Rapport annuel de la présidence 1920-1921
Albert RICHARD, président
5 novembre 1921
Mesdames, Messieurs,
Au début de cette 33me assemblée générale je souhaite la bienvenue à M. le délégué de la ville de Genève dont la présence sur cette estrade est un honneur auquel nous sommes fort sensibles et qui nousl1s prouve que notre rôle d’auxiliaire de l’Université n’est pas méconnu par les autorités.
Notre cité a toujours attaché le plus grand prix aux études supérieures, et nous n’ignorons pas les sacrifices énormes consentis par les budgets officiels.
M. le recteur de l’Université et Messieurs les professeurs sont chez eux, dans cette salle. Nous profitons de cette rencontre pour nous féliciter des agréables rapports que nous n’avons cessé d’entretenir avec le corps professoral et le remercier d’avoir suspendu, à l’occasion de cette réunion, les cours des diverses facultés.
C’est une attention qui touche profondément notre société. Et si l’on nous reprochait de priver, par une inconséquence coupable, les étudiants de leurs leçons pendant une heure, nous nous justifierions en répondant qu’ils auront le privilège d’entendre tout à l’heure un des maîtres de cette maison exposer un sujet du plus haut intérêt.
L’activité de la société académique se ressent du déséquilibre provoqué par la guerre. Si nous n’avons, heureusement pas, à prononcer ici le grand mot, trop banal aujourd’hui, de « crise », nous constatons cependant avec mélancolie la modicité de nos ressources, écornées par la baisse des changes, et l’augmentation des demandes que nous ne pouvons satisfaire.
Comment se procurer les fonds nécessaires pour demeurer dignes de l’Université et lui apporter, à l’heure où elle le réclame de la façon la plus pressante, l’aide que nous lui avons promise ? D’audacieux projets ont été ébauchés, mais où trouver le moyen d’accroître la fortune individuelle lorsque les sources mêmes de la richesse tarissent ?
Autrefois les alchimistes se consacraient à la recherche de la pierre philosophale – et leurs peines n’aboutirent qu’à d’amères désillusions. Les économistes découvriront-ils, eux, un remède à la misère actuelle ?
Le monde entier se tourne vers eux. Aussi croyons-nous que la Faculté des sciences économiques et sociales est appelée à jouer un rôle de plus en plus important.
Nous aurions aimé lui prêter un appui non mesuré au moment où elle réorganise son programme.
A Ia suite de la retraite de M. le professeur L. Wuarin, le cours de sociologie a été dédoublé et les étudiants pourront suivre un enseignement de sociologie pure et un enseignement d’économie sociale comprenant la prévoyance sociale et la législation du travail. Les « archives économiques » ont été transformées en un séminaire où les travaux des élèves seront dirigés par un assistant.
Le concours que la société académique avait pu annoncer au doyen étant insuffisant pour assurer l’exécution intégra1e d’un plan complet, nous avons dû nous contenter d’allouer une subvention à la bibliothèque de cette faculté. En présence des légitimes ambitions qui nous furent exprimées, nous éprouvons le besoin de nous excuser d’un geste trop mesquin.
A la Faculté de médecine, M. le Dr Hugues Oltramare, professeur de dermatologie, nous avait communiqué son désir de grouper les observations recueillies par sa clinique depuis quelques années. Nous lui avons voté une allocation destinée à l’acquisition d’un fichier et à un travail de classification qui procurera aux étudiants une précieuse documentation.
La Faculté des lettres a sollicité une subvention en faveur du cours de thème grec donné par M. Jules Dubois. Votre comité a reconnu que cette branche, qui ne figure pas au programme officiel, répondait à un réel besoin et a inscrit ce poste à son budget du dernier exercice.
Il est un institut qui, dû à l’initiative privée, contribue à répandre au loin la renommée scientifique de notre ville, c’est l’Institut J.-J. Rousseau. Dès sa création, la société académique a apporté quelques pierres à ce bel édifice. Elle continue aujourd’hui et est heureuse d’apprendre qu’une subvention de l’Etat, laissant entrevoir, espérons le, le rattachement à l’Université qui s’impose, garantit l’existence de ce laboratoire si actif et si remarquable. Grâce aussi à ces associations d’« amis » qui se sont constituées dans plusieurs cantons et qui prouvent le rayonnement de cette institution et l’admiration suscitée par l’œuvre de MM. Claparède et Bovet, les directeurs de cette école pourront poursuivre leurs investigations et leurs réformes hardies. La pédagogie doit déjà beaucoup à l’Institut Rousseau. Elle peut attendre avec confiance de ce splendide effort le rajeunissement de méthodes surannées.
