Rapport annuel de la présidence 1906-1907

Barthélémy BOUVIER, président
16 novembre 1907

 

 Mesdames et Messieurs,

Savez-vous ce que c’est qu’un Kymographion ? plusieurs des membres du Comité que vous avez investi de votre confiance, l’ignoraient absolument lorsqu’il et à délibérer sur la première demande de l’exercice. Un Kymographion est un appareil qui sert à enregistrer l’intensité de la pression artérielle en même temps que l’amplitude et la fréquence des pulsations du cœur et qui fournit un graphique de ces indications. Le laboratoire de pharmaceutique expérimentale que dirige M. le Professeur Mayor poursuit, depuis plusieurs années, des travaux sur l’effet des médicaments. L’instrument dont vous venez de faire la connaissance lui était nécessaire, il lui sera d’un usage journalier. Nous avons été heureux de participer par une allocation de Fr. 500.- à son acquisition, dont le solde a pu être obtenu du Département de l’Instruction publique.

Nous vous avons exposé, dans un des dix-sept rapports présidentiels que vous avez déjà entendus, quelle était notre manière de procéder vis-à-vis des demandes qui nous sont adressées. Ces demandes sont d’abord l’objet d’un tour de préconsultation au cours duquel ceux de nos collègues qui ont des compétences spéciales, scientifiques ou littéraires expriment un premier examen si la demande est de celles que nos statuts et aussi l’état i de nos ressources nous permettent d’entretenir et que votre premier examen lui ait été propice, il est nommé une commission qui s’abouche avec l’auteur de la demande, complète nos informations et rapporte à la séance suivante. Votre Comité se prononce alors sur le crédit sollicité, et s’il ne peut l’allouer en entier, il s’efforce d’en trouver un complément au dehors. C’est ainsi qu’à bien des reprises, des Sociétés amies ou même des particuliers ont complété un crédit que nos seules ressources ne nous auraient pas permis d’envisager.

Au cours de la présente année, votre Comité à pensé qu’il obtiendrait une répartition plus rationnelle et plus équitable de ses allocations si les demandes qui nous sont adressées, pouvaient être au préalable soumises au bureau du Sénat de l’Université. Nous avons exposé ce désir à cette haute autorité et nous avons reçu de M. le Recteur l’assurance que les membres de ce bureau, dans lequel, tous le savez, chacune des facultés est présentée, nous prêteraient leurs bonnes volontés et leurs lumières aussi souvent que nous aurions à les solliciter.

Nous vous avons entretenus précédemment des précieux résultats obtenus par la première expédition de M. le professeur Jules Nicole en Egypte. Notre collection de papyrus comportait jusqu’à cette année plus de deux cents manuscrits ; elle est une des plus intéressantes d’Europe; ses pièces les plus remarquables sont les suivantes :

Un texte de la Genèse, des fragments inédits d’un commentaire de l’Iliade, des archives militaires du 1er siècle, un catalogue d’œuvres d’art conservées à Rome à l’époque impériale et des fragments de comédie du Laboureur de Ménandre.

Cette collection est conservée avec une sollicitude que justifient le grand âge et la fragilité des manuscrits qui la composent ; ceux-ci, habitués depuis des siècles au climat sec si chaud de l’Egypte, ne sont pas sans péril, transportés sous notre ciel. On peut entrevoir le moment où, malgré les plus savantes précautions, la destruction les atteindra, et où les musées européens n’en conserveront que des images photographiées. Qu’ii nous soit permis d’exprimer le souhait que ces reproductions soient faites dès maintenant, dans des conditions qui en assurent la durée.

Au mois de décembre de l’année dernière, quelques-uns des amis et anciens élèves de M. Nicole, désireux de voir leur maître entreprendre une nouvelle mission, prirent l’initiative d’en réunir le viatique. Ils nous demandèrent notre participation et leur demande nous parvint avec l’appui unanime de la Faculté des Lettres. Il importait d’utiliser, sans plus de retard, la somme d’environ Fr. 5,000.- qui avait été recueillie par souscription publique et qui put être ainsi appliquée exclusivement en achats de papyrus. Le prix de ceux-ci augmente sans cesse et les occasions se font de plus en plus rares.

