Rapport annuel de la présidence 1911-1912

Auguste BLONDEL, président
30 novembre 1912

 

 Mesdames et Messieurs,

Tandis que l’Europe retentit du fracas des armes et semble menacée d’un bouleversement général, notre Société a poursuivi sa marche paisible et bienfaisante. Si nous n’avons pas à enregistrer d’événement notable, nous n’en continuons pas moins à nous rendre utiles, et, à côté des allocations assez importantes attribuées à nos professeurs, nous avons mené à chef l’étude d’une question primordiale pour l’avenir de notre Université.

M. le professeur Bedot nous a saisis d’un projet qui lui tenait à cœur. Ii constatait, en effet, que les progrès de la science, dans toutes les directions, et ses applications à la médecine et à l’industrie, font naître de nouvelles branches qui réclament dans les universités la place à laquelle elles ont droit De là la création de chaires nouvelles, de laboratoires, de séminaires, de collections et de bibliothèques. De là, aussi l’agrandissement des anciens locaux, et la nécessité d’en créer de plus vastes, plus conformes aux exigences modernes.

Il est évident que les dépenses entraînées par ces modifications amèneront fatalement la disparition des universités des petits pays, trop peu fortunés pour soutenir la lutte. Que deviendrons-nous à Genève, en particulier ? Nous ne possédons pas, comme nos puissants voisins, des ressources croissantes provenant soit des richesses du sol, soit des productions de lointaines colonies. Il nous faut donc, dès à présent, accumuler des réserves en prévision de l’avenir, si nous ne voulons être menacés de mort.

Des esprits clairvoyants se sont déjà préoccupés de cette grave question, soit à l’étranger, soit en Suisse. A Lausanne, le 40% des droits de graduation est versé à un fonds universitaire dont les intérêts seuls doivent être employés. A Fribourg, un fonds universitaire reçoit chaque année une partie des bénéfices de la Banque d’Etat. Bâle possède un fonds analogue qui atteint actuellement 580.000 Fr., et qui est alimenté par une partie des droits d’immatriculation et d’exmatriculation.

En présence de ces constatations, notre comité a cru de son devoir d’adresser au Département de l’Instruction publique une lettre pressante, l’invitant à créer à Genève un fonds semblable, constitué au moyen de tout ou partie des droits de graduation, afin d’assurer l’avenir d’une institution chère au cœur des Genevois. Notre lettre se terminait ainsi : « La Société académique, qui a réussi à grouper tous les citoyens qui s’intéressent activement au développement de notre Université, serait heureuse, nous n’en doutons pas, de participer à la création de ce fonds, si le projet que nous prenons la liberté de vous soumettre peut être réalisé. »

Notre lettre, très gracieusement accueillie, n’a pas encore obtenu de réponse. Mais nous ne vouions pas désespérer. Nous voulons croire, au contraire, que notre gouvernement, après avoir étudié de plus près la question, se convaincra de l’opportunité de notre requête.

Un autre de nos membres, M. le professeur Choisy, nous a entretenus, à son tour, d’une proposition qui a rencontré toute notre sympathie. A propos du grand anniversaire de 1814, il s’est demandé de quelle manière la Société académique pourrait agir utilement et faire mieux connaître notre ville et notre Université à nos Confédérés de langue allemande, afin de resserrer les liens qui nous unissent à eux.

Il a pensé – et notre comité a partagé sa manière de voir – que le meilleur moyen était de créer à l’occasion de cet événement patriotique trois bourses de 600 Fr. chacune, destinées à des étudiants de Bâle, Berne et Zurich. Ces jeunes gens, choisis par les recteurs de ces trois Universités parmi les plus dignes et les plus distingués, viendraient fréquenter nos auditoires pendant une année. Ils seraient ainsi mis à même d’entrer en contact plus intime avec nos idées, nos mœurs, nos institutions. Peut-être aussi pourraient-ils mener à bien ici quelque travail de science, de droit ou d’histoire dont ils trouveraient plus spécialement les matériaux dans nos bibliothèques ou nos laboratoires.

