Rapport annuel de la présidence 1918-1919

Albert RICHARD, président
8 novembre 1919

 

 Mesdames et Messieurs,

Il y a dix mois à peine que se tenait notre dernière assemblée générale, retardée par l’épidémie de grippe. En cette courte période, l’histoire du monde a pu enregistrer les événements les plus considérables et inscrire quelques dates désormais éternelles. Par contre, la Société académique – si parva licet componere magnis – a vécu des jours tranquilles.

Fidèle à la tâche qu’elle s’est donnée, de contribuer de tout son pouvoir au progrès du haut enseignement dans tous les domaines et particulièrement au développement de l’Université, elle a, dans la mesure de ses forces, continué à soutenir les institutions créées par elle et apporté son concours à plusieurs chaires et laboratoires de cette belle et grande « maison » dont  elle ambitionne d’être la marraine.

Dans tous les pays, chez nous comme dans les Etats belligérants, l’enseignement universitaire a profondément souffert pendant ces cinq années de guerre.

A ces heures troublées, peu propices à la recherche scientifique, a succédé une époque de transition, de tâtonnements, où l’humanité déçue du présent, inquiète de l’avenir, semble s’engager dans des voies nouvelles.
Au milieu de cette crise économique et sociale, que vont devenir les études supérieures ?
Risquent-elles d’être sacrifiées aux exigences immédiates de la vie matérielle ? La philosophie devra-t-elle céder le pas aux préoccupations de la lutte pour l’existence ?

Sans poser la question de savoir si le budget de l’Etat pourra faire face aux dépenses sans cesse croissantes des diverses facultés, – ce qui, à notre avis, ne doit pas même être discuté, – d’aucuns seraient tentés de redouter d’ici à quelques années un fléchissement du nombre des candidats aux carrières libérales.

Plus que jamais pourtant, pour remplacer tous ceux qui sont tombés sur le front de la bataille, pour fournir à la collectivité des guides sûrs, éclairés par les leçons du passé, pénétrés des méthodes impartiales, il faut préparer des ouvriers de l’esprit. C’est la fonction de l’Université, étrangère aux luttes des partis pour la conquête du pouvoir, gardienne fidèle des vérités proclamées par ses savants, inspiratrice d’intelligences et de caractères.
Rôle toujours plus nécessaire, plus utile, non seulement au pays qui considère l’enseignement supérieur comme la garantie de ses libertés, mais à tous ceux qui continuent à être attirés par le flambeau de notre académie.

Songeons aussi – noblesse oblige – aux devoirs impérieux que nous imposera le rôle de Genève dans la Société des nations.

En souhaitant ici la bienvenue à Monsieur le délégué de la Ville de Genève, à Monsieur le vice-recteur, ainsi qu’à Messieurs les professeurs qui honorent cette séance de leur présence, nous tenions à leur manifester ces sentiments de confiance en l’avenir de l’Université. Qu’ils sachent que la Société académique s’efforcera toujours plus de seconder leurs efforts et qu’ils peuvent compter sur sa collaboration.

C’est une des joies du comité de la Société académique de constater le développement continu de la « Linnæa », le beau jardin de Bourg-Saint-Pierre, qui, sous la direction de M. le professeur Chodat, est devenu un laboratoire de botanique sans pareil en Europe.
Cette année encore des travaux de premier ordre y ont vu le jour et cette activité maintient et élargit la réputation de notre institut de botanique.
Grâce à une étude récente de géographie économique due à M. Robert Chodat, nous avons pu faire connaissance avec cette contrée pittoresque de Bourg-Saint-Pierre aux toits couverts de lichens rouges et or. La nature y est rude. Le montagnard qui a semé son seigle en août doit attendre la récolte jusqu’au mois de septembre de l’année suivante. Pour protéger les semis de légumes contre le gel tardif de mai et de juin, il les couvre de branches de sapins. M. Chodat note avec soin les diverses espèces de cultures potagères, les plantes sauvages utilisées dans la région pour l’alimentation de l’homme et des animaux, les espèces médicinales d’une rare abondance.
Le savant auteur de cette monographie remarque avec finesse que les maîtres d’école sont plus informés de la géographie mondiale et des produits exotiques que des plantes les plus communes du pays suisse. « Il est temps qu’on réagisse, s’écrie-t-il, et qu’on s’organise à observer, à réapprendre à connaître les richesses naturelles du sol natal. » Nous nous associons de tout cœur à ce vœu si légitime et nous félicitons le directeur de la « Linnæa » d’avoir, par cette remarquable communication, donné une description si exacte au point de vue géographique, botanique et économique de la contrée où est situé notre domaine de la « Linnæa ».
Messieurs les professeurs Chodat, Lendner et leurs élèves ont, en outre, étudié plusieurs genres particuliers de fleurs de la « Linnæa », tels le lilium Martagon, la scutellaria alpina, les campanules, décrivant des espèces et genres nouveaux et enrichissant ainsi considérablement la littérature florale suisse.
Passant de la montagne au lac, nous apercevons, bercé par les flots tranquilles du port de Lutry, l’Edouard Claparède, se reposant des croisières de cet été. Au cours de ses sorties, M. le professeur André a poursuivi ses recherches sur les infusoires pélagiques et récolté un abondant matériel d’enseignement. Il était accompagné d’un de ses élèves qui étudie – pardonnez-moi tant de mots techniques – le phyto-plancton.

