Rapport annuel de la présidence 1910-1911

Dr Henri AUDEOUD, président
18 novembre 1911

 

 Mesdames et Messieurs,

La Société Académique termine aujourd’hui sa L vingt-troisième année ; après de modestes débuts, elle a pu étendre peu à peu le cercle de son activité, et a conquis la sympathie non seulement de ceux qui ont des attaches directes avec notre Université, mais aussi du nombreux public qui s’intéresse, à Genève, à la culture supérieure.

Nos prédécesseurs avaient un faible pour leur Académie, dont la fondation et le développement étaient liés d’une manière si intime à l’histoire de Ia cité ; ils savaient, quand cela était nécessaire, faire pour elle de très grands sacrifices. Vous pourrez vous rendre compte que leurs descendants n’ont point démérité et qu’ils donnent, eux aussi, de nombreux témoignages de leur vif attachement à notre ancienne école.

Le nombre de nos membres a progressé, en effet, cette année, d’une manière réjouissante ; à la dernière assemblée générale, il était de 488 ; nous avons eu le chagrin de perdre 6 de nos sociétaires par décès, et nous avons enregistré t démission ; par contre, 55 nouvelles adhésions portent à 536 le chiffre actuel de nos membres, chiffre qui, cependant, devrait être plus élevé. Nous recommandons particulièrement aux étudiants qui reviennent se fixer à Genève après la fin de leurs études de ne point oublier la Société Académique.

Il est un ami disparu dont le nom doit être rappelé aujourd’hui : c’est Gaspard Vallette. Il fut un des fondateurs de notre Société, fit partie du comité d’initiative en 1888, et mit toute son ardeur à recruter des adhérents. Il nous était resté fidèle, car il aimait la cause de l’Université, et celle-ci avait reconnu son haut mérite en lui décernant, en 1909, le diplôme de docteur ès lettres honoris causa.

Nous avons eu le plaisir d’inscrire, comme membres à vie, Mme Renée-Hélène Claparède, dont la contribution a été de 200 francs, MM. Pierre de Zoubaloff, Georges Werner, Dr Charles Ruel, Adolphe Des Gouttes, Paul Des Gouttes et Guy de Budé, qui ont fait le versement statutaire de 100 francs.

La Société de Belles-Lettres, fidèle à ses traditions, a disposé de 50 francs en notre faveur sur le produit de sa soirée.

M. Arthur King, un Américain qui aime Genève et son Université, nous a fait un nouveau don de 200 francs ; il est membre à vie depuis plusieurs années.

Enfin, la famille de M. le professeur Gustave Julliard nous a remis une somme de 1.000 francs en souvenir de celui qui compte parmi les fondateurs de l’Université, et qui n’a cessé de témoigner pendant sa longue carrière professorale un attachement profond à notre établissement d’instruction supérieure.
Nous adressons à tous ces donateurs l’expression de notre vive reconnaissance.

Grâce à nos amis, l’état de nos finances va en s’améliorant chaque année ; le montant actuel de notre fortune s’élève à 170.000 francs environ ; si nous tenons compte des fonds qui ont une destination spéciale, c’est-à-dire des fonds Moynier, Schwitzguebel, Edouard Claparède, celui du livre de l’Université et le fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique, nous arrivons, en chiffres ronds, au total de 280.000 francs, ce qui est bien encourageant, mais ne doit nullement arrêter nos efforts. Notre sœur aînée, la Société Académique de Bâle, a un capital de plus de 1.200.000 francs, avec vingt-trois fonds spéciaux ; bel exemple à suivre !

Abordons maintenant le détail des différents subsides accordés pendant l’exercice écoulé et qui justifient sans doute la considération dont nous jouissons.

