Rapport annuel de la présidence 1907-1908

Arnold PICTET, président
14 novembre 1908

 

 Mesdames et Messieurs,

La Société Académique célèbre, cette année, le vingtième anniversaire de sa fondation.
Rassurez-vous ! nous n’avons nullement l’intention, pour cette année du moins, d’aller sur les brisées de notre vieille Ecole genevoise… et nous ne ferons point de fête ! Peut-être, dans 5 ans, une fois que les souvenirs du Jubilé de 1909 se seront effacés, nous  déciderons-nous, pour célébrer nos 25 années d’activité désintéressée, à avoir, à notre tour… notre petit bazar et quelques modestes festivités.

Mais, pour le moment, nous nous bornerons à apporter au bureau de notre Université ainsi qu’au Comité du Jubilé de 1909, nos meilleurs vœux pour la réussite de la grande manifestation qu’ils préparent et à laquelle tout bon citoyen, c’est-à-dire tous ceux qui s’intéressent à nos études supérieures, ne manquera pas de s’associer. La Société Académique, dont la place est bien aux côtés du Sénat universitaire, tiendra, cela va sans dire, a apporter son large tribu de la sympathie qui lui sera témoignée à cette occasion de tous côtés.

Il semble que, pour notre vingtième anniversaire, la Fortune ait tenu à nous sourire de façon toute spéciale.

En effet, si nous jetons un coup d’œil en arrière, et si nous regardons comment, d’échelons en échelons, notre fortune, si modeste il y a vingt ans, s’est augmentée grâce aux dons de nombreux amis, vous partagerez le plaisir avec lequel nous constatons aujourd’hui, que le dernier échelon franchi dépasse de beaucoup tout les précédents : notre capital, y compris celui de nos fonds à destination spéciale, s’est accru en effet pendant le dernier exercice, de près de Fr. 50.000.

Ce chiffre, Mesdames et Messieurs, mieux qu’aucune parole, vous montrera de quelle confiance est honorée Ia Société Académique. Aussi, au début de ce rapport annuel, rendons un sincère hommage de reconnaissance à tous ceux qui nous ont apporté, cette année, leur marque si généreuse d’intérêt.

Auriez-vous jamais pensé qu’un Congrès fût susceptible de rapporter de l’argent ? Nous savons à Genève, où ces manifestations internationales nous viennent plus souvent qu’à leur tour, attirées par notre renom d’hospitalité, nous savons ce qu’il en coûte et combien d’efforts il nous faut faire pour recevoir dignement nos hôtes. Or, il fut un Congrès qui, chose étonnante, vit ses comptes solder par un boni de belle importance ! Je veux parler du 1er Congrès des Anatomistes qui tint ses assises à Genève en 1905, sous la présidence de M. le professeur Eternod. Le comité de ce Congrès, après avoir soigneusement rég1é toutes ses dépenses, se trouvant disposer d’un bénéfice de Fr. 3.347 eut l’excellente idée d’en faire don à la Société Académique. Nous tenons tout spécialement à remercier ici M. le professeur Eternod et ses dévoués collaborateurs de cette marque d’intérêt.

Plusieurs de nos amis qui s’associaient de leur vivant au but que nous poursuivons, ont tenu à nous laisser un témoignage de leur estime : nous avons reçu un legs de Fr. 1000 de M. Frédéric Mayor ; de la famille de M. Ernest Stræhlin Fr. 1000 également, en souvenir du regretté professeur de l’histoire des religions ; et des enfants de M. Arthur Chenevière, Fr. 500 en souvenir de leur père. Qu’il nous soit permis d’exprimer à leurs familles toute notre reconnaissance.

Puis d’autres amis, que nous voyons avec plaisir nous seconder chaque année, n’ont pas manqué, cette fois encore, de nous combler de leur générosité ; ce sont, M. Edmond Chenevière, avec un nouveau don de Fr. 250 ; M. Barthélemy Bouvier, qui nous apporte encore Fr. 50 ; et M. Guillaume Favre, qui nous verse à nouveau Fr. 200 dont une moitié pour notre Fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique, et l’autre moitié pour notre Fonds spécial du « Livre de l’Université ». La Société de Belle-Lettres a bien voulu prélever en notre faveur, cette année encore, Fr. 50 sur le produit de sa dernière soirée. Nous sommes tout particulièrement heureux de nous sentir entourés de la sorte, et nous remercions sincèrement ces généreux amis de ce qu’ils font pour nous.

Enfin, cinq nouveaux membres à vie sont venus adhérer à nos statuts ; ce sont : MM. Albert Lombard, Aloys Gautier, Moise Briquet et Eugène Pallard et Mlle Nancy Coulin. Toute notre gratitude est acquise à ces nouveaux collègues.