A la Faculté des Sciences encore, nous avons été heureux de répondre favorablement à une demande de M. le professeur Guyénot qui désirait acquérir un certain nombre d’instruments pour le laboratoire de zoologie et d’anatomie comparée. Grâce à ce subside, complétant une allocation de l’Etat, le nouveau et distingué professeur de zoologie se procurera une série de microscopes, des microtomes et un centrifugeur.

C’est aussi pour saluer la nomination de M. le professeur Weber, chargé de l’enseignement de l’anatomie normale, que nous avons accordé une allocation importante destinée à renouveler une partie du matériel du laboratoire d’anatomie.

Sollicités par le chef de la clinique ophtalmique de nous intéresser à la publication de la Revue générale d’ophtalmologie, qui dorénavant paraîtra à Genève, nous avons estimé que l’initiative de M. le professeur Gourfein était de nature à faciliter la diffusion des

observations faites à notre université. A ce titre, elle méritait notre appui, et nous espérons que ce périodique suscitera des recherches et procurera aux médecins et étudiants un instrument de travail apprécié.

Grâce à la fondation Gillet, nous avons heureusement pu étendre notre rayon d’action et accorder des subventions aux chaires d’histoire et de géographie.

Une allocation a été versée à M. le professeur Borgeaud qui souhaitait pouvoir consacrer plus de temps à l’achèvement de son ouvrage sur l’Histoire de l’Université.

Nous avons maintenu aussi la subvention votée pour le cours de l’histoire de l’Art, et nous avons appris avec satisfaction que M. Waldemar Deonna avait l’intention de remplacer chaque semaine une heure de théorie par quelques causeries dans les salles mêmes du musée d’Art et d’Histoire. Il nous paraît que ces leçons de choses, ces promenades artistiques vivifieront cet enseignement en même temps qu’elles feront mieux connaître les œuvres composant nos collections publiques.

Notre comité a décidé d’attribuer une partie des revenus du fonds Gillet à la chaire d’anthropologie, dans l’idée de permettre à M. Eugène Pittard, récemment nommé professeur ordinaire, d’abandonner une partie de son enseignement secondaire et de se vouer entièrement au développement de son activité scientifique.

Enfin, une autre chaire de la Faculté des Sciences, celle de géographie physique, ayant été également transformée en chaire ordinaire, un subside spécial a été mis à la disposition de M. le professeur Emile Chaix pour l’achat de cartes et instruments. Ainsi, dès le début, les étudiants ont-ils pu profiter : d’un matériel dont, sans le concours de la Société académique, ils eussent été privés sans doute pendant plusieurs années.

Le Fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique s’est intéressé, à juste titre, à la publication du deuxième volume consacré à la Grèce par MM. Frédéric Boissonas et Daniel Baud-Bovy, et a souscrit un exemplaire de Cyclades et Crète. Il a, en outre, procédé à l’acquisition du Cartulaire général de l’ordre des hospitaliers de saint Jean de Jérusalem par Delaville Le Roulx et participé aux frais d’abonnement de diverses revues.

C’est dans la salle où nous sommes réunis que, le 30 septembre, Monsieur le recteur ouvrait la conférence interuniversitaire franco-suisse. En cinq jours de délibérations, les délégués des hautes écoles françaises et suisses rédigèrent une ample collection de vœux qui préparent la voie à des accords précieux en vue des équivalences de scolarité, d’études et de grades.

