Rapport annuel de la présidence 1919-1920

Albert RICHARD, président
13 novembre 1920

 

 Mesdames, Messieurs,

La première parole sera pour m’excuser d’occuper contrairement à l’usage le fauteuil présidentiel pour la seconde fois. – Rompant avec une ancienne tradition, votre comité a décidé de laisser désormais deux ans de suite dans les mêmes mains la charge, bien légère du reste, de diriger les destinées de votre association.

Il espère ainsi assurer la continuité de ses efforts et faciliter la réalisation de projets de longue haleine.
En ces temps de transformations et de bouleversements cette innovation paraîtra bien anodine.
Nous avons heureusement à vous communiquer des décisions de portée plus considérable.

Grâce à l’offre d’un groupe d’historiens qui avaient réuni voici quelques années un capital en vue de l’aménagement d’un bâtiment des archives, nous avons constitué un Fonds auxiliaire des archives d’Etat. – Etabli sur le modèle de notre Fonds auxiliaire de la bibliothèque publique, il a pour but d’enrichir nos collections officielles, d’améliorer les conditions de consultation des documents, et ses initiateurs poussent leurs ambitions jusqu’à en faire la première assise d’un futur institut des sciences historiques.

Nous avons le terme espoir de voir, avant qu’il soit longtemps, s’accroître les ressources d’un fonds dont les étudiants seront les bénéficiaires et qui contribuera à mieux faire connaître le passé de notre pays.

Dans le domaine des Lettres encore, la société académique, apprenant la situation financière précaire dans laquelle se trouvaient les cours de vacances et le séminaire de français moderne eut la satisfaction de pouvoir apporter un concours, qu’elle eût souhaité plus efficace encore, à une institution qui attire un si grand nombre d’étudiants à notre Université. Depuis leur création, les cours de vacances et le séminaire n’ont cessé de justifier leur existence tant par la valeur pratique de l’enseignement qui y est donné que par la renommée qu’ils ont acquise.

Le laboratoire alpin de la Linnæa demeure l’objet des soins constants de M. le professeur Robert Chodat. C’est dire qu’il continue à répondre entièrement à son but. Plusieurs savants étrangers ont tenu à le visiter cet été et y ont admiré les enrichissements dus à l’esprit d’initiative et de patiente méthode de son éminent directeur.

Notre société s’est encore intéressée à la botanique en patronnant le cours dans lequel M. John Briquet au semestre d’été initia un nombreux auditoire aux principes de la géographie botanique.

Toutes nos démarches ne sont pas, hélas, couronnées du même succès. – A la demande du professeur Duparc nous avons essayé de recueillir des fonds pour l’installation d’un laboratoire de métallographie destiné à l’essai des métaux. Nul ne contestera l’utilité de cette création tant au point de vue scientifique qu’au point de vue pratique. Un appel lancé à un certain nombre d’industriels ne rapporta que quelques centaines de francs, alors que nous eussions aimé procurer à M. Duparc une partie plus importante du capital nécessaire à l’exécution de ce projet.

Avant cette requête, nos ressources ordinaires avaient été mises à contribution par la Faculté de Médecine. M. le professeur Long, chargé du cours de neuropathologie désirait utiliser dans son enseignement le film cinématographique, faire servir à des démonstrations scientifiques ce procédé d’une rare précision, qui ne joue pas partout un rôle aussi noble, aussi utile. M. Long a acquis un appareil à projections et a pu au semestre d’été 1920 montrer à ses étudiants une série de cas caractéristiques présentés dans des cliniques plus riches en sujets variés que les nôtres.

Il y a là, semble-t-il, une tentative particulièrement heureuse, d’associer une invention moderne à la leçon universitaire el d’illustrer de façon suggestive l’exposé ex cathedra.

Parmi les appareils du laboratoire de physiologie figure, dès cette année, une machine centrifuge dont M. le professeur Battelli avait un urgent besoin pour ses recherches scientifiques et l’instruction de ses élèves.

Si nous revenons à la faculté des sciences, dont les sollicitations toujours plus nombreuses nous prouvent l’intense activité, nous tenons à mentionner l’allocation votée au laboratoire de psychologie pour son cabinet d’orientation professionnelle.

Notion nouvelle que celle de l’orientation professionnelle et répondant bien à un ordre de préoccupations né de la guerre. Il s’agit maintenant de reconstruire, de refaire la race, d’intensifier la production et pour atteindre ce résultat il faut aiguiller les forces humaines, s’ignorant parfois elles-mêmes, là où elles sont appelées à rendre à Ia collectivité les plus grands services.

Rechercher d’une part quelles sont les aptitudes physiques ou intellectuelles des adolescents, déterminer d’autre part les qualités nécessaires aux diverses professions, tel est le sens des préoccupations récentes de l’institut J.-J. Rousseau, sans cesse à l’avant-garde du progrès. Dès la publication de leurs travaux sur ce sujet, MM. les professeurs Bovet et Claparède eurent le bonheur de constater que ces études éveillaient un immense intérêt et répondaient à un réel besoin. Il fallait donc poursuivre l’œuvre ébauchée et la développer. Un champ nouveau d’activité attire les psychologues et les pédagogues. Aidons-les à l’ensemencer, car nous savons que leur zèle ouvre des horizons nouveaux au savoir et éclairera la route souvent obscure où l’humanité marche à tâtons. Plus que jamais nous croyons, ainsi que nous le disait récemment un des maîtres de cette université, que l’enseignement supérieur doit tendre, par delà son désintéressement, à des fins pratiques. Il demeurera le sûr garant de nos libertés s’il fournit à tous, non pas une science morte, mais des raisons de croire à un perfectionnement incessant des conditions de la vie par l’influence de l’esprit.

