Rapport annuel de la présidence 1940-1941
Mesdames et Messieurs,
J’ai l honneur de vous présenter le rapport sur le 53ème exercice d’activité de la Société académique. Malgré la dureté des temps actuels notre société a pu, dans une proportion au moins aussi considérable que dans des années plus prospères, apporter encore à l’Université l’appui que notre haute école est en droit d’attendre d’une institution créée pour contribuer à son développement dans la plus large mesure possible. Malheureusement comme dans tant d’autres sociétés les circonstances défavorables du moment présent ont pour conséquence une diminution du nombre de nos sociétaires ; non seulement le recrutement est presque arrêté mais nous avons reçu un nombre trop considérable de démissions; nous espérons vivement que bientôt de nouveaux membres viendront en grand nombre remplacer ceux qui nous ont quittés et nous vous engageons tout à faire une active propagande autour de vous dans ce but.
Nous avons eu le regret de perdre plusieurs sociétaires que la mort nous a enlevés dans le cours de cette année. Je mentionnerai en premier Iieu M. Barthélémy Bouvier, l’un de nos membres fondateurs et ancien président, qui a eu la charge considérable de constituer financièrement la société à sa création et qui a ensuite, pendant de nombreuses années, géré ses biens en homme d’affaires avisé. Nous garderons de cet ancien collègue, qui a toujours porté le plus vif intérêt à notre société, un souvenir particulièrement reconnaissant. J’indique ensuite les noms de MM. Emile Blenk, l’un des premiers et principaux souscripteurs du Fonds pour l’Université, Bernard Bouvier, ancien recteur, Louis Cartier, Elie Dùc, Georges Thudicum, Fernand Devaud, Jacques Lebedinsky, Dr Fred. Battelli, Oswald Ehni, Bernard Wicki et Henri Dutrembley, mesdames Edmond Gautier, Edouard Favre et Alfred Bertrand.
J’adresse ici aux familles des membres défunts l’expression de tous nos regrets et de notre très vive sympathie.
Si l’effectif de nos membres a diminué, par contre nous avons reçu trois dons importants qui montrent bien l’intérêt que suscite notre société dans les divers milieux. M. le Dr Otto Pluss à Zofingue nous a fait parvenir une somme de Fr. 7oo.- à titre d’augmentation de la contribution qu’il avait versée lors de la création du « Fonds pour l’Université » et en témoignage de reconnaissance pour l’Université de Genève; il a émis le vœu que cette somme soit utilisée pour des améliorations à apporter aux laboratoires de l’école de chimie.
Madame Jacques Lebedinsky, veuve d’un docteur en zoologie, a donné Fr. 1’000.- en souvenir de son mari qui avait été jadis professeur émérite à l’Université d’Odessa et qui était devenu citoyen genevois après son établissement à Genève. Madame Lebedinsky s’est inscrite, geste touchant, pour remplacer son mari comme membre à vie de la Société.
M. le professeur Maurice Battelli nous a également fait don de la même somme à la suite du décès de son père, M. Frédéric Battelli que la Faculté de Médecine a eu le chagrin de perdre au mois de septembre dernier.
J’exprime à ces généreux donateurs la reconnaissance de la Société académique et espère vivement que leur exemple sera imité.
C’est la Faculté de Médecine qui a occupé la plus large place dans les délibérations de votre Comité ; aussi c’est par les subventions qui lui ont été accordées que je commencerai ce rapport.
Le professeur Weber nous a demandé pour l’Institut d’anatomie normale qu’il dirige et afin de pouvoir continuer les recherches qu’il poursuit avec ses assistants et plus spécialement avec le Dr A. Baumann des objectifs à inversion très lumineux que le modeste crédit de l’Institut ne lui permettait pas d’acquérir. Nous avons été heureux de pouvoir ainsi contribuer à améliorer des instruments nécessaires à cet Institut.