Le butin rapporté par M. Nicole ne le cède en rien à celui de son premier voyage. Nous ne mentionnerons ici que les fragments étendus de l’Apologie d’Antiphon, une des pages les plus célèbres de l’éloquence grecque, fréquemment citée par d’autres écrivains, mais dont il ne nous a été conservé que des fragments épars. Antiphon avait participé au coup d’’état qui, en 411 avant notre ère, avait aboli la constitution démocratique d’Athènes et l’avait remplacée par une oligarchie de privilégiés. Le nouveau Gouvernement avait duré que quelques mois, et Antiphon dont le rôle avait été marquant dans l’assemblée usurpatrice, fut traduit en justice pour crime de haute trahison. C’est sa défense dont Thurydide disait qu’elle était la plus belle qui eût jarnais été prononcée, que M. Nicole a retrouvée en grande partie. Les quatre manuscrits que sa bonne étoile et sa perspicacité lui ont permis d’acquérir, sont maintenant déposés dans notre Bibliothèque ct Antiphon a cette rare fortune de demeurer célèbre, même après que son œuvre principale a été rendue à la lumière.

M. le professeur Charles Sarasin dirige depuis huit ans l’enseignement de la géologie et de la paléontologie. Le budget de l’instruction publique n’avait pas permis jusqu’ici qu’il lui fût adjoint aucun aide, en sorte que le professeur en était réduit à se servir lui-même d’assistant et de préparateur. Ce n’est qu’à partir de 1908 qu’un crédit pourra être inscrit au budget pour ce laboratoire. Des travaux intéressants auraient donc été retardés jusqu’à cette date si nous n’avions été appelés à participer aux frais de cet intérim.

La Société Académique a fait, il y a quelques années, l’acquisition de la collection de fiches éditées par le Concilium bibliographicum de Zurich, dans plusieurs domaines des sciences naturelles. Ces fiches numérotées d’après un ordre qui permet de les consulter rapidement. comportent l’achat simultané de meubles construits à leur usage et dans lesquels elles sont classées.

Suivant un accord intervenu avec la bibliothèque publique où cette collection était déposée au début. M. le Directeur du Museum a bien voulu en prendre la charge, en opérer le classement et donner les renseignements nécessaires aux travailleurs qui les consultent. La Bibliothèque et le Museum étant obligés de dépenser chaque année une somme importante pour l’abonnement aux fiches nouvelles, la Société Académique a été sollicitée de participer pour moitié à l’acquisition d’un nouveau meuble classeur, qui était devenu indispensable. Votre Comité a pu se convaincre de l’utilité de cette collection aussi remarquable par le travail qu’a nécessité sa création que par les services qu’elle peut rendre.

L’abbé Rousselot, professeur au Collège de France, est l’auteur de travaux sur la phonétique expérimentale. Il a installé un laboratoire muni d’instruments ingénieux dont il est l’inventeur et dont quelques-uns de ses élèves ont transporté l’usage dans d’autres villes universitaires de France. Ces instruments servent à l’analyse physiologique et physique de la parole ; ils enregistrent la durée, la hauteur, l’intensité, et dans une certaine mesure le timbre des sons ; ils sont destinés à substituer à l’oreille humaine, un enregistreur moins impressionnable ; ils sont devenus les aides de la science nouvelle qui leur a donné le jour, savoir l’étude expérimentale des phénomènes du langage.

La Faculté des Lettres a jugé de son devoir d’envoyer à Paris un délégué qui put s’initier aux recherches et aux procédés de l’abbé Rousselot et à l’utilisation de ses appareils. Nous avons été heureux de prendre une part de cette mission. Il restera à la faculté de décider si l’étude de la phonétique expérimentale peut être introduite à Genève.

L’institut de botanique de l’Université possède une série de coupes de végétaux fossiles du carbonifère anglais qu’il doit à la générosité de la Société auxiliaire des Sciences et des Arts ; cette série a fourni déjà la matière de plus d’une recherche, et on vient la consulter de l’étranger. M. le professeur Chodat avait adressé à la Société auxiliaire une demande de subside, en vue d’acheter une nouvelle collection, complétant celle qui existe déjà. La Société auxiliaire nous a fait la grande faveur de nous remettre l’examen de cette demande, en mettant à notre disposition la somme nécessaire, si nous jugions opportun d’y donner suite. Il nous a paru que l’acquisition d’un ensemble de matériaux servant à expliquer l’origine et l’ancienneté des flores actuelles s’imposait, et nous n’avons pas hésité à prier M. Chodat de saisir l’occasion qui s’offrait. Nous sommes vivement reconnaissants à la Société auxiliaire des Sciences et des :Arts de nous avoir, une fois de plus, choisis comme intermédiaire de ses libéralités.

