Rapport annuel de la présidence 1931-1932

Alphonse BERNOUD, président
19 novembre 1932

 

 Mesdames et Messieurs,

Les deux années qui viennent de s’écouler, considérées comme ère de crise économique dans le monde entier, ont été au contraire une période d’abondance pour votre société et cela grâce à la générosité des amis de l’Université. En effet la souscription publique si brillamment inaugurée par le précédent président M. le Professeur Pfæffli a continué d’être alimentée et nous enregistrons aujourd’hui un total de dons s’élevant à la somme de Fr. 741,380.
Ce geste magnifique témoigne à la fois de la reconnaissance et de la haute appréciation des services qu’a rendus l’Université autant que des espoirs fondés sur un heureux usage des sommes si libéralement offertes. Toutes les classes de la population ont contribué à l’effort commun. Chacun a donné selon ses moyens. Le comité de la S. A. adresse ici de chaleureux remerciements à tous les donateurs ; il a pleine conscience de l’esprit de sacrifice qui s’est manifesté dans cette occasion. Et si d’une part, il éprouve à l’égard des donateurs les sentiments que la pythie antique attribuait à la divinité, plus satisfaite de la pincée de farine présent d’un humble esclave que de l’hécatombe de cent bœufs aux cornes dorées, il ressent d’autre part, le même plaisir que le prêtre en face des offrandes opulentes, car d’avance il suppute les beautés et les ornements dont son temple, l’Université, va bénéficier.

Nous voici maintenant au-devant d’une tâche encore plus ardue que celle de récolter de l’argent.
Acquérir dit-on est difficile, conserver l’est plus encore, mais la difficulté suprême est de savoir dépenser à bon escient et au mieux des intérêts qui nous sont confiés.
Une université moderne a des besoins considérables. L’enquête préliminaire à laquelle nous nous étions livrés auprès du corps enseignant avait établi que pour satisfaire aux nécessités immédiates, il faudrait disposer d’une somme d’environ sept millions dont le montant serait affecté à la construction d’instituts, à l’installation de bibliothèques et de laboratoires, à la création de nouvelles chaires, à la fourniture d’instruments et de périodiques, en allocation de bourses et de subsides divers.

Nous ne pouvons prétendre à une université qui réunisse à la fois les avantages des établissements similaires de France, d’Allemagne et des Etats-Unis d’Amérique. Notre seule ambition consiste à mettre à la disposition des facultés les sommes qui nous ont été fournies afin de leur faire rendre le maximum de leur utilité.

Afin de nous aider à la répartition équitable des fonds de la souscription publique, nous avons eu recours à Ia commission administrative qu’a nommée l’Université et qui, entre autres attributions, est chargée de nous présenter des propositions parmi lesquelles votre comité choisira celles qui lui paraissent les plus indiquées.

Jusqu’ici la seule suggestion qui nous ait été faite consista dans la construction d’une nouvelle bibliothèque, opération que nous ne pourrions entreprendre seuls mais à laquelle nous pourrions contribuer en partie. L’aile Sud des Bâtiments universitaires actuellement occupée par la Bibliothèque Publique devenant libre, serait affectée à l’agrandissement de l’Université qui trouverait là de vastes locaux à aménager en salles de cours, salies de travail, bibliothèques de faculté, laboratoires spéciaux.

Afin de faciliter l’étude de ces transformations, votre comité a mis à la disposition de Ia commission administrative les moyens nécessaires destinés à rétribuer les projets d’un architecte.
MM. Peyrot et Bourrit ont été chargés de dresser les plans de la nouvelle bibliothèque et de l’agrandissement correspondant de l’Université. Si séduisant, cependant, que paraisse ce projet, il importe au préalable d’obtenir l’entente financière des deux administrations, qui, à des titres divers, sont responsables de l’Université et de la Bibliothèque Publique. Ce n’est que lorsque l’Etat et la Ville auront décidé en commun de ces nouvelles constructions que la Société Académique pourra leur soumettre sa participation encore éventuelle. La situation financière de l’Etat, fortement obéré par ses charges, ne laisse pas prévoir de solution très prochaine, mais nous ne doutons pas que, dès l’amélioration économique que tout le monde attend, le rajeunissement de l’Université sera le premier des objectifs.