M. le Dr Raoul de Seigneux, nommé professeur honoraire l’an dernier, continue néanmoins à diriger l’Institut de plastique anatomo-chirurgicale, dont le siège est à la Maternité, et qu’il a créé lui-même. Dans cet institut M. de Seigneux a commencé la création d’un Musée devant contenir le plus grand nombre possible de pièces anatomiques ; cela constituera une collection unique en son genre et d’une valeur didactique de premier ordre. Pour lui venir en aide dans la continuation de ces utiles travaux, qui sont appréciés de tous les praticiens, une allocation a été accordée.
C’est justement pour faciliter à M. le professeur Cheridjian l’acquisition en vue des besoins de son enseignement d’un modèle plastique du Dr de Seigneux, permettant aux étudiants en laryngologie de se faire la main avant de procéder directement sur les malades à des examens trop souvent malhabiles, que la Société académique est aussi intervenue.
À l’Institut de physiologie, que dirigeait jusqu’ici le regretté professeur Battelli avec l’assistance du Dr Marcel Monnier, le Comité a alloué une somme importante pour acquérir, avec l’aide aussi de la Faculté de Médecine, un électroencéphalographe ; il s’agit d’un instrument moderne de la plus grande utilité pour les recherches scientifiques et chimiques, il est basé sur le même principe que l’électrocardiographe et permet grâce à une amplification considérable de détecter les courants d’action et les potentiels électriques du cerveau. Cet appareil, déjà répandu aux Etats-Unis, où il a été expérimenté par le Dr Monnier, et dans plusieurs grandes villes d’Europe, n’existe pas encore en Suisse ; il a une valeur pratique incontestable pour le diagnostic topographique des tumeurs cérébrales, des affections neurologiques diverses (troubles vasculaires, épilepsie, hystérie, encéphalopathies post-traumatiques), pour l’étude pharmacologique de l’action de diverses substances chimiques sur le cerveau, l’étude physiopathologique de certains troubles ophtalmologiques et otologiques l’origine centrale.
L’Institut pathologique du professeur Rutishauser a besoin de remplacer les microscopes nécessaires à l’enseignement, le nombre actuel des étudiants exigerait environ 80 microscopes.
En 194o, comme le mentionnait notre précédent rapport, 24 nouveaux instruments ont pu être acquis avec l’aide de fonds provenant du Département de l’Instruction publique, de la Faculté de Médecine et de la Société académique. Cette année les mêmes institutions ont pu renouveler le geste de l’an passé et l’Institut pathologique va pouvoir ainsi disposer de 48 nouveaux microscopes ce qui constitue une très notable amélioration.
L’Institut dentaire, créé en 1918 pour succéder à l’ancienne école dentaire qui avait été le premier établissement officiel de ce genre en Europe lors de sa création en 1881, est installé depuis 1932 à Ia rue Micheli-du-Crest dans un bel immeuble neuf ; mais son service de prothèse ne disposait encore que d’’un vieux matériel et en particulier de fauteuils non inclinables datant de plus plus de 4o ans.
Pour répondre là la demande de M. le professeur Ackermann, le Comité a accordé la somme nécessaire pour l’achat d’un fauteuil muni de tous les perfectionnements modernes, ainsi que d’un tour électrique. Dans une petite cérémonie qui a eu lieu en présence des étudiants à la clinique de prothèse de l’Institut de Médecine dentaire le 24 mai et à laquelle des représentants de notre Comité ont pris part, M. le professeur Ackermann a vivement remercié la Société académique, dont la remise d’allocation coïncidait avec le 60ème anniversaire de la création de l’Ecole.
M. le professeur Gysin a demandé pour le laboratoire de minéralogie de l’Université les fonds nécessaires pour l’achat d’une platine d’intégration d’un modèle perfectionné destinée à l’analyse quantitative des roches, le laboratoire en possédait déjà une, donnée par la Société académique en 1933 mais elle était devenue insuffisante pour satisfaire les nombreux candidats. D’accord avec le donateur la somme nécessaire a été prélevée presque en totalité sur le solde du Fonds pour la Minéralogie qui avait été généreusement donné en 1938 par M. le Dr André Amstutz en souvenir du professeur Louis Duparc.
