a prouvé une fois de plus combien Ia question de la création d’une chaire universitaire doit être étudiée dans ses moindres détails.

Le Grand Conseil vote volontiers un traitement à un nouveau professeur, mais on ne se préoccupe point assez de lui procurer les ressources nécessaires à son enseignement. La plupart du temps, on ne met à sa disposition qu’une somme vraiment dérisoire pour la formation d’une bibliothèque ou l’achat d’instruments indispensables. Une enquête que nous avons entreprise cette année nous a prouvé que plusieurs de nos professeurs souffrent grandement de ce manque de prévoyance, et que ceux d’entre eux qui n’ont pas une fortune personnelle leur permettant d’acquérir eux-mêmes les objets dont ils ont besoin, sont forcés tôt ou tard de s’adresser à la Société Académique. Votre président a eu à ce sujet un entretien avec le regretté chef de l’Instruction publique, M. le Dr Vincent, et il n’a pu que reconnaître le bien-fondé de nos observations. Espérons qu’à l’avenir, nos autorités agiront avec plus de prudence, et veilleront à ce que les nouveaux titulaires d’une chaire ne soient pas mis ainsi, faute d’argent, dans une situation vraiment inextricable.

Grâce à un modeste subside de Fr. 137.50, M. le Dr Weber a pu devenir propriétaire, pour son laboratoire, d’un instrument indispensable aux travaux de ses élèves en psychiatrie. Il s’agit d’un planimètre avec lequel on opère des mensurations des tranches du cerveau. Il permet aussi de calculer chez des idiots le rapport de l’écorce à la substance blanche, etc.

Mais à notre Université, Mesdames et Messieurs, on ne vit pas de science seulement ; les arts et les lettres ne sauraient y être oubliés. Les nombreux étudiants qui suivent les cours d’archéologie classique avaient droit aussi à notre sollicitude. Nous avions déjà il y a quelques années, sur la demande de M. Conrad de Mandach, fait l’emplette d’une certaine quantité de clichés photographiques. M. Georges Nicole nous a priés d’accroître ce matériel de démonstration et de créer une collection de photographies de sculpture et d’architecture antique, qui serait accessible aux étudiants de la Faculté des Lettres. Il nous a indiqué une remarquable publication éditée à Munich ; elle contient, à côté des planches, une série de notes explicatives. Nous avons décidé de nous procurer deux livraisons de cet ouvrage contenant près de 500 photographies. Ces reproductions des chefs-d’œuvre de l’art antique ont été disposées, par les soins de M. Nicole, de telle manière qu’ils puissent être facilement consultés par les intéressés. Voilà donc un document précieux, placé à la disposition de tous, dans la Bibliothèque de la Faculté des Lettres.

La Faculté de Droit a également lait appel à notre concours. Depuis quelques années, elle a redoublé d’efforts pour attirer et retenir à Genève les étudiants de langue allemande. Les professeurs ont ajouté volontairement des heures supplémentaires à leur enseignement ; ils ont même organisé des cours spéciaux sans rémunération autre que le casuel, c’est-à-dire la finance scolaire, dont la moitié, comme on le sait, revient à l’Etat. Enfin, ils ont reconnu la nécessité d’organiser régulièrement un cours de droit pénal allemand. Le département étant entré dans leurs vues proposait ce printemps au Grand Conseil la nomination d’un professeur extraordinaire, M. E. Spira, qui s’était déjà fait connaître comme privat-docent à la Faculté. Mais le traitement alloué par l’Etat est bien minime, et notre comité a décidé d’y ajouter pendant trois ans une somme de Fr. 250.-.

Nos rapports avec l’Université ont continué à être empreints de la plus chaude cordialité. Elle nous a invités comme d’habitude à sa séance solennelle de distribution de prix, et à son Dies Academicus, pour la célébration duquel nous avons de grand cœur apporté notre obole (Fr. 250).

Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, notre caisse a été fréquemment mise à contribution, si fréquemment même, qu’elle se trouvait vide lorsque nous parvint une dernière requête bien digne de notre intérêt.

