Rapport annuel de la présidence 1912-1913

Edouard CHAPUISAT, président
29 novembre 1913

 

 Mesdames et Messieurs,

Vous me permettrez de commencer cette séance par un aveu : il y a quelques mois, ou quelques jours, – les dates ne font rien à l’affaire, – un premier courrier m’apporta le rapport d’une société que je ne nommerai pas. Je ne la nommerai pas, car, n avant même que je finisse de lire le titre imprimé sur I sa couverture, le susdit rapport glissa comme par enchantement dans un panier à papiers, habitué de longue date à happer ce genre de butin. Vous l’avouerai-je ? un deuxième courrier m’apporta, encore, le rapport d’une autre société, rapport qui disparut, lui aussi, dans la corbeille ingénieuse et béante. Je vous ferai grâce, Mesdames et Messieurs, des troisième et quatrième courriers: votre expérience personnelle est là pour témoigner que les uns et les autres, nous sommes envahis par les paperasse et les brochures, les appels et les rapports lancés par des sociétés dont le but est quelquefois utile, souvent intéressant et toujours honorable. Ces sociétés atteignent qui 25 ans, qui 50, qui 75, mais, hélas ! quel que soit leur âge, il est toujours sans pitié pour le lecteur.

Tandis que je faisais ces réflexions à la fois mélancoliques et plaisantes, _ « La rêverie est le dimanche de l’esprit », a dit Amiel, – il me revint que j’avais à vous entretenir de notre 25ème exercice. Lourde besogne. Afin de reculer, autant que possible, le moment où j’aurais à justifier devant vous du mandat confié à votre comité, je décidai de remplir un devoir singulièrement agréable. Et vous me permettrez de saluer en votre nom les magistrats et les délégués qui veulent bien honorer cette assemblée de leur présence.

Nous sommes heureux d’avoir parmi nous le chef du gouvernement genevois, M. le président du Conseil d’Etat, qui est aussi le président du département de l’instruction publique.

La présence de MM. le vice-président du Grand Conseil, le président du Conseil administratif de Ia ville de Genève ; celle de M. le conseiller administratif délégué à la Bibliothèque publique et universitaire, celle aussi de M. le vice-président du Conseil municipal, nous est également précieuse. Nous voyons dans le témoignage rendu à notre société par les magistrats genevois une nouvelle affirmation de l’intérêt qu’ils portent au développement des études supérieures.

La Société académique vaudoise et plusieurs sociétés genevoises avec lesquelles nous entretenons les meilleurs rapports sont représentées ici : en votre nom, Mesdames et Messieurs, je leur souhaite la bienvenue.

Monsieur le recteur,
Messieurs les professeurs,
Messieurs les étudiants de l’Université de Genève,

En se constituant, la Société académique a voulu, non point intervenir dans les enseignements si divers que vous donnez ou recevez, mais permettre à chacun de ses membres de stimuler – s’il en était besoin – vos importants travaux et de contribuer à leur succès. Elle a le sentiment de collaborer à vos études, ses efforts seront toujours prêts à seconder les vôtres : c’est, je crois, par ce salut amical qu’il importe de vous accueillir aujourd’hui parmi nous. La Société académique vous l’adresse bien volontiers.

Mesdames et Messieurs,

Après avoir applaudi avec vous, ici même, la remarquable conférence de notre collègue, M. le professeur Eugène Pittard, que le procès-verbal vient de résumer, votre comité s’est mis à l’ouvrage.

La première allocation qu’il ait approuvée au cours de l’exercice écoulé fut attribuée à l’Ecole des sciences de l’éducation, dit Institut J.-J. Rousseau. Nos statuts déclarent que le but de la Société académique est de « contribuer de tout son pouvoir au progrès du haut enseignement dans tous les domaines et particulièrement au développement de l’Université. » Au cours de l’enquête à laquelle, suivant l’usage, nous avons procédé, nous avons constaté que, loin de faire concurrence à l’une ou l’autre des facultés de notre

Université, l’Institut Rousseau la servait directement : la direction inscrit d’office certains étudiants à l’Université ; d’autre part, l’Institut porte sur son programme plusieurs cours universitaires. Votre comité a été unanime pour voter un subside de 2000 francs, destiné à l’achat d’ouvrages de fonds ainsi que d’appareils anthropométriques. Cette allocation a facilité les débuts d’une institution qui fait grand honneur à notre ville et qui a immédiatement conquis, par son enseignement et par ses publications, une place à part dans les milieux pédagogiques.

