Rapport annuel de la présidence 1914-1915
Frédéric GARDY, président
13 novembre 1915
Mesdames et Messieurs,
Commençons par rendre un dernier hommage à ceux de nos amis qui nous ont quittés au cours de l’exercice écoulé. La Société a eu le regret de perdre cinq de ses membres à vie : MM. William Barbey et Etienne Brocher, Mademoiselle Nancy Coulin, M. Henry Galopin, Madame Adolphe Gampert ; et treize de ses membres ordinaires, parmi lesquels MM. Alfred Dufour, Dr. G. Haltenhoff, Adrien Le Cointe, Dr Maurice Jaunin, Mesdemoiselles Caroline et Mathilde Martin-Trembley, M. Henri Vulliéty, et tout récemment, le capitaine Junod, tombé au champ d’honneur.
Le nombre actuel des membres est de 566 (soit r84 membres à vie et 382 membres ordinaires), en diminution de l9 sur celui de l’année dernière.
Il était à prévoir que, après l’effort fait pour le recrutement de notre Société à l’occasion de son 25ème anniversaire, et surtout par suite des circonstances que nous traversons, l’augmentation des membres subirait un temps d’arrêt. Souhaitons que la marche ascendante de notre statistique ne tende pas à reprendre.
Dans le sein du Comité, M. Aymon Pictet a remplacé comme trésorier M. Arnold Pictet, ce dernier ayant manifesté le désir d’être déchargé de cette fonction, qu’il remplissait depuis 1899 sans interruption, sauf pendant l’année de sa présidence. Je lui exprime ici, au nom du Comité et de la Société tout entière, l’expression de notre vive reconnaissance pour le dévouement et le zèle avec lesquels il a géré nos finances pendant ces quinze années.
Jusqu’ici, les fonctions de secrétaire étaient exercées à tour de rôle par l’un des représentants des trois sociétés d’étudiants : Belles-Lettres, Zofingue et Stella, qui assistent aux séances du Comité. Celui-ci a estimé qu’il y aurait avantage à confier cette charge à l’un de ses membres où à un secrétaire permanent pris en dehors de son sein, ce qui lui assurerait une plus grande stabilité ; il n’a pas fait encore un choix définitif, se réservant de soumettre la question à un examen plus approfondi ; en attendant, nous avons trouvé un secrétaire provisoire en la personne de notre ancien trésorier, M. Arnold Pictet, à qui on ne fait jamais appel en vain. Je saisis cette occasion d’exprimer nos meilleurs remerciements à MM. les étudiants, qui ont bien voulu jusqu’ici s’acquitter de la tâche ingrate de rédiger nos procès-verbaux ; nous comptons fermement que leurs représentants n’en continueront pas moins à assister à nos séances et à s’intéresser à la Société académique.
Nous avons reçu les dons suivants : D’un ami inconnu, qui se cache sous le pseudonyme de Civis, Fr. 500, en souvenir du Centenaire.
De Mme Georges Haltenhoff, en souvenir de son mari, le regretté professeur d’ophtalmologie, Fr. 200 ; de M. Arthur King, Fr. 400 ; de M. Lucien Brunel, Fr. 10 ; de M. Guillaume Favre, pour le fonds du livre Histoire de l’Université, Fr. 100, et pour le Fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique, Fr. 100 également.
M. Albert Vivien, décédé le 10 août dernier, a légué à la Société académique le 15% de sa fortune, après paiement de divers legs et l’extinction d’un usufruit. Ce legs pourra atteindre environ Fr. 4000. Nous enregistrons avec une vive reconnaissance ces généreuses dispositions.
Nous nous attendions à recevoir des demandes d’allocations plus nombreuses que précédemment, puisque l’Etat a été obligé de réduire les crédits extraordinaires affectés à l’Université. Tel n’a pas été le cas, et nous n’avons été sollicités que dans une mesure relativement modeste. Sans doute, la diminution du nombre des étudiants, les préoccupations extérieures, le sentiment d’instabilité provoqué par les événements, en sont-ils les causes principales. L’entrain manque pour organiser, améliorer, renouveler, quand, autour de soi, l’orage gronde et que les vagues déferlent contre les murs de la maison. Mais il semble, à certains indices, que cette période d’expectative est passée et que la vie tend de plus en plus à reprendre son cours normal, dans notre Université comme ailleurs. Preuve en soit la création de la Faculté des sciences économiques et sociales, inaugurée ici même tout récemment. La nouvelle Faculté n’est pas un simple rameau détaché de l’ancienne Faculté des lettres et des sciences sociales ; enrichie de plusieurs chaires nouvelles et d’une annexe, sous la forme d’un Institut des hautes études commerciales, elle constitue bien un organisme complet, auquel nous souhaitons un brillant avenir.