Nous sommes certains, Mesdames et Messieurs, que vous approuverez notre décision. Vous penserez comme nous que notre argent ne saurait être employé d’une manière à la fois plus patriotique et plus profitable aux intérêts de l’Université.

Nos allocations de cette année ont contribué à enrichir l’Université d’un nombre réjouissant d’instruments de travail.

Vous vous souvenez que nous avions fait don à la Faculté des Lettres d’une superbe lanterne à projections. Mais son grossissement étant plutôt fort, il n’était pas possible de projeter des clichés en couleurs à cause de la dispersion des rayons lumineux. Il fallait, sans augmenter la puissance de la source lumineuse, donner plus de clarté, et cela au moyen d’un objectif linéaire moindre de moitié, l’intensité lumineuse étant ainsi quadruplée. M. le professeur Vulliéty nous demandait pour l’achat de cet objectif une somme modeste que nous lui avons volontiers accordée. Les essais lui ont donné pleine satisfaction. On peut donc espérer que de nombreux professeurs et privat-docents utiliseront ce nouvel appareil. Il est appelé à rendre de grands services, non seulement à l’étude de l’histoire de l’art, mais aussi à d’autre enseignements recourant à des moyens graphiques.

Ces perfectionnements de notre lanterne à projections viennent à leur heure. Nous en avons la preuve par deux demandes qui nous sont parvenues pendant le cours de cet exercice.

M. Camille Martin, qui a déjà donné des cours sur l’histoire de l’Art (Renaissance italienne), va traiter maintenant de Ia Renaissance française, et désirait obtenir une somme de 200 Fr. pour l’achat de clichés. La requête de M. Martin, appuyée d’une lettre de M. le Recteur au nom du bureau du Sénat, a été favorablement accueillie.

M. Georges Nicole, de son côté, rêvait de compléter l’admirable collection de sculptures antiques, véritable monument d’art élevé par l’éditeur Bruckmann, à Munich. Notre Société lui avait offert les quatre premières séries comportant 1200 photographies. Or, deux nouvelles séries ont paru, avec un répertoire très commode, et nous n’avons pas hésité à les faire venir. La septième série, actuellement sous presse, contiendra les sculptures du Musée de Genève et des collections de MM. Et. Duval et Sarasin. Nous pensons que nos successeurs au comité auront soin de l’acquérir, le moment venu.

A propos de ces achats de clichés et de photographies, nous nous sommes occupés du soin de faire cataloguer et mettre en bon ordre toutes les pièces que nous avons fournies depuis des années à la Faculté des Lettres. D’accord avec le doyen de cette Faculté, nous avons décidé de les placer dans un meuble préparé expressément pour les loger, ainsi que notre lanterne à projections ; ce meuble, payé de nos deniers, restera notre propriété.

Les sciences ont eu aussi leur part dans nos libéralités. M. le docteur Mégevand, professeur de médecine légale, a plaidé auprès de nous Ia cause de son laboratoire dépourvu d’instruments indispensables pour les travaux de ses étudiants. Grâce à notre appui, il a pu se procurer un microscope de grand modèle de la maison Reichert, à Vienne, et un microtome avec appareil à congélation qui permettra de faire des préparations microscopiques immédiates. Si l’allocation de 900 Fr. se trouvait insuffisante, le Département de l’Instruction publique s’est engagé à parfaire la somme nécessaire.

La dernière allocation votée par le comité concerne notre bateau, l’Edouard-Claparède. M. le docteur Audéoud vous a conté, l’an dernier, l’histoire de sa naissance et de ses premiers débuts à Bellerive.

Dès lors, il a exécuté toute une série de campagnes dans les eaux du lac, sous l’habile et infatigable direction de M. le professeur Yung. Nous ne pouvons mieux faire que de vous donner lecture de quelques passages du rapport qu’il a bien voulu nous adresser à ce sujet:

« L’ Edouard-Claparède a vaillamment accompli le programme d’études que nous vous exposions l’an dernier. Après avoir exploré les environs immédiats de notre port, puis la région voisine d’Hermance, il s’est rendu, dès les vacances de Pâques, au port de Lutry, choisi comme centre de son activité et d’où il a rayonné tantôt dans la direction du haut lac, tantôt vers la rive savoisienne, descendant ses filets-fins et ses dragues jusqu’à 309 mètres, la plus grande profondeur de notre lac. Les résultats de ses recherches sont destinés à nos sociétés scientifiques, ce n’est pas ici le lieu d’en parler. Constatons seulement que, contrarié presque chaque jour par le mauvais temps, le petit bateau auquel nous nous intéressons a, néanmoins, fait, durant cette première année de travail, plus de cinquante sorties, qu’il a donné 176 coups de filet et pratiqué r4 draguages sur les grands fonds.