M. le professeur Charles-Eugène Guye nous a informés que le laboratoire de physique de l’Université avait grand besoin d’acquérir un puissant dispositif, permettant de faire le vide jusqu’à ses dernières limites. Offrir cet appareil au laboratoire, c’était lui donner la possibilité de poursuivre les études déjà commencées sur les rayons cathodiques de très grandes vitesses et d’entreprendre des recherches concernant la théorie actuelle des électrons. Notre comité a été heureux de pouvoir contribuer pour une somme de 2000 francs à l’acquisition du dispositif en question, l’Etat de Genève se déclarant prêt à compléter par un versement de 500 francs la somme de 2500 francs nécessaire.

Une autre demande, dont l’objet était, lui aussi, fort important, fut soumise à l’examen de notre comité. M. le professeur Duparc souhaitait vivement pouvoir utiliser un nouveau microscope Fedoroff et un goniomètre théodolite. Depuis deux ans, M. Duparc s’est préoccupé d’introduire à Genève les méthodes si particulières de Fedoroff, concernant la pétrographie et la cristallographie. Instruit à Pétersbourg par leur auteur lui-même, M. Duparc enseigne, seul croyons-nous en occident, cette technique nouvelle dans son laboratoire. Il appartenait à la Société académique de suppléer à l’insuffisance, dans le cas particulier, du crédit annuel et d’allouer la somme de 2500 francs réclamée. Elle l’a fait avec grand plaisir.

Les intérêts du Fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique et universitaire ont été employés par la commission spéciale à l’acquisition d’ouvrages de grande valeur. Les 3184 Fr. 90 centimes que nous avons dépensés cette année, pour enrichir l’une des collections auxquelles les Genevois s’intéressent le plus, ont servi à l’acquisition d’ouvrages en langue française, en langue allemande, en langue anglaise et en latin. Chacune de nos Facultés y trouvera son compte : les onze colonnes du Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient voisinent avec les dix tomes de l’Olympia, la grande publication archéologique allemande; l’Album paleographicum, édité à Leyde, avec les Heures de Milan, sorties des presses de Bruxelles, et reproduisant vingt-huit feuillets à peintures provenant des Très belles heures de Jean de France, duc de Berry ; et, à côté d’ouvrages scientifiques publiés à Londres et à Toronto, nous trouvons la belle reproduction phototypique des Essais de Montaigne, d’après le manuscrit appartenant à la Ville de Bordeaux. « les livres doivent être chéris comme des enfants immortels », écrivait Montaigne lui-même ; et encore : « Livres sans science, muraille sans pierre. » La commission s’est inspirée dans son travail de ces deux maximes.

Notre comité a été heureux d’apprendre la pêche miraculeuse à laquelle a servi notre petit navire, l’Edouard-Claparède. Il a permis à plusieurs savants de continuer la série d’études dont le plan vous a été précédemment exposé. Ses deux principaux centres d’opération : la Fosse de Chevran, près d’Anières, et la Grande Fosse du lac, entre Ouchy et Evian, ont été systématiquement explorés au double point de vue de la faune profonde et de la faune pélagique. M. le professeur Emile Yung a passé, en sa compagnie, toutes ses vacances d’été au petit port de Lutry, rayonnant le long de deux lignes orientées l’une sur Meillerie, l’autre sur Evian. Le matériel zoologique récolté par lui est si considérable, qu’il a dû recourir à la complaisance de plusieurs spécialistes pour en déterminer les aspects. M. Jean Piaget, de Neuchâtel, a bien voulu s’occuper des mollusques, parmi lesquels il a décrit des variétés nouvelles dans une série de mémoires publiés dans le Zoologischer Anzeiger et le Journal de conchyliologie. M. le Dr Emile Piguet a déterminé les oligochètes, et M. le Dr Thiébaud, les copépodes. M. Almeroth a consacré plus d’une année à l’étude des mêmes copépodes et des cladocères. M. le Dr Gandolfi-Hornyold, à qui nous devons le cadeau de deux nouveaux modèles de drague, s’est patiemment livré au recensement des principaux types planktoniques rencontrés dans une centaine de pêches ; il a publié quelques notes touchant à Ia technique. M. le professeur E. André s’est voué à l’étude des infusoires, et M. Arnold Pictet à celle des larves d’insectes aquatiques. Enfin, M. le professeur E. Yung a présenté au Congrès international de zoologie, réuni à Monaco en mars dernier, un premier aperçu de ses recherches sur les variations quantitatives du plankton. Son mémoire est imprimé dans les comptes rendus du Congrès.