M. le Dr Ed. Claparède nous écrivait, en effet, ce qui suit : « C’est un des anciens protégés de la Société Académique, le laboratoire de Psychologie, qui vient frapper à sa porte. II y a longtemps qu’ii n’a pas fait d’acquisition importante d’instruments, et le moment est venu pour lui de combler quelques-unes de ces lacunes dans ce domaine, afin de mettre son enseignement à la hauteur des progrès récents de la psychologie expérimentale. Or, ce laboratoire ne reçoit aucun subside de l’Etat ; les frais de son entretien restent entièrement à la charge de son directeur, et d’autre part, tous les appareils demandés sont devenus aujourd’hui classiques et se trouvent dans tous les laboratoires de l’étranger. Ils sont d’une absolue nécessité soit pour les démonstrations à faire aux élèves, soit pour l’exécution de recherches spéciales. »

Comment résister à des arguments aussi convaincants i Notre embarras était extrême, quand une fée secourable apparut, sous la forme de la Société Auxiliaire des Sciences et des Arts. Elle nous versait la somme demandée de Fr. 1000.-, et nous permettait ainsi de fournir à notre Université de précieux instruments de travail. Que cette Société qui, à plusieurs reprises déjà nous a prouvé sa sympathie, reçoive ici l’expression de notre gratitude.

Du reste, nous n’avons jamais plus que cette année, reçu des témoignages d’attachement à notre œuvre ; ces témoignages nous sont parvenus sous forme de dons de MM. Barthélémy Bouvier, Edm. Flournoy, Ernest Martin, Guillaume Favre. M. James Odier nous a remis Fr. 100.- pour le Fonds Borgeaud, et Fr. 100.- pour le laboratoire de thérapeutique. (Cette dernière somme fut directement versée à M. le Dr Mayor.) Ces donateurs sont de vieux amis pour nous, mais il est aussi des amis inconnus qui, quoique n’étant pas membres de notre association, ont bien voulu penser à elle. C’est ainsi que nous avons reçu Fr. 1000.- de M. Plan de Bourdigny, Fr. 2000 de Mlle Spiess, enfin la magnifique somme de Fr. 5000.- d’un généreux anonyme. Ce dernier legs nous est parvenu après la clôture de notre exercice et ne figurera que l’année prochaine dans nos recettes.

Plusieurs de nos sociétaires, enlevés hélas ! par Ia mort, nous ont une dernière fois, prouvé leur intérêt par des dons et legs. Il nous a été remis Fr. 150.- par la famille de M. le professeur G. Oltramare, Fr. 1000 par celle de M. Et. Gillet, M. Camille Ferrier nous a légué Fr. 1000 et M. le notaire Jean Rivoire Fr. I000.- plus spécialement destinés à la Faculté des Lettres, et qui seront en conséquence versés au fonds Schwytzguebel.

Nous donnons un souvenir ému et reconnaissant à tous ces disparus dont le nom restera inscrit parmi ceux des bienfaiteurs de la Société Académique.

Mais heureusement, ce ne sont pas les morts seulement qui ont droit à notre gratitude ; les vivants aussi ont tenu à l’honneur de travailler pour nous. Notre savant concitoyen, M. le professeur Ed. Naville, a bien voulu répéter à l’Athénée, et à notre profit, quelques-unes des conférences qu’il donna à Paris, au Collège de France, avec un si grand succès. Il nous a successivement entretenu des Origines des Egyptiens, des Mythes et du Rituel. Un nombreux public a suivi ces causeries d’un si puissant intérêt, et notre caisse s’est enrichie de la belle somme de Fr. 755.-. Nos plus vils remerciements à notre sociétaire. Puisse son exemple être suivi cet hiver ! nous avons tout lieu de le croire, de réjouissantes promesses nous ayant été faites à cet égard.

Nous avons également rencontré la même bonne volonté pour nous parmi les sociétés d’étudiants : Zofingue, Belles-Lettres, la Société des Étudiants Français, nous attribuèrent, comme d’habitude, une part sur le bénéfice de leurs soirées musicales et littéraires.

Ces jeunes gens ont bien compris que nous travaillons pour eux et nous apportent leur concours avec un entrain et un enthousiasme qui nous vont au cœur.

Passons maintenant rapidement en revue les divers fonds à destination spéciale dont la gestion nous est confiée.

 

Fonds Moynier

L’an dernier, notre président nous annonçait l’ouverture de la Salle des Périodiques, dénommée par le Conseil administratif : Salle Gustave Moynier.

Il nous disait que les arrérages du fonds spécial créé par notre généreux concitoyen étaient affectés à l’achat de journaux et revues concernant les sciences sociales, le droit, la philosophie et l’histoire. Le choix de ces publications appartient à une commission composée des gens les plus compétents dans ces domaines spéciaux.

A Ia lin de l’année, ces périodiques viennent garnir les rayons de notre bibliothèque qui, sans bourse déliée, s’enrichit ainsi de près de quatre cents livraisons d’excellentes revues.

En 1906, Ia fréquentation de la salle Moynier a augmenté d’une façon encourageante. Le nombre de ses lecteurs a été en moyenne de 25 par jour, dont 15 étudiants (au lieu de 10 à12 l’année dernière.) Le maximum de fréquentation fut atteint en février avec une moyenne de 37 lecteurs par jour, dont 26 étudiants.