Sur la demande de M. Georges Nicole, nous avons alloué à la Faculté des Lettres Il crédit nécessaire pour acheter les 3ème et 4ème séries des photographies de la collection Bruckmann, dont nous avions acheté les deux premières séries l’année dernière. C’est une

belle collection des sculptures grecque et romaine, très bien disposée par les soins de M. de Saussure et qui peut être consultée avec une grande facilité.

En dernier lieu, Mesdames et Messieurs, nous avons contribué à l’achat d’une collection de modèles et d’appareils de démonstration, destinés à l’enseignement de la géométrie supérieure, et cela sur la demande de M. le professeur Fehr, demande approuvée par la faculté des Sciences.

Chez beaucoup d’étudiants, la conception des formes géométriques s’arrête aux formes les plus élémentaires. Il est important de pouvoir faciliter et développer chez eux la représentation idéale des figures, en mettant sous leurs yeux des modèles des surfaces, des instruments et des mécanismes qui jouent un rôle fondamental en mathématiques. Dans lia plupart des Universités, surtout en Allemagne et aux Etats-Unis, il existe des collections comprenant des modèles de surfaces en bois, en plâtre ou en fils de soie, montés sur de délicates armatures en métal.

Leur prix élevé se justifie par le soin qu’il faut apporter à leur exécution et par leur débit très limité. L’extrême variété des modèles ainsi créés, explique comment l’Université de Halle. par exemple, a consacré à leur acquisition un crédit de Rrn 4.000.- tandis que celle de Goettingue leur affecte un crédit annuel de Rm 400.-. Faute de pouvoir faire davantage, nous avons accordé pour cet objet, à la chaire d’Algèbre et de Géométrie, un crédit de Fr. 1.000.-.

Pendant cet exercice, notre fortune s’est accrue de Fr. 7,450.- ; elle atteint actuellement Fr. 125,341.10 sans y comprendre les fonds spéciaux dont je vais vous entretenir.

Cette augmentation se décompose comme suit :

Dons des Sociétés d’Etudiants Fr. 300.- ; de Mme Gabriel Oltramare Fr. 150.- ; des héritiers de M. Charles Archinard Fr. 100. – : Legs de Mme Stadnitski Fr. 5,000.- ; Versements de 4 nouveaux membres à vie Fr. 400.- ; Prélèvement sur nos ressources de l’exercice Fr. 1500.-.

Vous vous joindrez à moi, Mesdames, Messieurs, pour remercier bien sincèrement nos banquiers, MM. Ern. Pictet et Ciec, qui continuent à prendre soin de nos capitaux et à nous prêter leurs services avec une inépuisable complaisance.

Nous renouvelons à tous nos donateurs l’expression de notre reconnaissance ; nous adressons en particulier nos remerciements aux Sociétés d’étudiants qui prélèvent sur le produit de leurs soirées une part qu’ils nous réservent ; ces preuves de leur attachement, comme leur présence aujourd’hui, nous sont précieuses. Qu’ils nous permettent de leur demander de ne pas nous oublier, quand ils auront quitté les bancs de cette école. La plupart d’entre eux s’en vont continuer leurs études à l’étranger ; sitôt revenus au pays, que leur premier soin soit de s’inscrire comme membres de la Société Académique ; ils sont nos successeurs tout désignés.

 

Fonds spéciaux

Un nouveau fonds spécial a été confié à nos soins pendant cet exercice. Un généreux anonyme nous a remis en décembre dernier une somme de Fr. 5,000.- pour être portée au crédit d’un compte intitulé « Compte de Dépôts » et être tenue à la disposition de MM. les professeurs Amé Pictet, Ph.-A. Guye, L. Duparc et L. Chavannes.

 

Fonds Moynier

Le fonds Moynier a enrichi la Bibliothèque Publique de 485 fascicules de revues, relatives à la législation et à l’économie politique et sociale. Le fonds Moynier s’élève à Fr. 21.622.75.

 

Fonds Schwitzguebel

Le fonds Schwitzguebel, dont les intérêts sont affectés à la faculté des Lettres, s’élève à Fr. 6,110.95. Le fonds du livre de l’Université à Fr. 4.969.25 et le fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique à Fr. 33.363.55.