Ainsi, l’Edouard-Claparède s’est fait connaître dans le monde savant, et des témoignages de sympathie lui sont arrivés de toutes parts » Affecté surtout à des investigations purement scientifiques, il rend, au surplus, des services aux étudiants de l’Université, qui y sont régulièrement initiés à Ia pratique des pêches profondes ; quelques-uns y ont trouvé des sujets de thèses doctorales auxquelles ils travaillent actuellement dans l’institut de zoologie.

Le champ à parcourir étant très vaste, plusieurs années seront encore nécessaires avant que les recherches entreprises au moyen de l’Edouard-Claparède puissent être résumées dans un ouvrage d’ensemble. Mais nous sommes heureux de constater que, chemin faisant, le vaillant petit bateau a déjà attiré sur lui l’attention des naturalistes, auprès desquels il jouit d’une sympathique considération. Celle-ci ne fera surement que s’accroître, si – ce dont nous ne doutons pas – le généreux concours de ses donateurs et le travail désintéressé des collaborateurs de M. Yung continuent à être assurés à notre jeune station de zoologie lacustre.

La Société académique donne, et c’est fort bien. Elle reçoit aussi, ce qui est encore mieux. La société de Belles-Lettres nous a remis une somme de 50 Fr. ; M. Arthur King, 100 Fr ; M. Ferdinand de Saussure, 200 Fr. en souvenir de Ferdinand de Saussure, le savant illustre dont notre Université a déploré la perte ; enfin, Ia famille de M. le professeur Flournoy, 200 Fr., à l’occasion du 25ème anniversaire de la Société académique ; de M. Ed. Martin, 100 Fr. M. Agénor Boissier nous a fait parvenir une somme de 10.000 Fr. en souvenir de M. Agénor Boissier, membre de notre Société. Un Fonds Agénor Boissier perpétuera dans les annales de la Société académique le souvenir de cet homme distingué, dont vous connaissiez tous le dévouement à notre pays et à ses institutions.

Un fort beau don nous a été fait par la Société auxiliaire des Sciences et des Arts pour être remis au laboratoire de physique de M. le professeur Charles-Eugène Guye et au laboratoire de chimie de M. le professeur Philippe Guye. Ce don consistait en un certain nombre d’instruments de précision d’une valeur de 3000 Fr. Ils rendront de précieux services aux laboratoires appelés à en bénéficier.

Que les généreux donateurs que je viens de signaler à votre reconnaissance veuillent bien en recevoir ici l’expression et veuillez joindre dans vos sentiments de gratitude ceux que nous devons à l’un de nos membres regrettés, M, Edouard Revaclier, qui nous fit un legs de 250 Fr.

Timeo Danaos et dona Jerentes, murmureront les esprits chagrins en prenant acte de tant de libéralités. Qu’ils se rassurent, Mesdames et Messieurs, on ne nous craint pas. On ne nous craint pas lorsque nous apportons des présents et l’on ne nous craint pas davantage lorsque nous en réclamons.

C’est ainsi que nous avons eu le plaisir d’enregistrer l’inscription comme membres à vie de :

Mme Charles Aubert (100 Fr.), M. de Gandolfi-Hornyold (100), Mme Guillermet-Rivoire (100), Mme AIbert Rivoire (100), Mme Alphonse Gautier (100), M. Lucien Brunel (100), M. Edouard Audeoud (100), Mlle Elisabeth Weber (100), M. le professeur Jaques Lebedinsky (100), Société des Vieux-Bellettriens (200), et comme membres ordinaires, de MM. Georges Schaufelberger, Dr Andreæ, Pierre Bovet.

Cotisations à vie. – MM. Prof. W. Rappard, Am Gandillon, Mlle Marguerite Odier, Mme Adrienne Coulin, MM, Pierre Lansel, Prof. Duparc (jusqu’ici membre ordinaire), E. Rasch, Louis Blondel.