Enrichir la vie des universités et l’adapter plus étroitement aux conditions du monde nouveau, tel était un des buts de ce congrès. Nos vues et nos intentions se rattachent trop intimement à ce programme pour que nous ne saluions pas ici le succès de cette entrevue et pour que nous n’ayons pas répondu avec empressement à la demande de Monsieur le recteur qui nous invitait à participer aux frais d’impression des comptes rendus. Puissions-nous de la sorte hâter la réalisation des résolutions adoptées.

Du monde nouveau envisagé par les congressistes franco-suisses au Nouveau Monde, il n’y a qu’un pas.

Franchissons-le avec M. Borgeaud.

Vous n’avez pas oublié, en effet, Mesdames et Messieurs, la conférence, si piquante par son actualité, si savante par sa documentation que fit le distingué professeur d’histoire nationale à notre dernière assemblée sur la Nouvelle-Angleterre, berceau de la démocratie

américaine, et Genève. Un tirage à part de six cents exemplaires offerts par la Société académique à ses amis américains fut distribué à de nombreuses personnalités au début de cette année et, en particulier, aux membres de Ia délégation des Etats-Unis au Congrès de la paix. Nous nous plaisons à croire que cette brochure n’est pas demeurée étrangère au rapprochement intellectuel entre Genève et l’Amérique.

Elle a, en tout cas, rappelé à beaucoup, et à un moment particulièrement opportun, le rôle international de notre cité et ses relations constantes avec le Nouveau Monde.

La parole de M. Borgeaud a certainement frappé les cœurs américains comme un rayon de ce foyer qu’est notre université.

Pour la seconde fois, les prix Gillet ont été délivrés aux quatre élèves ayant obtenu le premier certificat de maturité dans les 4 sections du Collège. A l’honneur qui s’attache à cette distinction, à la valeur de la médaille s’ajoute, vous le savez, la remise d’une bourse de 500 francs, destinée à engager les lauréats à faire un séjour d’étude en dehors de Genève et à se familiariser ainsi avec d’autres milieux et d’autres méthodes.

Rien ne forme la jeunesse comme les voyages, chacun le sait au pays de Rodolphe Topffer. La générosité de Mme Gillet stimule non seulement le zèle des candidats à la maturité, mais les aide à compléter leur bagage scientifique par un stage dans une école suisse ou étrangère.

Les circonstances actuelles ne sont guère favorables aux déplacements. Cependant, deux titulaires du prix Gillet en 1919 sont partis, l’un pour le Tessin, où il compte étudier l’architecture locale ; l’autre pour l’Angleterre, où l’attirent les collections du British Museum.

Un étudiant de Bâle, M. Burky, auquel nous avions accordé une bourse, a achevé son deuxième semestre et nous a remis avant de partir un rapport sur le travail accompli par lui à Ia Faculté des Lettres.

Au terme de notre exposé, nous avons le regret d’enregistrer la démission de trois de nos collègues du comité, MM. Alfred Boissier, Edouard Chapuisat et Henry Fatio, qui déclinent une nouvelle réélection. Tous trois ont rendu à notre société, pendant de nombreuses années, des services dont nous garderons le souvenir et pour lesquels nous leur présentons ici l’expression de notre profonde reconnaissance.

Nous avons aussi à déplorer la mort de plusieurs membres de notre société : le docteur Charles Ladame, privat-docent pendant de nombreuses années ; M. Auguste Naville, enlevé trop tôt aux siens et à ses amis ; le docteur Henri d’Arcis, fauché au début d’une belle carrière par le fléau qui causa trop de victimes l’an dernier ; M. Louis Cramer-Micheli et M. Jean L’Huillier.

Et maintenant, Mesdames et Messieurs, un nouvel exercice s’ouvre devant nous, de nouvelles requêtes nous sollicitent. Notre plus vif désir serait d’accueillir toutes les demandes qui nous sont soumises. Pour satisfaire ces besoins si légitimes, des ressources toujours plus abondantes nous sont indispensables.

Dans l’intérêt de l’Université, permettez-moi de terminer en adressant un appel à tous nos membres, à tous nos amis pour nous permettre de poursuivre notre tâche.