« Notre collègue, M. le Dr Arnold Pictet, et M. le D. Emile André ont continué à lui accorder leur gracieuse collaboration, et l’un des souscripteurs du Fonds Edouard Claparède, M. le duc Gandolfi-Hornyold, privat-docent à l’Université de Fribourg, lui a témoigné sa fidèle sympathie en le dotant de quelques nouveaux appareils tels que filets à fermeture de Nansen, thermomètre de Negretti et Zambra, etc., ainsi qu’en s’associant avec beaucoup de zèle à ses investigations. »

Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, I’Edouard-Claparède a répondu à ce que nous attendions de lui, et notre station de zoologie lacustre est devenue une réalité. Malheureusement, les dépenses d’achat du bateau ont absorbé une forte partie du capital, et les intérêts de ce qui reste ne réussissent pas à couvrir les frais d’entretien et ceux des expéditions, malgré l’économie stricte et le désintéressement du professeur Yung.

Aussi notre comité a-t-il décidé d’attribuer une somme de mille francs à cette intéressante entreprise.

Une partie de cette somme ira à payer les comptes dus, et le reliquat viendra grossir le capital du Fonds Edouard Claparède. Qu’il nous soit permis de recommander chaleureusement ce fonds au souvenir généreux des amis de notre jeune station zoologique.

Il nous reste à vous entretenir d’une proposition fort intéressante qui nous est parvenue par l’intermédiaire de M. Henri Correvon, le directeur du fameux jardin de la Linnæa, à Bourg-Saint-Pierre. On se rappelle que ce jardin, fondé en 1889, sous l’inspiration de l’Association pour la protection des plantes, et patronné par d’illustres savants étrangers, ne tarda pas à devenir un modèle du genre. Placé dans un site admirable, sur un cône montagneux comportant des terrasses naturelles, il renferme à cette heure 2500 espèces de plantes des montagnes de l’Europe centrale et septentrionale, et beaucoup de celles des autres montagnes du globe. On peut aisément se figurer la valeur d’une telle réunion d’exemplaires pour l’étude de la botanique alpine. Déjà un petit bâtiment a servi pendant les mois d’été à abriter les recherches de quelques travailleurs.

Le comité de la Linnæa, qui compte parmi ses membres de nombreux savants genevois, a été frappé du fait que notre Université n’a aucun jardin alpin à sa disposition, tandis que la plupart des universités suisses et nombre d’universités étrangères en possèdent depuis longtemps. Par les soins de son président, il nous a offert de nous abandonner sa propriété pour en faire profiter l’Institut botanique, mais avec la condition que nous nous chargerions des frais d’entretien de la Linnæa. Les frais, du reste, ne seraient que peu considérables, et ne monteraient qu’à quelques centaines de francs, la Confédération allouant chaque année à cette institution une subvention de 500 Fr.

Nous avons été vivement touchés de l’offre généreuse de M. Correvon, et nous croyons avec lui que, la possession par l’Université de ce jardin serait une aubaine merveilleuse pour notre enseignement botanique. Malheureusement, nous ne pouvons l’accepter, sous sa forme actuelle, nos statuts nous interdisant de nous engager à une dépense annuelle et perpétuelle. Nous espérons sincèrement que la question sera reprise sur d’autres bases et aboutira à une solution satisfaisante autant pour le comité de la Linnæa que pour notre Université.