L’Institut botanique, dirigé avec tant de compétence par M. le professeur Chodat, attire chaque année un plus grand nombre d’étudiants ; ceux.ci ne sauraient se passer de microscopes pour leurs travaux et l’on ne peut exiger que chacun d’eux se procure un instrument à ses frais. Ce laboratoire avait besoin de 20 microscopes, d’une valeur totale de 3.000 francs; nous lui avions accordé l’année dernière 1500 francs, en promettant de donner encore 5oo francs, si l’Etat versait le complément de 1.000 francs pour permettre l’achat complet. Nous désirons, en effet, ne pas nous substituer au Département de l’Instruction publique ; notre rôle est de l’aider quand le nécessaire vient à lui manquer. C’est donc 13 instruments sur 20 qui portent notre nom et qui rendent déjà des services appréciés.

M. le Dr Ch. Julliard, professeur à l’Ecole dentaire, nous a demandé un subside de 300 francs pour la création d’une collection de clichés à projections destinés à l’enseignement ; il s’agissait soit de microphotographies, soit de reproduction de maladies chirurgicales de Ia cavité buccale. Vous savez tous de quelle importance est, pour les étudiants, la démonstration faite de cette manière et combien elle rend les leçons plus profitables à tous les points de vue. Nous avons donc donné volontiers l’appui demandé, à condition que la collection reste la propriété de l’Ecole.

La chimie continue à marcher à grands pas, et le nombre des hommes de science qui fouillent ses secrets devient légion ; c’est dire que leurs publications spéciales augmentent de jour en jour. Pour pouvoir fournir un travail sérieux, il est indispensable d’avoir à sa disposition une bibliothèque qui contienne au moins les ouvrages de valeur. Notre Bibliothèque publique et universitaire ne peut être outillée suffisamment dans ce domaine, et MM. les professeurs de I’Ecole de Chimie ont formé une bibliothèque pour leurs laboratoires. C’est en faveur de cette collection que MM. Philippe Guye, Amé Pictet et Duparc nous ont demandé une allocation de 1.000 Frs, au sujet de laquelle le Bureau du Sénat a émis un préavis favorable. Nous l’avons donc accordée d’autant plus volontiers qu’à cette occasion, la salle a pu être réorganisée, l’Etat accordant les meubles nécessaires pour son installation complète. Elle ne compte pas moins de 2.500 volumes, et les services qu’elle rend sont de plus en plus appréciés non seulement par les professeurs et les étudiants de l’Ecole de Chimie, mais aussi par d’anciens élèves qui lui sont restés fidèles. Une dame fonctionne comme bibliothécaire.

Vous vous souvenez sans doute, Mesdames et Messieurs, de l’intéressante conférence faite ici même, il y a quelques années, par M. le professeur Nicole sur les papyrus qu’il avait rapportés d’Egypte. Sa science et sa patience lui ont permis d’en extraire des ouvrages de haute valeur. Malheureusement, ces antiques débris d’une civilisation passée sont d’une grande fragilité, et leur conservation est quelque peu précaire.

La Bibliothèque publique et universitaire en possède maintenant une collection qui est connue avantageusement au dehors et figure en bon rang dans le grand catalogue international qui vient d’être publié.

Il était nécessaire de fixer ces textes pour permettre aux savants de les manier aisément et pour faciliter les échanges avec l’étranger. C’est pourquoi, sur l’initiative de M. Barthélemy Bouvier, nous avons alloué 660 francs pour la reproduction de 45 pièces que M. le professeur Nicole a désignées comme étant les plus importantes. Ce travail délicat a été fait dans le courant de l’été par les soins de la maison Boissonnas, et, malgré des difficultés considérables, a été exécuté de façon parfaite. Elle a livré deux épreuves photographiques de chaque document, l’une sur papier platinotype teinté, l’autre sur papier bromure. Leur netteté est telle, que le texte est quelquefois plus lisible que sur l’original. Les clichés restent Ia propriété de la Bibliothèque, qui pourra en faire tirer des séries destinées à la vente et à l’échange.