Afin d’assurer le maintien de la chaire de langue et de littérature romanches à la Faculté des Lettres occupée avec distinction par M. Antoine Velleman, la Société académique a accordé à cette dernière un subside qui, avec ceux qu’elle reçoit d’autre part, en particulier de la fondation Cadonau des Grisons, assurera la continuation de cet enseignement qui est donné seulement à Genève. Tout spécialement dans les circonstances actuelles c’est un devoir patriotique de soutenir les études concernant notre quatrième langue nationale.
La Société a aussi contribué à faciliter, par une modeste allocation, l’inscription comme privat-docent à la Faculté des Lettres de M. Jacques Pirenne, professeur à l’Université de Bruxelles savant orientaliste, à la fois juriste et historien, qui avait dû quitter son pays ct s’est replié en France.
La subvention accordée à la Faculté autonome de théologie pour l’enseignement de l’histoire au point de vue de la discipline théologique générale a été donnée à nouveau mais sans le supplément extraordinaire qui avait pu être accordé l’an dernier. Par contre un subside spécial a été alloué à cette Faculté pour parfaire les frais de l’installation de sa nouvelle bibliothèque.
Nous venons de vous énumérer toutes les interventions de Ia Société académique en faveur de différentes Facultés; vous remarquerez que ni la Faculté de Droit ni la Faculté des Sciences sociales et économiques ne figurent parmi les bénéficiaires de cette année.
En outre des allocations dont je viens de parler, la Société académique a encore donné son appui dans les cas suivants : Elle a participé à la création de la société coopérative « Les Presses académiques » par la souscription d’une part sociale de Fr. 50.- ; cette société a pour but l’édition, l’impression et la vente d’ouvrages scientifiques et littéraires concernant l’Université, notamment de thèses; nous souhaitons que cette société puisse se développer car une institution de ce genre doit être appelée à rendre de très réels services.
Un appel ayant été adressé par la Société d’Histoire et d’Archéologie et diverses sociétés, dont Ia nôtre, aux fins d’acquérir et de remettre à l’Université un buste de notre ancien président d’honneur le professeur Charles Borgeaud, le savant auteur de l’histoire de l’Académie de Calvin, nous avons décidé de faire un versement à cette souscription qui mérite une réussite complète. Ce monument sera un juste hommage rendu à la mémoire du grand historien dont l’œuvre et la vie ont été entièrement mises au service de la Science et de la science et de la patrie.
M. Henri Wild, citoyen suisse, diplômé de l’Ecole du Louvre, qui était attaché à l’Institut français d’archéologie orientale au Caire et qui a dû revenir en Suisse, nous a demandé de lui venir en aide pour un travail qui sera très utile; il s’agit de faire une étude systématique des antiquités égyptiennes qui se trouvent au Musée d’Art et d’Histoire avec mise au point d’un catalogue détaillé ; les érudits auront ainsi à leur disposition des documents encore inconnus ct qui sont très intéressants pour la science égyptienne. M. Deonna, directeur du Musée, a vivement appuyé la requête de M. Wild qui venait de terminer des travaux de ce genre aux Musées de Bâle et de Berne. Le Département fédéral de l’Intérieur participe également à ces frais pour autant qu’une institution cantonale, en l’espèce la Société académique, subventionne aussi ces travaux.
Les subventions habituelles ont été aussi versées cette année à la Société de Physique, au Jardin alpin de Bourg St-Pierre et à la Bourse Gallatin.
J’aurai achevé de vous parler des allocations accordées quand je vous aurai indiqué que cette année comme les précédentes le Séminaire de Français moderne a reçu le montant habituel qui lui est indispensable tant qu’il ne trouve pas d’autres appuis. Nous avons été heureux de pouvoir, en l’année où cette institution a fêté avec un plein succès son 50ème anniversaire, auquel elle nous a très gracieusement invités, prouver une fois de plus tout l’intérêt que nous portons à ses dirigeants pour l’œuvre si méritoire qu’ils ont entreprise et qu’ils ont menés à bien au milieu de nombreuses difficultés.
Les prix Gillet Brez ont été remis, comme de coutume, lors de Ia cérémonie des promotions. Les lauréats ont été les suivants:
- Section classique : 2 prix ex-equo : M. Pierre Creyraux et Bernard Béguin.