Sans attendre que la commission administrative nous ait transmis ses propositions, votre Comité a décidé une première affectation de la souscription publique. A la suite des démarches de M. le Professeur Guyénot, la Fondation Rokefeller s’est déclarée disposée à allouer à l’Université la somme de deux cent mille francs pour Ia création d’une station de zoologie expérimentale à la condition, bien américaine, que cette somme soit doublée par des apports nationaux.

En plein accord avec le Département de l’Instruction Publique, nous avons offert 75.000 Fr. destines à l’achat et à l’aménagement du terrain, tandis que le Département s’engageait sous forme de prestation annuelle à parfaire le complément de rz5.ooo fr. Ainsi furent satisfaites les conditions de la Fondation Rokefeller et nous pûmes donner suite à notre offre.
Le terrain acquis se trouve à Chêne-Bougeries, en bordure de la route de Malagnou. Là, une surface d’environ 10.000 m2 présente les avantages requis et l’on y voit aujourd’hui s’élever un bâtiment confié aux soins de M. Chabloz architecte.
La deuxième construction à laquelle nous sommes intéressés est l’Observatoire du Jungfraujoch, dépendant de l’Université de Genève. Commencée et poursuivie dans des conditions que le froid rigoureux et persistant de ces hautes altitudes rend excessivement difficiles, la construction de cet observatoire est en voie d’achèvement. On ne peut y travailler pratiquement que du 20 août au 20 septembre de chaque année aussi doit-on procéder par étapes rapid.es et conjuguées.

D’après le rapport récent de M. le Professeur Tiercy qui s’occupe avec zèle et compétence de la direction générale de ces travaux, la grosse maçonnerie et le crépissage intérieur sont terminés, le toit abrite le bâtiment et l’on met en place les fenêtres.

Il y a encore à installer l’éclairage et l’ascenseur. Il est probable que les instruments pourront être montes dans le cours de l’année prochaine. Afin de faire face à ces dépenses, votre comité a mis à la disposition de M. le Professeur Tiercy la somme de 58.865 Fr. représentée en partie par les intérêts accumules du Fonds Diodati-Plantamour et prélevés pour complément sur le capital lui-même que l’on reconstituera plus tard, lorsqu’on sera sorti de cette période de travaux et de dépenses. Alors, l’Université disposera d’une institution unique en Europe où de nombreux chercheurs étudieront le ciel de plus près dans une atmosphère limpide et propice aux découvertes.

Les allocations que nous avons distribuées, prélevées tant sur les revenus de notre fonds ordinaire que sur ceux du capital de la souscription publique, atteignent environ trente mille francs. On peut les classer de plusieurs façons, par facultés ou selon leurs usages, en instruments, livres et publications, enseignement ou laboratoires.

Vous en connaîtrez le détail par le rapport très complet de notre trésorier. Bornons-nous ici à vous indiquer les attributions d’une manière générale.

Nous avons alloué des subsides à MM. les professeurs et privat-docent : Walther, Gielly, Piaget, Berguer, Baer, Arnold Pictet, Forrer, Hamburger, de Seigneux, Guyénot, Chodat, autant pour leur enseignement que pour leurs travaux personnels.

La publication de M. Eugène Pittard : les Tziganes, celle de M. Pierre Bovet : Vingt ans de vie, celle de MM. Thudicum et Portier : Diction et Poésie françaises, le Séminaire de français moderne, la Bibliothèque publique, la Bibliothèque de la Faculté des Sciences Economiques et Sociales, l’Association des anciens élèves de cette faculté, la Faculté de Théologie, la Société de physique et d’histoire naturelle, la Linnæa, ont reçu des allocations variées en raison de leurs besoins.