Parmi les savants qui professèrent à Genève, l’un d’entre eux s’intéressa tout particulièrement au développement de notre Université et à notre Bibliothèque publique ; ce fut le professeur Auguste Reverdin, dont les travaux, dans le domaine de la chirurgie, jouissent de la renommée universelle. Tant en dehors de son enseignement que comme professeur à notre Faculté de Médecine (on se souviendra qu’il enseigna de 1880-1887 la connaissance pratique des instruments de chirurgie, dont beaucoup étaient de son invention, et qu’il fut de 1900 à 1908 professeur de policlinique chirurgicale) Auguste Reverdin ne cessa un instant de travailler pour l’honneur scientifique de notre vieille cité genevoise.

Or son fils, M. le docteur Albert Reverdin, désireux de perpétuer la mémoire de l’illustre chirurgien et pour bien affirmer l’attachement qu’il voua constamment à nos études supérieures, vient de faire à la Société Académique, en souvenir de son père, un don magnifique de Fr. 40.000. La moitié de cette somme, suivant le désir du généreux donateur, sera versée au capital ordinaire de notre Société, tandis que l’autre moitié augmentera d’autant notre Fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique et universitaire. Mais il est bien convenu, et en cela nous ne faisons qu’observer nos statuts, que seuls les intérêts provenant de cette importante donation pourront être employés à l’œuvre que nous poursuivons.

Nous ne saurions trop rendre hommage au fils d’avoir de façon si magnanime rappelé la mémoire de son illustre père et nous l’assurons de notre profonde reconnaissance.

Ces nombreuses marques d’intérêt, jointes à celles, plus nombreuses encore, que nous avons reçues au cours de notre existence, ont largement contribué à établir, dans les proportions réjouissantes où elle se trouve aujourd’hui, Ia petite fortune que vous nous avez appelés à gérer. Celle-ci se monte à Fr. 154.038,10, auxquels viennent s’ajouter nos Fonds à destination spéciale, et qui sont, le Fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique et universitaire, avec un capital de Fr. 53.807 ; le Fonds Moynier, avec un capital de Fr. 21.622,75 ; le Fonds Schwitzguebel, avec un capital de Fr. 6124,80 et le Fonds Spécial du Livre de l’Université, avec un capital de Fr. 5278,20.

Voyons maintenant, Mesdames et Messieurs, quelles ont été les allocations que nous avons été sollicité de faire pendant l’exercice qui vient de s’écouler.

Parmi les travaux que M. le professeur Yung a publiés, ou qui ont été entrepris suivant ses conseils dans l’Institut qu’il dirige, ceux qui ont trait aux variations de longueur que subit, sous l’influence du régime alimentaire, le tube digestif de divers animaux sont des plus remarquables ; on se souviendra longtemps encore des captivantes conférences que notre professeur de zoologie donna sur cette question, il y a une année à peine. Or, il y aurait, pour la science, un intérêt capital à étendre aux animaux aquatiques et plus spécialement aux Poissons, dont la physiologie, en ce qui concerne la digestion, est chose encore obscure, des recherches analogues à celles dont je viens de parier. Mais ces travaux exigent une installation perfectionnée que ne possède pas notre Institut de zoologie et c’est pourquoi M. le professeur Yung a sollicité de nous une somme de Fr. 635,80 pour l’acquisition de quatre grands aquariums et leur installation aux côtés de ceux, moins perfectionnés, qui existent déjà dans les sous-sols de notre Université.

Du reste, ceux d’entre vous qui visitèrent l’Exposition des curiosités naturelles, organisée à l’occasion du Bazar du Jubilé par M. Yung et son personnel, purent admirer la belle installation dont dispose maintenant le savant naturaliste. Là vont se poursuivre les recherches qui sont à l’ordre du jour et déjà nombre de Poissons y sont en observation, depuis les fameux Catfishs, hideux avec leur large bouche armée de barbillons, jusqu’aux plus beaux représentants de la faune de notre lac, des Truites de belle taille. Ici, ce sont de tout petits Cyprins nés au Laboratoire et dont on suit le développement depuis l’œuf ; là, de superbes Perchtes-soleil dont les écailles reflètent les plus belles nuances de l’arc-en-ciel. Voici encore quelques sujets abondamment nourris, le ventre rebondissant, et qui vivent béatement, tandis que d’autres, subissant à l’instar de Succhi un jeûne prolongé, ne semblent guère, pour cela, s’en porter plus mal. Des Axolotls, des Tritons, des Salamandres et même de simples Crapauds, en un mot tout un petit monde frétillant et alerte, viennent encore témoigner des patientes recherches qui se poursuivent dans nos Laboratoires de zoologie.