Quant à ce qui concerne les fonds spéciaux qui nous sont confiés, je laisserai à notre trésorier le soin de vous en entretenir. Je dirai seulement que le Fonds Moynier a continué à fournir à nos étudiants le trésor de ses quarante-six revues de sciences sociales, de droit et d’histoire, qui représentent une somme totale d’abonnements de près de mille francs.

Le Fonds auxiliaire de la Bibliothèque a prouvé, une fois de plus, son incontestable utilité. Il a permis à notre établissement municipal de se procurer deux ouvrages allemands sur la paléographie latine et grecque, précieux pour l’étude des manuscrits, et un superbe volume italien : les Médaillons romains, importante contribution à la numismatique. Toujours grâce à son aide, il a pu consacrer une somme de 165 Fr. à l’acquisition de tous les volumes parus des Annales de glaciologie, revue s’occupant spécialement des glaciers, et dont la bibliothèque continuera l’abonnement. En outre, la commission du Fonds auxiliaire a décidé l’acquisition du Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient (années I900-1911) qui coûtera environ 220 francs, mais dont l’achat n’a pu encore être effectué.

Nos rapports avec l’Université ont, comme d’habitude, été empreints de la plus chaude cordialité.

Votre président fut convié à la cérémonie annuelle des prix universitaires, ainsi qu’à l’inauguration de l’herbier Reuter donné par M. W. Barbey à l’Institut botanique. A l’occasion de cette inauguration, nous avons été reçus de la manière Ia plus aimable par M. le professeur Chodat, qui nous a fait les honneurs de ses salles et laboratoire admirablement aménagés, et remplis de merveilles bien propres à attirer chez nous tous ceux que passionne l’étude de la botanique1.

Ce court tableau de la vie de notre association vous prouvera que notre activité ne s’est point ralentie, et que, moins que jamais, notre Université ne saurait se passer d’elle. Vigilante gardienne d’un patrimoine sacré, elle voudrait voir venir à elle des amis plus nombreux encore.

Si la mort nous a relativement épargnés, nous enregistrons cependant le départ de quelques-uns de nos membres fidèles et appréciés, et, en particulier, celui de M. le professeur Paul Duproix, qui nous était sincèrement attaché. Sa sœur, Mlle Lydie Duproix, nous a remis, en souvenir de lui, de Mme Julie Duproix et de M. Joseph Duproix, une somme de 150 Fr. Une autre de nos membres, Mlle L’Hoste, nous a légué 200 Fr. A ces disparus nous adressons un hommage de reconnaissance émue.

M. Arthur King, un étranger qui n’oublie jamais Genève et son Université, nous a fait remettre, comme l’an dernier, un don de I00 Fr., et M. Guillaume Favre a versé une somme égale au Fonds auxiliaire de la bibliothèque et au Fonds Ed. Claparède2.

Mesdames et Messieurs,

Lorsque j’avais l’honneur, il y a six ans, de vous lire mon rapport présidentiel, je vous annonçais que la fortune de la Société académique, y compris les dons à destination spéciale, approchait de 180.000 Fr. Aujourd’hui, elle atteint le chiffre de 272.925 Fr. C’est là une constatation qui nous réjouit ; mais combien, hélas ! nous sommes encore loin du capital qui nous permettrait de répondre d’une manière absolument complète aux exigences toujours croissantes de notre Université !

Plus que jamais nous rêvons d’une Société académique puissante, agissant librement en dehors de toute contrainte étrangère, pour le plus grand bien des études désintéressées et de notre Genève si justement fière de son glorieux passé scientifique. N’est-ce pas, Mesdames et Messieurs, ce que vous rêvez comme nous avec l’énergie, la foi et la ténacité de nos vaillants ancêtres ?

 

 

 

1 Nous devons aussi tous nos remerciements à la Société J.-J. Rousseau, qui nous a gracieusement conviés aux inoubliables représentations de l’Ariana.

2 Ce fonds s’est enrichi, en outre, des dons suivants : 100 Fr. de la Société d’utilité publique, qui nous a également fait cadeau d’un linoleum pour la cabine du bateau ; 20 Fr. de Mme G. Werner ; 50 Fr. du Dr Henri Flournoy ; 100 Fr. du Dr Ed. Martin, et 100 Fr. de Mme René Claparède.