Nous avons contribué à l’acquisition d’instruments et d’appareils spéciaux. Le laboratoire de Géologie a reçu un microscope polarisant, le laboratoire de Thérapeutique un microscope, l’Institut de Physique un microphotomètre qui servira aussi à l’Observatoire et au laboratoire de Chimie Technique, l’Institut de Botanique un appareil de microphotographie, la clinique

chirurgicale de l’Hôpital cantonal un projecteur à rayons Rôntgen et un microscope, l’institut de Radiologie un squelette, Ie laboratoire d’Histologie une étuve et deux microscopes. De compte à demi avec l’Etat, nous avons contribué à une vitrine-sere pour l’Institut de Botanique. Au Sénat, nous avons remis 5.000 Fr. pour les œuvres sociales dépendant de l’Université. La bourse Gallatin de 1.500 Fr. a été renouvelée pour trois ans. Cinq prix Gillet de 800 Fr. chacun ont été remis aux élèves du Collège ayant mérité la première maturité de leur classe. Ce sont MM. Jacques Burnier, Charles Rollier, René Jotterand, Jean Brechbuhl et Jean Besse.

Vous voyez, Mesdames et Messieurs, qu’en votre nom le comité de la Société Académique a réparti les moyens que vous mettez à sa disposition aussi généralement que possible sur toutes les facultés.

Chacune des demandes qui nous ont été adressées a été le sujet d’une discussion au sein du comité et, selon le cas, renvoyée à une commission qui, elle à son tour, a pris contact avec les demandeurs et s’est entourée de tous les renseignements nécessaires à fixer sa décision.
Plusieurs fois et bien à regret nous avons dû refuser des allocations qui ne rassortissaient pas à notre activité.

Durant cet exercice nous avons eu le grand chagrin de perdre parmi nos membres à vie : MM. Dr Edouard Martin, Edmond Chenevière, Mmes Guillermet-Rivoire et Théodore Turrettini, puis perte douloureuse pour l’Université : M. le Professeur Duparc qui de tout temps fut un ami de notre Société et contribua par sa parole et son dévouement à son développement ; parmi nos membres ordinaires: MM. Henri Le Fort, Eugène Lenoir, Dr Machard, Constant Picot et Mme Yvan Mirabaud. A ces regrettés disparus nous adressons un souvenir ému et nous prions leurs familles de bien vouloir accepter l’hommage de notre sympathie respectueuse.

Les familles de Mmes Guillermet-Rivoire et Ivan Mirabaud nous ont témoigné leur attachement en nous faisant remettre un don en leur souvenir. De Mme Swigel Posternak nous avons également reçu une somme en souvenir de son mari qui, bien que n’appartenant pas à notre Société, s’intéressait vivement à son œuvre universitaire. Nous adressons l’assurance de notre sincère reconnaissance à ces généreux donateurs.

Nous avons accueilli trois nouveaux membres à vie MM. R. Bieler, Aloys Hentsch et Georges Bickel.

En terminant, je tiens à adresser mes plus vifs remerciements aux membres de notre comité pour l’exactitude et la complaisance qu’ils apportent à satisfaire les devoirs de leur charge, et tout spécialement à notre dévoué secrétaire M. Arnold Pictet, dont les procès-verbaux constituent une fidèle image de notre activité, à notre trésorier M. Charles Gautier, qui gère avec prudence et conscience la fortune de notre société.
Nous nous rendons compte que nous allons au-devant de temps difficiles. La situation obérée de l’Etat et Ia diminution de ses ressources vont l’obliger à renoncer à des dépenses utiles, nécessaires, indispensables au renom de l’Université.
C’est sur vous, Mesdames et Messieurs, sur votre appui, sur votre générosité que nous comptons une fois de plus pour nous aider dans nos efforts et pour maintenir au premier rang d’une des plus glorieuses, l’une des plus essentielles institutions de la République.