Pour célébrer sa bienvenue, nous avons accordé à cette sixième fille de notre Université une allocation de Fr. 1000, destinée à créer et à doter dès maintenant l’enseignement de l’anthropologie. Cette science, qui figure au programme de plusieurs examens de la nouvelle faculté, et qui a pris une si grande importance, n’est pas encore enseignée officiellement.
La création d’une chaire ordinaire était prévue par la loi universitaire qui a sombré il y a trois ans. Elle fut certes une victime innocente du naufrage. Elle n’avait pas soulevé la moindre objection, bien au contraire. La malchance l’a poursuivie : au moment où l’Etat, soutenu par le vœu de l’Université et l’opinion unanime, allait en proposer l’établissement, est survenue la guerre. Toute dépense nouvelle a dû être remise à des temps meilleurs. Aussi la Faculté des sciences économiques et sociales, désireuse de remédier à cette lacune, s’est-elle adressée d’une part à notre savant concitoyen, M. Eugène Pittard, Dr ès sciences, dont Ia réputation comme anthropologiste est universelle, pour lui demander de vouloir bien, en attendant mieux, donner un cours à titre de privat-docent, et d’autre part à la Société académique, qui s’est empressée d’accorder un subside, étant assurée que, dès que les circonstances seront redevenues normales, Ia place qui lui est due sera faite à l’anthropologie.
A la Faculté de droit nous avons attribué une somme de Fr. z5o, pour lui permettre d’indemniser modestement M. le prof. A. Baumgarten, chargé au semestre d’été, à titre exceptionnel, d’un cours de droit pénal spécial. M. Baumgarten a complété l’enseignement de M. le professeur Gautier à l’usage des étudiants de 3ème année. L’ordonnance des cours de M. Gautier ayant été modifiée dans l’intérêt des études, la partie spéciale du droit pénal se trouvait renvoyée à 1916 et, sans le concours de M. Baumgarten, les étudiants de dernière année eussent été privés de ce cours. M. Alfred Gautier lui-même, absorbé par les travaux de la commission du Code pénal suisse, ne pouvait augmenter le nombre de ses heures officielles.
Les intérêts généraux de l’Université ont eu leur part sous forme d’un subside de Fr. 500, destiné à faciliter l’impression du catalogue des thèses et des publications des professeurs pendant les années 1908 à 1913. Ce catalogue, qui doit faire suite aux deux catalogues publiés, l’un en 1896, l’autre en 1909, a été entrepris à l’occasion de l’Exposition nationale suisse de 1914. Une publication de ce genre présente un double avantage, en ce sens qu’elle établit le bilan de l’activité scientifique des professeurs et des étudiants, et qu’elle constitue un très utile ouvrage de références bibliographiques.
La question qui s’est imposée spécialement, cette année encore, l’attention de votre Comité, est celle de la « Linnæa », qui était pendante depuis trois ou quatre ans. Vous vous rappelez sans doute de quoi il s’agit : le jardin alpin la « Linnæa », sis à Bourg-Saint-Pierre, se trouvait sans propriétaire par suite de la dissolution du comité international auquel il appartenait, et il avait été offert successivement à diverses institutions, qui n’avaient pas pu s’en charger. En définitive, le président du défunt comité international, M. le prof. Chodat, qui avait reçu mandat et pleins pouvoirs pour en transmettre Ia propriété, sous certaines conditions, avait demandé à la Société académique d’en accepter la donation et d’en remettre l’entretien et l’utilisation à l’Institut de botanique de notre Université, ce dernier n’étant pas autorisé à en devenir lui-même propriétaire. Mon prédécesseur, M. Barth. Bouvier, dans son rapport d’il y a un an, vous a exposé les raisons pour lesquelles le Comité n’avait pas cru devoir accepter ce cadeau, à cause des charges dont il était grevé. Aussi aurez-vous quelque motif de vous étonner si je vous annonce qu’aujourd’hui la Société académique est propriétaire de la « Linnæa ». Soyez sûrs cependant que ce n’est pas sans de bonnes raisons que le Comité a changé d’avis.
Tout d’abord, les objections suscitées par les charges financières qu’entraîne l’entretien du jardin ont été levées en grande partie par l’assurance qui nous fut donnée que la Confédération continuerait à servir à la Société académique la subvention annuelle de Fr. 500 accordée jusqu’ici à Ia « Linnæa », et par le fait que la Confédération consentait en outre à verser cette année une allocation supplémentaire de Fr. 1000 destinée à la construction d’un abri-laboratoire.
D’autre part, les objections de nature juridique étaient considérées par d’excellents juristes comme étant sans fondement sérieux. Enfin, M. Chodat insistait sur l’intérêt et l’utilité que présente la « Linnæa » pour les études de biologie alpine, et déclarait que l’Institut de botanique était prêt à se charger de l’administration complète du jardin.