Vous vous souvenez, Mesdames et Messieurs, que nous nous étions particulièrement intéressés l’an dernier au cabinet d’Orientation Professionnelle au fonctionnement duquel notre collègue M. Edouard Claparède nous avait initiés en une savante et charmante causerie. Vous me permettrez donc de vous dire que des consultations sur les aptitudes des apprentis ont été régulièrement données chaque semaine.
A côté de ces examens psychologiques et psychotechniques, l’assistant du laboratoire a réuni tes éléments d’une codification des qualités requises pour divers métiers, notamment chez les mécaniciens et les horlogers.
Si nous passons maintenant à la Faculté des sciences noris trouvons tout d’abord le jardin alpin de la Linnaea, un de nos enfants de prédilection, nous osons l’avouer. Les publications de M. le professeur Robert Chodat ont attiré sur ce coin perdu de la montagne valaisanne l’attention des savants de tous les pays.
Plusieurs botanistes se sont rendus à Bourg-St-Pierre, et l’an prochain la société des sciences valaisannes y tiendra ses assises.
M. Chodat qui, comme Fourier, se repose d’un travail par un autre travail, a le droit d’être fier de la Linnaea et perit se réjouir du succès grandissant de ce centre scientifique. Le catalogue a été achevé, la collection des plantes suisses complétée et le directeur n’exprime qu’un regret, celui de l’insuffisance des installations et des crédits. Nous partageons ce sentiment… C’est, hélas, tout ce que nous pouvons faire.
Les étudiants de l’institut de botanique accompagnent régulièrement leur maître pendant son séjour estival et en rapportent ample moisson non seulement de végétaux mais d’observations originales. M. Chodat vient de faire paraître une monographie sur les algues de la région du Grand-St-Bernard et son ardeur apparaît comme un magnifique exemple pour les disciples qu’il forme avec tant de déroulement.
La baisse des eaux du lac, inquiétante au printemps presque à l’égal de celle des changes, et qui faillit entraver la navigation, permit au contraire à notre bateau, l’Edouard Claparède, de rendre des services.
Deux fois il fut utilisé par les archéologues qui avaient assumé la tâche ardue de dresser le plan des stations lacustres. M. le professeur André a poursuivi avec ses étudiants ses études qualitatives et quantitatives sur la faune profonde du lac. Deux professeurs d’Oxford ont profité des installations de l’Edouard Claparède pour des fouilles lacustres et ont recueilli des matériaux en vue d’un ouvrage de biochimie préparé au laboratoire de zoologie de notre université.
Les appareils de dragage, de pêche pélagique, de sondages thermométriques, ne sont point restés inactifs, et c’est avec satisfaction que nous lirons prochainement dans le bulletin de 1a société vaudoise des sciences naturelles le résultat des recherches de M. André sur les lieux de fraie des ombles-chevaliers.
Au cours de nos entretiens sur les moyens d’attirer à l’Université les riches dotations indispensables de nos jours aux progrès de la science, nous avons été frappés par l’importance croissante de la génétique qui se développe rapidement dans toutes les hautes écoles.
M. le professeur Chodat, qui a introduit cette branche à l’Université, a bien voulu répondre à notre demande et nous présenter un rapport sur la fondation d’un Institut de génétique.
La génétique, qui a l’avantage de réunir les caractères de la science pure et de la science appliquée, tend à devenir la science c1e la vie. Elle domine les autres disciplines en étudiant, dans le règne végétal et animal, les variations individuelles et spécifiques, en analysant les lignées pures des races pour aboutir au contrôle de l’hérédité. Innombrables sont les domaines touchés par la génétique et qui sont appelés à bénéficier de ses indications : botanique, zoologie, agriculture, éducation, médecine, économie sociale et d’autres encore. Par ses recherches des conditions de la reproduction, cette science ouvre toutes larges des voies nouvelles à la possibilité d’améliorer les générations de plantes, d’animaux et d’hommes.
II y a là un programme propre à enthousiasmer les esprits généreux.
Ce rêve serait-il irréalisable à Genève ?
Les devis dressés, les premiers concours obtenus laissent espérer que ce projet ne demeurera pas au royaume des utopies et des chimères. Un domaine est déjà en vue. Il faudra construire des serres, des poulaillers et des étables. Cependant sans argent, nous devrions, comme Perrette, dire « adieu, veau, vache, cochon, couvée,…… ».
Que d’initiatives fécondes nous pourrions seconder si nos ressources étaient aussi vastes que nos ambitions !