 

Fonds Schwytzguebel

Ce fonds, dont les intérêts doivent être affectés à la Facultés des Lettres, s’est accru, comme nous l’avons dit plus haut, d’une somme de Fr. 1000.-, legs de M. Jean Rivoire, et se monte à plus de Fr. 6000.-. Une somme de Fr 326,60 a été affectée sur Ia demande de M. Georges Nicole à l’achat de photographies de monuments de la Grèce et de Rome.

 

Fonds auxiliaire de la Bibliothèque.

Vous savez tous que ce fonds créé, en 1904, pour venir en aide à la Bibliothèque Publique, est géré par la Société Académique et que d’emblée il a atteint le chiffre de Fr. 32.000.-. Cette année, il s’est enrichi de plusieurs dons, et la commission chargée des achats a pu ces jours derniers, mettre la main sur deux ouvrages qui accroîtront notablement les ressources de notre Bibliothèque.

Ii s’agit, en premier lieu, d’une histoire de la noblesse du Comtat Venaissin, d’Avignon et de la principauté d’Orange, en quatre volumes in-4°. Cet ouvrage très rare, fait sur des sources authentiques, contient beaucoup de détails sur des personnages protestants connus à Genève, ou ayant eu des relations avec notre ville. Il a pu être obtenu pour le prix de Fr. 100.-.

La seconde acquisition est celle du Museo italiano d’Antichita classica de Comparetti, 3 vol. in-4°. Ce superbe recueil sert en quelque sorte de préface aux Monumenti anticho dei Lencei, qui y renvoient constamment. La commission de la Société Auxiliaire a été heureuse de voter un subside de Fr. 115.- à Ia Bibliothèque pour l’aider à acquérir cette publication qui, au dire des connaisseurs, occupe une place d’honneur parmi celles qui traitent de l’histoire de l’Art.

On voit, par ces deux exemples, combien le Fonds auxiliaire est appelé à rendre Ce précieux services à notre grand établissement municipal.

Souhaitons-lui bonheur et prospérité, sous forme de nombreux donateurs. Ils savent d’ores et déjà que leur argent sera judicieusement employé.

Nous pourrons formuler le même vœu en ce qui concerne le fonds du Livre de l’Université, qui a été créé en vue de la publication du second volume de l’ouvrage de M. le professeur Borgeaud sur notre Alma Mater. Cette œuvre impatiemment attendue, mais qui entraîne des frais considérables, mérite d’attirer l’attention de tous ceux – et ils sont nombreux parmi nous – qui s’intéressent à notre vieille institution genevoise. MM. James Odier, Guillaume Favre, Ernest Martin, nous ont remis chacun Fr. 1000.- pour ce compte spécial, et votre comité a décidé de verser à son crédit, comme l’an dernier, une somme de Fr. 1000.-, ce qui porte son capital à environ Fr. 4200.-.

Mais ce n’est encore là qu’une faible partie du chiffre nécessaire à l’achèvement de cette entreprise magistrale. Nous nous permettons donc d’adresser un chaleureux appel à toutes les bonnes volontés pour nous aider à mener à bien une œuvre essentiellement genevoise.

Mesdames et Messieurs,

Vous venez d’entendre le résumé de notre activité pendant l’exercice 1905-1906. II nous semble que nous avons lieu d’être fiers des services rendus par notre Société, et reconnaissants de ce que les ressources mises à notre disposition suivent une marche toujours ascendante. Notre fortune, à cette heure, est d’environ Fr. 118.000.-, et en comprenant les fonds à destination spéciale (fonds Moynier, Schwytzguebel, fonds Auxiliaire de la Bibliothèque) elle approche de Fr. 180.000.-.

Nous avons aussi recruté bon nombre de nouveaux membres, dont plusieurs nous ont versé la cotisation unique de Fr. 100. -.

Mais d’autre part, la mort infatigable a fait bien des vides dans nos rangs, et les demandes deviennent chaque année plus nombreuses. N’oublions pas aussi que la situation financière de l’Etat lui impose et lui imposera longtemps encore, je le crains, une stricte économie. Si nous voulons donc que notre Université rende tous les services qu’on attend d’elle, il nous faut sans nous lasser, pratiquer une active propagande pour grossir le nombre des adhérents à notre Société.

Convaincus de l’utilité et de la grandeur de notre tâche, convaincus surtout que rien ne saurait remplacer l’initiative individuelle, nous travaillerons ensemble au bien de cette Université, qui, sous le nom d’Académie de Genève, a été dans le passé l’un des fleurons de notre cité, et que nous sommes décidés à transmettre à nos descendants prospère et glorieuse.