J’ai à vous transmettre, avant de terminer, une proposition qui, si vous l’acceptiez, nous remplirait de joie. Un membre dévoué de notre Société qui n’en est pas à son premier témoignage d’intérêt, s’est engagé à nous verser Fr. 1.000.-, si 24 autres personnes faisaient chacune, dans l’exercice courant, un versement de semblable somme i Notre fortune augmenterait ainsi d’un coup de Fr. 25,000.- et chacun des souscripteurs aurait la satisfaction de penser qu’en versant Fr. 1,000.- une fois pour toutes, il augmenterait en même temps nos ressources de Fr. 1.000.- par an, à tout jamais. En effet le revenu de ces 25 souscriptions de Fr. 1,000.- chacune, s’élèverait très approximativement à Fr. 1,000.- annuellement.

Nous livrons cette perspective à nos méditations bienveillantes et nous vous prions d’envoyer vos inscriptions à notre fidèle trésorier M. Arnold Pictet.

Vous n’ignorez pas, Mesdames, Messieurs, qu’un bazar doit avoir lieu dans l’Université au mois de mars prochain. Ce bazar a pour objet de réunir les fonds nécessaires pour le jubilé de l’Université en 1909. Laissez-moi le recommander dès maintenant à votre bienveillance et à votre appui.

Quelques personnes raisonnables, et vous savez que l’espèce en est nombreuse à Genève, ont dit : « Il est déplacé de faire un bazar pour préparer une fête ». Présenter ce projet sous une forme… comment dirai-je… aussi concise, c’est en méconnaître l’inspiration et en dénaturer le but.

Puisqu’on avait besoin d’argent, ajoute-t-on, que n’a-t-on fait une souscription, que ne s’est-on adressé à nous ? Et en effet, parmi ceux qui tiennent ce langage, on trouverait quelques-uns des plus fidèles et des plus généreux amis de cette maison. Mais une souscription n’aurait pas dépassé le cercle de ces intimes, elle n’aurait pas atteint toutes les bonnes volontés, jamais elle n’aurait sufi.

On a fait des bazars pour la restauration de nos églises ; en quoi l’Université serait-elle déconsidérée en usant du même moyen ? Il y a ceux qui peuvent donner leur argent et il y a ceux qui sont prêts à donner leur peine, les trésors de leurs doigts agiles, les fleurs de leur bonne grâce et les fruits de leurs esprits inventifs. Il y a aussi des hôtes étrangers qui vivent parmi nous dans le respect de nos institutions, et qui seront heureux, j’en ai l’assurance, de nous prouver leur attachement.

Pourquoi renoncer à ces concours et que pouvez- vous craindre de l’apparition éphémère, dans ces austères parvis, de quelques fleurs, de quelques drapeaux et textures, des toilettes et des sourires de nos concitoyennes ?

Et quant au Jubilé lui-même, rien qui se justifie mieux. Toutes les Universités tiennent à honneur de rappeler leurs origines ; toutes elles saisissent avec empressement les dates propices pour ressusciter leurs gloires et pour inviter leurs sœurs étrangères à venir les commémorer. Sous la forme d’un livre auquel collaborent les hommes du temps présent, elles élèvent un monument aux hommes qui les ont illustrées et servies dans le passé. Pourquoi Genève ne fêterait-elle pas le 350è anniversaire de la fondation de son Ecole, comme tant d’autres villes ont fêté successivement les leurs ces dernières années ? Elle serait coupable de ne pas le faire.

En regard de la lutte incessante et souvent fastidieuse qu’est la vie de tous les jours, de l’étouffement dont notre nationalité est menacée, il est bon de nous réunir, de travailler dans la bienveillance et la gaîté, de ranimer la flamme qui brule sur l’autel de notre commun patrimoine.

Dans son discours de réception à l’Académie, Pasteur disait : « Ce sont les Grecs qui nous ont légué un des plus beaux mots de notre langue, le mot enthousiasme. Et oeoo, un dieu intérieur. La grandeur des actions humaines se mesure à l’inspiration qui les a fait naître. Heureux celui qui porte en soi un Dieu, un idéal de la beauté et qui lui obéit : idéal de l’art, idéal de la science, idéal de la patrie… Ce sont là les sources vives des grandes pensées et des grandes actions. Toutes s’éclairent des reflets de l’infini. »

C’était aussi un reflet de l’infini qui éclairait le visage d’un de nos plus nobles ancêtres à son lit de mort. Et comme quelqu’un des siens, le voyant sourire, se penchait vers lui et lui demandait à quoi il pensait, il dit : « je pense à Genève. »

Et nous aussi, chers concitoyens, que nos visages s’éclairent et que nos yeux se remplissent de lumière quand nous pensons à notre patrie bien aimée.