La Faculté de théologie frappe aussi, très timidement, à notre porte et nous a fait savoir qu’elle désirait placer le cours de psychologie religieuse sous notre patronage.
Le laboratoire de pharmacologie, qui vient d’être inauguré, manque des instruments de première nécessité.
Comment résister à ces appels ?
La Faculté des sciences économiques et le cabinet d’orientation professionnelle comptent encore sur notre concours.
Vous faire part, Mesdames et Messieurs, de notre embarras pour répondre à ces requêtes, c’est, je n’en doute pas, gagner parmi vous quelques amis nouveaux qui nous procureront les fonds qui nous manquent.
Notre existence en marge de l’Université nous associe aux événements principaux qui marquent son histoire. C’est ainsi que nous avons exprimé nos sentiments d’admiration aux deux professeurs qui ont pris leur retraite cette année, MM. Wuarin et d’Espine dont les noms et les services resteront gravés dans les annales de l’Alma Mater.
Une incursion en dehors du domaine universitaire proprement dit nous confirmera que les lauréats du prix Gillet, décerné aux élèves qui ont obtenu le premier certificat de maturité au Collège, ont utilement employé les bourses mises à leur disposition. L’un d’eux a parcouru la région du Rhône français, étudié ses monuments, admiré ses collections, visité ses écoles ; un autre a choisi la Bretagne comme but de voyage, s’est arrêté devant les dolmens et les cromlecks, a décrit les églises, noté les traditions fidèlement conservées par une population liée au passé aussi solidement que le menhir l’est au sol ; un troisième nous entretient dans sa relation de l’université d’Harvard avec ses 5500 étudiants, ses 800 professeurs, ses 30 millions de dollars de capital.
Le fonds Gillet pour voyages répond à son but. Les bénéficiaires apprennent à voir et amassent des connaissances géographiques, architecturales ou sociales qui les aideront à trouver leur voie.
Mesdames et Messieurs, votre comité est obligé d’attacher un nœud de crêpe à son rapport.
M. Alfred Cartier, président de la Société académique en 1894-95, a été emporté par une longue maladie. Nous ne le verrons plus venir à nos séances avec sa gravité pleine de finesse, nous apporter – après avoir écouté toutes les opinions – un avis marqué au coin de l’expérience et du bon sens. Le charme qui se dégageait de sa personne, joint à cette exquise politesse qui semblait faire de lui l’homme d’un siècle disparu, lui avait attiré l’affection de tous ses collègues. Son départ est une perte pour la Société académique, un deuil pour votre comité.
Au lendemain de sa mort, M. Frédéric Gardy a rappelé dans un article ému le rôle joué par Alfred Cartier, bibliophile érudit, archéologue distingué, administrateur émérite, à la tête du musée d’art et d’histoire dont il fut l’organisateur et l’âme.
M. le professeur Alfred Gautier avait rempli pendant 14 ans les fonctions de vice-président de notre comité.
Ses travaux de droit pénal, son talent de conférencier, la valeur de Son enseignement particulièrement clair et attrayant lui avaient acquis une réputation que sa modestie ne rechercha jamais. Sa mort prématurée a causé d’unanimes regrets et la Société académique conservera fidèlement le souvenir d’un homme qui mit à son service avec tant d’abnégation son temps et ses précieux conseils.
Nous avons également eu le chagrin de voir disparaitre d’autres amis de notre société : M. le professeur Jules Nicole qui tint une si grande place à la Faculté des lettres, savant helléniste autant que fin lettré ; M. Max van Berchem, l’orientaliste dont la réputation avait forcé les portes de l’Institut de France ; M. Ernest Picot, qui représenta si dignement Genève au Tribunal fédéral ; M. Ernest Hentsch financier et philanthrope qui s’intéressait généreusement aux institutions qui sont l’armature de notre cité ; M. Auguste Rappard qui consacra une grande partie de son temps aux œuvres de charité; M. Gaston Darier, archéologue.
La liste n’est, hélas ! pas épuisée.
En rappelant la mémoire de ceux qui nous quittent, nous émettons le vœu de voir de nouvelles forces s’emparer du flambeau.
Qu’elles viennent nous aider à entretenir ce culte des hautes études qui rencontre toujours à Genève des servants nombreux et zélés.
La tâche est trop belle pour que la Société académique ne groupe pas en un faisceau serré non seulement les hommes qui doivent à cette maison leur formation intellectuelle, mais tous ceux qui croient à la mission de l’esprit dans le monde et souhaitent Ia prospérité de l’Université genevoise.