Le contenu de ces papyrus est fort intéressant et leur variété extrême ; celui-ci contient des fragments des œuvres d’Homère provenant d’une édition de l’Iliade, qui contenait beaucoup plus de vers que tous les manuscrits connus. Sur 83 vers, il ne se retrouvent dans aucun autre document. Celui-là vient d’une édition de luxe de l’Oreste, d’Euripide et indique en marge les noms des personnages et les changements de rôle. Tel autre encore jette une note inattendue sur les agriculteurs du troisième siècle de notre ère; c’est une plainte adressée au centurion Julianus par vingt-cinq fermiers de Soknopéonèse contre Orsénuphis et ses frères,qui les empêchent d’ensemencer leurs champs.

Mais je n’en finirais pas si je voulais vous narrer par le menu toutes ces trouvailles, et je préfère renvoyer ceux que cela intéresse à la savante exégèse de M. le professeur Nicole.

Faisons maintenant un saut de quelque deux mille ans, et nous nous trouverons dans le présent et l’avenir. C’est, en effet, une science d’avenir que celle de l’étude de la faune microscopique de nos lacs suisses. Jusqu’à présent, en ce qui concerne le lac Léman, nous possédons l’œuvre magnifique du professeur Forel, qui est un modèle du genre, et les beaux travaux du Dr Penard. Mais il reste beaucoup de recherches à faire, et, pour cela, l’outillage moderne nécessaire manquait à notre Université. La création d’une station de zoologie lacustre était désirée depuis longtemps.

En 1909, elle fut virtuellement fondée par la formation du fonds Edouard Claparède, dont l’initiatrice fut la fille de l’éminent naturaliste. Les dons arrivèrent peu à peu, mais la somme recueillie n’était pas encore suffisante pour assurer la bonne marche de cette nouvelle branche d’activité. Cette année a vu le couronnement de l’œuvre ; de nouveaux amis s’y sont intéressés et nous ont apporté des ressources importantes : M. Brunner, un de nos compatriotes établi à Naples, les petits-enfants d’Edouard Claparède, M. Alexandre Claparède, M. le professeur Emile Chaix, M. le professeur F.-A. Forel, la Société de Géographie de Genève, sur l’initiative de son président, M. le D. Gandolfi et un très généreux anonyme. Une allocation de la Société d’utilité publique nous est encore annoncée.

Votre Comité a décidé de prélever sur son budget ordinaire 1.000 francs pour les verser à ce même fonds, ce qui en porte le total à près de 17.000 francs. La commission chargée de mener à chef l’entreprise a été formée de MM. les professeurs Yung et Claparède et de M. Arnold Pictet ; elle a droit à notre vive reconnaissance pour toute la peine qu’elle s’est donnée et pour les résultats obtenus.

La première condition pour obtenir une pêche fructueuse est d’avoir un bon bateau ; celui-ci a été enfin trouvé après maintes recherches ; d’origine anglaise, ii a déjà navigué sur la Manche, ce qui constitue de sérieux états de service. On y a installé un moteur acheté dans des conditions favorables, et, après avoir subi les réparations indispensables, il a été aménagé pour ses nouvelles fonctions. Ainsi remis à neuf, il porte le nom d’Edouard Claparède et le rappellera, s’il en était besoin, aux générations futures.

Le mercredi 11 octobre dernier, il était inauguré par une première expédition, où la science et la gaîté furent réunies sans se nuire l’une à l’autre. La commission avait bien fait les choses, et la cérémonie annoncée comportait un programme varié : visite de l’Edouard Claparède, course à Hermance accompagné d’une « mouette » où se pressait une brillante société, pêche verticale de plankton ; dragage du dépôt boueux, riche en microorganismes, qui recouvre le fond du lac ; pêche entre deux eaux ; recherche des animaux de la faune profonde. Malgré la bise et les vagues, les bocaux s’alignèrent peu à peu, promettant aux chercheurs des travaux captivants.

Vous aurez tout à l’heure la bonne fortune d’entendre M. le professeur Yung vous faire à ce sujet des démonstrations aussi lumineuses qu’originales et vous pourrez juger de l’intérêt de ces recherches.