- Section réale latine : M. Jean Metraux.
- Section technique : M. Pierre Ardizio.
- Section réale moderne : Néant.
J’ai eu le plaisir de représenter la Société académique aux diverses cérémonies universitaires : Séance de rentrée, dies academicus, séance commémorative du 7 mai pour le 650ème anniversaire de la Confédération suisse, auxquelles la Société académique a été aimablement invitée par M. le recteur Pittard, dont l’extrême bienveillance qu’il témoigne en toutes occasions à notre société est très appréciée de notre Comité.
Le 12 mai la Société historique du Musée de la Réformation a dans son assemblée générale, à laquelle nous avons pris part, honoré la mémoire de M. Charles Borgeaud, notre ancien président d’honneur.
La Fédération genevoise des sociétés savantes a tenu une assemblée générale, à laquelle nous avons aussi assisté avec le plus grand intérêt, et qui a été suivie d’une visite du nouveau Musée du boulevard Carl-Vogt ; M. le professeur Pittard nous a fait les honneurdr1e ces splendides collections qui sont maintenant installées dans un cadre digne d’elles. L’inauguration officielle de ce Musée par les autorités municipales a eu lieu le 5 juillet dans une séance à laquelle notre Société était également représentée.
Le bateau Edouard, Claparède, propriété de notre Société, qui pour diverses raisons, entre autres la pénurie d’essence, ne peut actuellement plus être utilisé a été mis en cale sèche dans le chantier naval de Corsier en attendant des temps meilleurs.
Le rapport de l’an dernier vous annonçait la création d’un Fonds Théodore Turrettini de Fr. 4’108.95 provenant du reliquat de la souscription ouverte pour le monument élevé en l’honneur de cet éminent ingénieur, et dont les revenus doivent servir à récompenser l’auteur d’un travail sur les sciences qui trouvent des applications dans le génie civil. La Société genevoise d’Instruments de physique, dont Théodore Turrettini a été longtemps le directeur, nous à informés la semaine dernière qu’elle allait verser au Fonds Turrettini la somme nécessaire pour en parfaire le montant à vingt mille francs. Je me sens pressé d’adresser à cette société la profonde reconnaissance de la Société académique pour ce don splendide. Grâce à ce geste très généreux les revenus du fonds seront suffisants pour qu’un prix soit attribué, probablement dès l’an prochain ; le Comité va donc pouvoir prendre prochainement toutes les dispositions nécessaires pour l’organisation de ce concours dont il avait déjà élaboré un projet de règlement au printemps dernier.
Il m’est particulièrement agréable d’adresser dans cette assemblée à M. le Président du Département de l’Instruction publique et aux autorités universitaires, plus spécialement à M. le Recteur, ma grande reconnaissance pour l’intérêt averti qu’ils n’ont cessé de porter à notre société.
J’exprime aussi tous mes remerciements à mes collègues du Comité sans le très bienveillant appui desquels je n’aurais pu mener à bien la tâche que vous m’avez fait l’honneur de me confier pendant ces trois dernières années; que M. Charles Gautier, qui gère avec sollicitude et compétence nos finances, M. Augustin Lombard notre obligeant secrétaire, et M. Marc Borgeaud qui l’a suppléé pendant les périodes de mobilisation reçoivent l’expression de mes sentiments de très vive gratitude.
Soyons Mesdames et Messieurs reconnaissants d’avoir pu passer encore une année de travail fécond dans la tranquillité et la sécurité alors qu’ailleurs règne la dévastation et s’accumulent les ruines. L’existence de la Société académique est plus nécessaire que jamais à cette heure où l’Etat, par le fait des circonstances adverses, est obligé de limiter dans une mesure sans cesse croissante les dépenses de l’Instruction publique. Je forme le vœu au terme de ce rapport que la Société académique puisse encore dans les années prochaines continuer à donner un concours toujours plus précieux à notre vieille Alma Mater où depuis bientôt quatre siècles les générations successives sont venues apprendre le respect de la vérité.
Robert MARTIN, président
29 novembre 1941