Le Comité, ébranlé par ces arguments, soumit la question à une commission spéciale, composée de MM. Ed. Chapuisat, R. Chodat, H. Deonna, Alb. Gampert, Paul Moriaud, Arnold Pictet et de votre président. Celle-ci préavisa à l’unanimité en faveur de l’acceptation du don de la « Linnæa » par la Société académique et élabora un projet de convention à passer entre elle et l’Institut de botanique.
Le Comité, désormais assuré que la Société ne courait aucun risque, fit siennes les conclusions de Ia commission, et c’est ainsi que, après de longs pourparlers, l’affaire fut réglée à la satisfaction de tous.
Il est probable que, sans l’intervention de la Société académique, le jardin de la « Linnæa » aurait été remis à un autre canton ou à Ia Confédération, et qu’ainsi notre Université eut été privée d’un instrument de travail de premier ordre.
En vertu de la convention conclue avec l’Institut de botanique, celui-ci en assume la pleine et entière administration, l’entretien et le développement scientifique ; la Société académique s’engage à lui allouer annuellement un subside minimum de Fr. 800, formé de l’allocation de la Confédération (Fr. 500) et des revenus du fonds de la « Linnæa ». Ce fonds atteint actuellement la somme de Fr. 3250 ; c’est dire qu’il est encore insuffisant et que nous comptons, pour l’augmenter, sur l’appui généreux des amateurs de botanique. Il importe en effet d’assurer à la « Linnæa » une existence indépendante et de larges subsides ; il ne serait pas normal que Ia Société académique est à combler chaque année le déficit au moyen de son budget ordinaire, ou que le développement normal de la « Linnæa » fût entravé par l’insuffisance de ressources.
Nous avons pensé d’ailleurs qu’il était bon que nous donnions l’exemple. En même temps qu’il acceptait la donation, le Comité décidait d’allouer à la « Linnæa » une somme de Fr. 2000 qui, ajoutée aux mille francs de la Confédération, a permis d’élever dans le jardin même un abri-laboratoire, que M. Chodat estimait indispensable pour permettre aux spécialistes d’étudier sur place les problèmes de la biologie alpine.
Le passé de la « Linnæa », les projets de travail que nous avait esquissés M. Chodat, avant qu’une décision intervînt, étaient garants de son avenir et avaient contribué à encourager le Comité dans la voie qu’il a suivie. Mais aujourd’hui déjà, nous avons mieux que des espérances et des promesses, nous avons des résultats. M. Chodat n’a pas l’habitude de perdre son temps et, à peine l’affaire était-elle réglée, avant même qu’elle fût réglée, il avait organisé un plan de travail, qui fut mis immédiatement à exécution. C’est le 1er juillet que le Comité avait pris une résolution définitive : à la fin du même mois, l’abri laboratoire était déjà monté et, dès le commencement du mois d’août, il abritait sept ou huit travailleurs. De sorte que, dans le rapport que M. Chodat m’adressait récemment sur cette première campagne et qui est imprimé à la suite de celui-ci, il a pu énumérer tout une série de travaux et d’études qui ont été effectués cet été et dont plusieurs sont prêts à être publiés.
Ces études ne portent pas seulement sur les plantes cultivées dans lie jardin même, mais aussi sur celles de la région avoisinante. En outre, M. Chodat, qui a passé lui-même six semaines à la « Linnæa », a procédé à de nombreuses améliorations du jardin.
De toute cette activité et de ses heureux résultats nous avons pu nous rendre compte de visu. Votre président avait été désigné, avec un autre membre du comité, M. H. Deonna, pour signer, à Martigny, l’acte de cession. A cette occasion, le 20 août dernier, nous avons poussé jusqu’à Bourg-Saint-Pierre, et nous avons visité notre nouvelle propriété sous la conduite de M. Chodat lui-même. Tout profanes que nous soyons en botanique, nous avons pris un très vif intérêt à cette visite, qui nous a convaincus que la Société académique avait prêté son concours à une entreprise éminemment utile pour l’avancement de Ia biologie alpine et pour l’instruction des jeunes botanistes de notre Université. Nous y avons vu au travail sept étudiants, dont trois dames, dans I’abri-laboratoire, qui nous a paru aménagé de la façon la plus pratique en même temps que la plus simple. Chacun avait mis du sien pour compléter l’outillage, et il y avait déjà un embryon de bibliothèque.