Une aimable réception à Bellerive permit aux invités d’exprimer leurs vœux à la nouvelle station de zoologie lacustre ; M. le recteur de l’Université, M. le doyen de la Faculté des Sciences, le président de la Société Académique et d’autres encore remercièrent tous ceux qui avaient contribué à cette utile création et félicitèrent le directeur de l’Institut de zoologie du nouvel instrument de travail mis à sa disposition. Ajoutons que les pêches vont se succéder suivant les besoins du laboratoire et que des travaux spéciaux sont déjà commencés.

Les dépenses faites à ce jour ont absorbé une partie importante du capital, et les intérêts de ce qui reste couvriront avec peine les frais des nouvelles expéditions et de l’entretien du bateau. C’est pourquoi votre Comité recommande spécialement le fonds Edouard Claparède à la bienveillance et à la générosité des amis de l’Université et de la station de zoologie lacustre.

Enfin, nous ayons voté 200 francs pour compléter les subventions faites par la Société auxiliaire des sciences et des arts et la Bibliothèque publique au Dr Boubier ; leur but est l’impression du catalogue des périodiques scientifiques (sciences biologiques, physiques et médicales) qui se trouvent actuellement dans 34 bibliothèques publiques et privées de Genève.

Disons encore un mot des autres fonds confiés à la Société Académique.

Les revenus du fonds Schwitzguebel, 672 francs, ont été mis à la disposition de Ia Faculté des Lettres ; celle-ci n’a pas encore statué sur leur emploi définitif, plusieurs propositions étant encore à l’examen.

Le fonds du Livre de l’Université se monte à 10.600 francs, qui, nous l’espérons, trouveront un jour leur emploi dans le troisième volume du professeur Borgeaud sur l’histoire de l’Académie.

Les arrérages du fonds Moynier sont affectés à l’achat de publications concernant les sciences sociales, le droit, la philosophie ou l’histoire. Il n’y a pas eu moins de 793 fascicules de périodiques reçus pendant l’année écoulée1 ils sont réunis dans la salle Moynier. Ceux qui les utilisent – et ils sont nombreux – gardent une grande reconnaissance à l’homme éminent auquel ils les doivent.

Les intérêts du fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique sont mis régulièrement depuis sept ans entre les mains de la commission spéciale qui décide de leur emploi. Celle-ci a fait, en 1910-1911, l’acquisition de l’Histoire naturelle des mammifères, 4 grands volumes in-folio avec 461 planches, ouvrage classique de Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier. Elle a pu acheter la collection complète du périodique anglais d’ornithologie l’Ibis, comprenant 57 volumes reliés, avec planches en couleurs ; cette publication, qui a commencé en 1859 et se continue encore actuellement, est la plus importante des revues consacrées exclusivement à l’étude des oiseaux ; elle ne se trouve au complet dans aucune autre bibliothèque suisse.

Payée 2.250 francs, sa valeur est trois ou quatre fois supérieure à ce prix. En outre, 500 francs ont été affectés à la publication des œuvres de notre célèbre compatriote, le mathématicien Euler ; une commission internationale en dirige Ia réimpression.

Ces quelques détails montrent combien sont précieuses pour notre bibliothèque ces nouvelles ressources, qui lui permettent des achats fort difficiles autrefois.

Tel est, Mesdames et Messieurs, le bilan de notre activité pendant l’exercice écoulé. Il marque un progrès, et nous en sommes heureux ; mais ce que fait la Société Académique est peu en comparaison de ce qu’elle voudrait pouvoir accomplir. L’Etat de Genève, vous le savez, est dans une situation financière difficile; notre budget de l’instruction publique est considérable eu égard à la population; les sacrifices consentis pour les hautes études peuvent difficilement être augmentés. II y a des lacunes à combler, et ce n’est jamais en vain qu’on fait appel à l’initiative privée quand il s’agit du renom scientifique de notre petite patrie. La tâche est difficile, mais elle comporte une haute récompense, le sentiment du bien fait à l’Université que nous aimons. C’est à cette belle œuvre que nous vous demandons de nous aider.