Cotisations ordinaires. – Mme Duret, Mlle Delille, MM. Alfred Privat, P. Rychner, Louis Roux, Mlle Marg. Bedot, M. Henri Roche, Mlle L. Maret, Mlle S. Ferrier (en souvenir du 22 déc. 1912), Mme Etienne Rochat, .M. Victor Broux, Ami Moriaud, Ch. Bachofen, H. Cuénod, E. Ruche, D. Mirimanoff, Perceval Frutiger, René Morhardt, Camille Vidart, L. Dorsier, Mme Henriette Brot, MM. Eug. Mercier-Glardon, Aymon Pictet, Mme Cécile Diacon, M. le Prof. Ch.-E. Piguet, Mlle Clarisse Roch, Albert Martin, Robert Beaujon, Edmond Goegg, Victor Pasche, L. Martine, Emile Darier.

Nous avons besoin de grouper autour de nous de nouveaux amis de l’Université, car plusieurs de nos membres nous ont été enlevés par la mort. J’ai cité les noms de MM. Agénor Boissier et Edouard Revaclier. Nous avons eu le regret de perdre aussi Mme Jérôme Périnet, Mlle Marie L’Hoste, M. le professeur Emile Redard, M. le Dr Bastian, MM. André Bourdillon et Théodore Morin, auxquels il faut ajouter deux anciens membres de notre comité, MM. Henri Picot et Alexandre Claparède. L’un et l’autre jouèrent un rôle dans la vie politique genevoise et siégèrent au Grand Conseil ; l’un et l’autre furent aussi les fermes soutiens des entreprises qui, émanant de l’initiative privée, collaborent avec les pouvoirs publics au renom de notre ville dans le monde de la pensée. M. Alexandre Claparède fit partie de notre comité de 1892 à 1894, M. Henri Picot de 1906 à 1912. Leurs conseils y furent toujours écoutés avec Ia déférence due à leur expérience et à leur amour pour la science.

Votre comité actuel a été invité à trois cérémonies au cours de 1913. Il s’est fait représenter, le 13 mars, à la séance solennelle et au banquet par lesquels la Société d’histoire et d’archéologie célébra le 75ème anniversaire de sa fondation ; il assista à la distribution des prix universitaires ; il s’associa aux nombreux amis et disciples de M. Louis Duparc, qui fêtèrent, le 25 octobre, sa 25ème année d’enseignement.

Je ne terminerai pas cet exposé de notre activité sans vous informer que notre comité a décidé d’envoyer, en 1914, à l’exposition de Berne – et cela dans l’exposition même de notre Université  » ses rapports depuis 1888. Ils témoigneront de notre souci de servir,

suivant nos moyens, l’Université de Genève. Et, puisque ces lignes vont devenir papiers d’archives et prendront, elles aussi, petites choses disgracieuses, le chemin de la ville fédérale, je consigne le plaisir que nous ayons eu à recevoir ici, pour l’année 1913-1914 les bénéficiaires des trois bourses que, à l’occasion du centenaire de l’entrée de Genève dans la Confédération, nous avions décidé d’allouer à des étudiants d’entre les plus distingués des Universités de Berne, Bâle et Zurich.

Ces trois jeunes confédérés sont parmi nous comme un trait d’union entre Genève et les Universités qu’ils représentent. Ils sont comme ces porteurs de guirlandes qui marchaient dans les fêtes antiques, entourant d’un même cycle les groupements les plus divers.

La fondation de la Société académique n’aurait eu pour résultat que l’échange de ces témoignages fraternels, qu’il faudrait en savoir gré à son comité d’initiative, dont nous sommes heureux de voir ici plusieurs membres, et à ceux qui, tels que M. Emile Ador, comprirent, quelque dix ans avant sa constitution, le rôle qu’elle pourrait être appelée à jouer dans notre ville et dans notre pays.

D’autres orateurs, Mesdames et Messieurs, vous entretiendront de ce rôle. Pour moi, j’achève ce rapport, persuadé que si, au dire de Töpffer, « le progrès nous essouffle, nous ennuie, nous ruine et nous harcèle », il est, pour la science, comme pour nous-mêmes, une condition essentielle de vie.