Vous dirai-je ici, Mesdames et Messieurs, la joie ressentie par votre comité à constater le désir ardent des professeurs de cette école, d’améliorer les méthodes d’enseignement, leur volonté d’accomplir leur noble tâche le plus largement possible ? Un véritable enthousiasme anime les maîtres de l’Université genevoise. – Nous les avons vus inquiets des difficultés matérielles de l’heure trouble où nous vivons, prêts à faire surgir de nouvelles chaires, à grouper plus heureusement certains cours, à créer des instituts où la flamme brillerait plus claire, à faire éclater les vieux cadres rigides des facultés, à appeler des spécialistes non munis du cachet universitaire, bref, à moderniser et vivifier cette grande âme qu’est l’Académie de Calvin.

Permettez-moi de vous citer une seule preuve de cet élan, encouragé dans la mesure de ses forces par la société académique.

La Faculté des sciences vient d’inaugurer un enseignement de l’histoire et de la philosophie des sciences donné non par un titulaire unique, mais par des professeurs de la Faculté ou d’universités étrangères qui entretiendront leurs auditeurs, dans de courtes séries, de l’unification du savoir, de la méthodologie générale, de la biologie du savant et des principaux problèmes d’eugénique. Programme admirable, bien fait pour former aux notions générales de la science les étudiants de toutes les disciplines et les esprits curieux de connaître l’état actuel des sciences.

Félicitons les promoteurs de ce magnifique projet, souhaitons-leur la réussite qu’ils méritent.

La société académique tient à saluer la constitution de l’Association des anciens étudiants de l’Université qui, en maintenant les liens créés entre l’Université et ses anciens disciples, travaillera dans un domaine différent du nôtre au développement de l’Université.

Les deux groupements, appelés à entretenir des rapports fréquents et amicaux, uniront leurs forces en vue de l’idéal commun qui les inspire.

Ce rapport ne serait pas complet s’il ne disait pas la participation de la société académique à la cérémonie inaugurale du buste de notre ancien président d’honneur, M. Casimir de Candolle. Ce fut pour nous l’occasion de rappeler le grand rôle joué par ce savant, son attachement à notre société au nom de laquelle il accueillit dans sa propriété du Vallon les invités du jubilé de 1909.

Nous nous sommes également associés aux manifestations organisées à l’occasion des 40 ans de notariat de notre ancien président, M. Emile Rivoire, et des 30 ans de professorat de M. Bernard Bouvier.

En dehors de l’Université, vous savez, Mesdames et Messieurs, que nous sommes chargés par les dernières volontés de notre bienfaitrice, Madame Gillet Brez, de décerner un prix aux 4 élèves réguliers ayant obtenu les meilleures notes aux examens de maturité du collège de Genève. Cette année, les 4 lauréats ont reçu 500 francs chacun pour accomplir le voyage d’études que la généreuse testatrice considérait comme une leçon de choses en même temps qu’une récompense. Parmi les titulaires nous remarquons pour la première fois – signe des temps – une jeune fille, qui nous a déjà remis un rapport sur le séjour qu’elle fit cet été dans les Grisons. Si ces voyages ne sont pas tous aussi instructifs que celui du jeune Anacharsis, ils dénotent un désir sincère d’apprendre et plusieurs révèlent un véritable don d’observation. Ils constituent en tous cas une excellente préface aux études supérieures auxquelles ces jeunes gens se destinent.

Chaque année nous avons malheureusement à déplorer la mort d’un certain nombre de nos sociétaires.

Nous avons perdu au cours de cet exercice Mme Charles Aubert, Mlle Chauvet-Hentsch, M. Otto Karmin, M. Emile Burnat, le grand naturaliste vaudois et M. Augustin de Candolle qui continuait si dignement une noble lignée de savants botanistes. Cette semaine même, la Faculté des sciences rendait un hommage ému à l’un de ses anciens professeurs qui l’a

honorée à un très haut degré et qui avait acquis une réputation mondiale, M. Théodore Flournoy. Pendant de nombreux semestres un auditoire, séduit par la puissance et l’originalité de sa pensée, se pressait au pied de la chaire de cet esprit remarquable.

Parmi les membres de notre Comité, M. Auguste Blondel qui en faisait partie depuis 25 ans a manifesté l’intention de se retirer. Nous ne le laisserons pas abandonner ses fonctions sans lui dire combien nous regrettons sa décision et sans lui exprimer notre profonde reconnaissance pour les services qu’il a rendus à la société académique. A trois reprises il en fut le président ; son expérience et son dévouement furent précieux dans nos délibérations.

Mesdames, Messieurs, la société académique considère son rôle comme un rare privilège.

Elle est fière de pouvoir s’intituler l’amie de l’Université. Pour elle l’Université de Genève est une des grandes forces de notre cité. Elle doit en demeurer le cerveau.

Nous nourrissons pour elle les plus vastes ambitions et notre sympathie sans bornes la veut grande et prospère, fidèle à sa belle mission, faisant rayonner au loin le nom de Genève.