Mais je ne veux pas m’engager sur un terrain où la compétence me fait totalement défaut ; je renonce également à vous décrire tout le charme de ce monticule alpestre couvert de fleurs. Tout à l’heure vous entendiez M. Chodat. Je n’ai donc plus qu’à lui laisser la parole, non pas cependant sans avoir ajouté ce renseignement, qui montre quel accueil l’œuvre entreprise là par M. Chodat a rencontré auprès de ceux qui sont appelés à en bénéficier. Au cours d’une première visite à la « Linnæa » avec quelques-uns de ses élèves, au mois de juin, M. Chodat, prévoyant l’issue favorable des pourparlers, avait négocié l’achat d’une parcelle contiguë au jardin. Or, cette acquisition, du prix de Fr. 200, a été effectuée au moyen du produit d’une collecte faite spontanément entre eux par les élèves et assistants de M. Chodat et d’une contribution de M. Chodat lui-même ; c’est la parcelle sur laquelle s’élève précisément l’abri-laboratoire. Depuis lors, M. Chodat a fait encore, à ses frais, l’achat d’un second morceau de terrain. Ces deux parcelles ont été remises en don à la Société académique, dont elles arrondissent ainsi le domaine sans qu’il n’en coûte rien au fonds de la « Linnæa ». J’en exprime ici notre sincère reconnaissance à M. Chodat et à ses élèves.
Ainsi, Mesdames et Messieurs, ce sont les plantes et les fleurs de nos Alpes qui ont été, cette année, le principal objet des soins de votre Comité. Elles nous ont distraits parfois de la sombre réalité, et elles ont été l’occasion pour vos délégués d’une charmante excursion de quelques heures dans un site pittoresque au cœur du Valais, sur cette route du Grand-Saint-Bernard si riche en souvenirs historiques et sur laquelle plane encore l’ombre de Napoléon. Nous avons voulu qu’à votre tour, vous jouissiez d’une promenade à la « Linnæa ». A M. Chodat, qui va vous y conduire tout à l’heure comme il nous y a conduits nous-mêmes, j’adresse dès maintenant nos très vifs remerciements.
Avant de terminer, quelques mots encore sur nos fonds spéciaux.
Le Fonds auxiliaire de la Bibliothèque n’a été mis à contribution que pour une somme de 380 francs, employée à l’achat de deux encyclopédies des sciences religieuses et de la série des études de psychoanalyse publiées sous la direction du célèbre psychologue Freud, de Vienne. La période que nous traversons n’est pas favorable aux publications nouvelles de grande envergure, et il ne s’est produit encore aucune baisse sur le marché des livres d’occasion. Il est probable qu’après la guerre l’offre deviendra abondante.
Il est bon de réserver ses ressources pour ce moment-là.
Notre bateau, l’Edouard Claparède, après un trop long repos imposé par l’interdiction de la vente de la benzine, a pu reprendre, dès le mois de mars dernier, son activité habituelle. M. le professeur Emile Yung a continué ses pêches quantitatives dans la grande fosse de 309 mètres entre Lutry et Meillerie, et il a procédé à de fructueux dragages dans le voisinage des deux extrémités du lac. Ses collaborateurs et lui ont pu étudier l’exceptionnelle abondance d’organismes végétaux qui s’est manifestée au printemps et pendant l’été, et le retentissement qu’elle a eu sur le nombre des copépodes et des cladocères. D’autre part, le Service des eaux de la ville de Genève a constaté les inconvénients résultant d’une aussi grande multiplication d’êtres vivants pour la circulation normale des eaux. Ce fut là l’occasion d’études comparatives entre la méthode de la pompe, dont le Service des eaux fait usage dans ses recherches, et la méthode des filets fins employée jusqu’ici par M. Yung.
Les résultats feront sans doute l’objet de nouvelles communications auprès de nos sociétés scientifiques.
Cet été, l’Edouard Claparède a reçu la visite de plusieurs savants étrangers, qui ont suivi avec intérêt ses travaux et, lors du centenaire de la Société helvétique des sciences naturelles, au mois de septembre dernier, il a eu l’honneur d’avoir pour témoins de ses recherches les membres de la section de zoologie, plus particulièrement compétents pour juger de leur valeur. Ajoutons que le bateau est en ce moment mouillé au port de Lutry, d’où il évolue dans le haut lac.
L’emploi de nos autres fonds spéciaux ne donne lieu cette année à aucune observation particulière.
Telle est en raccourci l’histoire de notre Société pendant sa 27ème année. Vous voyez, Mesdames et Messieurs, qu’elle ne s’est pas trop ressenti des événements extérieurs et qu’elle a été à peu près normale.
Si nos fonds ont subi une certaine dépréciation, nous pouvons espérer qu’elle n’est que passagère. Du reste, leur revenu n’est pas diminué. Trop heureux sommes-nous d’en être quittes à si bon compte et de pouvoir enregistrer une nouvelle année de travail, passée dans la tranquillité et la sécurité, alors qu’ailleurs règne la dévastation et s’accumulent les ruines. Puisse mon successeur enregistrer dans un an un résultat meilleur encore et célébrer, avec le retour de la paix dans le monde, un regain de vie pour notre Société et pour notre Université.