Nous avons été heureux de contribuer, selon nos moyens, à la réussite des travaux de M. le professeur Yung, dont Ia demande fut, du reste, appuyée par le Bureau du Sénat.

Des Sciences passons aux Lettres.
C’est encore au Bazar du Jubilé qu’il vous a été donné d’entendre le phonographe enregistreur dont M. Georges Thudichum, privat-docent à la Faculté des Lettres, s’est servi jusqu’à présent pour illustrer les cours qu’il donne au Séminaire de Français moderne, ainsi qu’à nos cours de vacances. Cet instrument, destiné à enregistrer et à reproduire exactement Ia parole du professeur, fut acquis il y a 8 ans par les soins de notre Société et n’a cessé depuis lors de rendre à notre Faculté des Lettres d’innombrables services. Mais la Science a progressé ; partout ailleurs, dans la plupart des Universités étrangères, l’on se sert pour enseigner la diction de phonographes autrement plus perfectionnés que celui que

M. Thudichum avait à sa disposition et qui, usé par le travail qu’il a fourni, demande à être remplacé.

M. le professeur Bernard Bouvier, comme Recteur à cette époque, appuyant une demande de subsides, du reste pleinement justifiée, nous disait : « Parmi nos privat-docents, il y en a peu qui méritent davantage d’être encouragés. M. Georges Thudichum a acquis dans l’enseignement de la phonétique pratique et de la diction française une véritable maîtrise. J’ai assisté à la séance du Congrès des Philologues modernes d’Allemagne, récemment réuni à Hanovre, où un hommage unanime lui a été rendu. Et cette séance, tout entière consacrée à la question de l’emploi du phonographe ou du gramophone pour l’étude des langues vivantes, a témoigné de l’importance, aujourd’hui partout reconnue, d’une méthode que M. Thudichum à été le premier à pratiquer. »

Votre comité a été unanime à reconnaître le bien fondé de cette demande en accordant au Séminaire de Français moderne une somme de Fr. 500 pour l’acquisition d’un phonographe perfectionné.

Puis ce fut la Faculté de Médecine qui vint frapper à notre porte.
Les travaux anatomo-pathologiques qui se poursuivent sous la savante direction de M. le professeur Askanazy, à l’lnstitut pathologique, exigent que les pièces anatomiques que l’on étudie soient conservées à l’état frais. En effet, une étude approfondie de ces pièces, qui demande souvent plusieurs jours, surtout si l’on veut en faire un examen microscopique soigné, devient impossible si elles ne sont conservées dans un appareil frigorifique approprié. Or, l’Institut pathologique ne possédait pas de glacière, cet appareil indispensable, aussi bien pour les recherches originales que pour les études de nos jeunes étudiants en médecine, et désireux d’en acquérir une, M. le professeur Askanazy, avec l’appui du Doyen, M. le professeur Laskowsky, s’est adressé à nous. Nous n’avons pas hésité à lui accorder les Fr. 500 nécessaires à cette acquisition.
Tel est, Mesdames et Messieurs, le résumé de notre activité pendant l’exercice écoulé.

Et maintenant, profitons de l’occasion qui nous est donnée de célébrer ensemble notre vingtième anniversaire, pour jeter un coup d’œil en arrière et pour suivre, dans leurs grandes lignes, les principales péripéties qu’à traversées notre Société depuis sa fondation.

L’idée de créer à Genève une Société Académique, semblable à celles qui existaient déjà, à Bâle depuis 1835 et à Berne depuis 1884, germa tout d’abord dans le cerveau de quelques étudiants de notre Université, en 1887. L’un d’entre eux, M. Eugène Choisy, dans les conclusions d’un travail qu’il présentait à la Société de Zofingue, attirait l’attention sur les services que rendent à l’enseignement supérieur les deux Sociétés déjà existantes et sur l’avantage que notre Université retirerait d’une semblable Association.

Mais, à qui s’adresser pour réaliser ce beau projet ? A qui demander l’appui, financier cela va sans dire, nécessaire à la création d’un capital susceptible d’être augmenté parla suite, comme la boule de neige qui, roulant sans cesse, s’agrandit toujours ?

Un comité d’initiative, choisi parmi ceux de nos étudiants que cette question préoccupait le plus, se mit immédiatement à l’œuvre pour intéresser à la cause qui leur était si chère les amis de nos hautes études. M. Charles Borgeaud fut nommé président de ce comité et un appel, lancé au peuple genevois, l’invita à s’intéresser à l’œuvre entreprise.

Nous devons rendre ici un sincère hommage de reconnaissance à MM. Eugène Choisy et Charles Borgeaud, ainsi qu’au comité qu’ils dirigèrent avec tant de dévouement. C’est à leur travail, à leur activité de tous les instants que la Société Académique dut d’être constituée. Et la meilleure marque de gratitude qui puisse leur être adressée, c’est de constater que leur appel, dès le début, rencontra un bel enthousiasme ! De tous côtés les demandes d’adhésion affluent ; de toutes parts de généreux amis nous apportent leurs dons ; nos Sociétés d’Etudiants rivalisent de zèle, et Zofingue et Belles-Lettres organisent ensemble au Théâtre, à notre profit, une représentation de gala qui remporte un éclatant succès. En un mot, chacun tient à prouver, d’une manière ou d’une autre, son attachement à la jeune et vaillante société, qui se réunit en Assemblée constitutive le 16 mai 1888. Dans son rapport, M. le président Borgeaud constate que « la Société Académique se fonde avec 300 membres, un fonds capital versé de dix mille francs, et un revenu annuel de plus de mille francs, formé de cotisations assurées. »

Dès la première année, la Société Académique entre en fonctions et, grâce à un don spécial, favorise déjà notre Université d’une allocation de Fr. 5600. Son capital est alors de Fr. 17.000. Au bout de 10 ans, nous possédons Fr. 56.000 et le montant total de nos allocations s’élève à Fr. 40.700. Aujourd’hui, après 20 années d’efforts, notre fortune est de Fr. 154.000 et le chiffre global des subsides accordés à l’Université par la Société Académique, depuis sa fondation, s’élève à la somme de Fr. 90.503,80.

Les actifs promoteurs de notre société, ainsi que nos prédécesseurs au sein de votre comité, seront fiers de voir de quel succès a été couronnée l’œuvre qu’ils entreprirent.
Vingt années se sont écoulées. Et parmi les hommes dévoués que vous avez appelés successivement à la tête de votre société, il en est un qui, dès la première heure (et dans un instant encore vous aurez une nouvelle preuve de l’amitié et de l’assiduité qu’il voue à notre œuvre) n’a cessé de nous apporter les précieux conseils de son expérience. Qu’il me soit permis de me faire votre interprète pour remercier chaleureusement M. Barthélemy Bouvier du travail désintéressé qu’il a apporté à notre comité pendant 20 ans.

Les services, déjà importants, que la Société Académique a pu rendre jusqu’à présent à nos études supérieures ne sont pas dus qu’à ceux de nos membres dont le versement unique vient s’ajouter à notre capital. Il convient également d’en attribuer une large part à ceux d’entre vous qui, chaque année, nous versent une cotisation annuelle. Celle-ci n’est nullement capitalisée; elle vient augmenter d’autant nos revenus et est employée directement à nos allocations.
Mais il importe peu que vous vous libériez en une seule fois ou que ce soit par des versements annuels : ce qu’il faut, pour la réussite plus complète de notre œuvre, c’est de voir, en plus grand nombre encore, le public genevois se grouper autour de notre drapeau.

Le premier rapport financier qui vous ait été présenté constatait, qu’en 1889, la Société Académique comptait 405 membres ; le chiffre de ceux-ci atteignait son maximum quelques années plus tard ; mais, depuis lors, il n’a cessé de diminuer, parce que les nouveaux arrivants n’étaient plus assez nombreux pour repourvoir les places laissées vacantes par les décès : aujourd’hui, nous sommes à peine plus nombreux qu’il y a 20 ans.

Pourquoi ce désintéressement (de nos jours, hélas, trop répandu) des choses qui touchent à notre passé le plus brillant ?

Est-ce le moment, alors que toute la Genève scientifique va s’associer au Jubilé de l’illustre Ecole que, jadis, elle fonda elle-même, de méconnaître la gloire qu’elle lui valut pendant 350 ans ? Oublie-t-on que c’est notre ville qui, avec Bâle, a formé, d’après les recherches de notre éminent concitoyen Alphonse de Candolle, le plus grand nombre de savants distingués ?

Genève doit à son passé, à son renom scientifique, de conserver ses anciennes traditions, qui, de tout temps, l’ont placée au premier rang des villes universitaires.

Trop de personnes nous ignorent ; et c’est pourtant le devoir de tout Genevois vraiment patriote de témoigner sa sympathie à notre Université ; car c’est bien une œuvre de patriotisme que celle qui conserve les saines traditions d’un pays.