Rapport annuel de la présidence 1947-1948

Mesdames et Messieurs,

Nous vous avons conviés à venir assister à cette soixantième Assemblée générale de la Société Académique de Genève, et nous vous remercions d’avoir répondu nombreux à notre appel. Sans doute l’attrait du captivant exposé qu’un des maîtres de notre Université, revenu depuis peu parmi nous, M. le professeur Edmond Grasset, a bien voulu ce soir nous promettre, a-t-il fait beaucoup pour vous conduire ici. Je veux croire néanmoins que le désir d’être informés sur l’activité de notre société y est aussi pour quelque chose; et que des fastidieux rapports, dont une tradition inexorable nous oblige à vous infliger d’entrée la lecture, vous pourrez dégager l’impression que nos interventions ont été utiles. Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt que veulent bien nous marquer les Autorités cantonales et municipales, comme celles de l’Université, en se faisant représenter ici ce soir.

Notre premier devoir est de rendre hommage à ceux qui nous ont quittés et de rappeler ici les noms de nos membres que Ia mort nous a enlevés depuis notre dernière assemblée. Ce sont : MM. Alfred Lendner, Francis Audeoud, Charlcs Martin du Pan, Arnold Pictet, Georges Lemaître, Gustave Roussy, Charles Zanello, Frédéric Bonna, G. Engi, Albert Filiberti, Alfred Larue, Louis Puthon, Pierre Balavoine, Emile Darier ; Mmes A. D’Arbigny et Aloys Naviller. Tous nous ont été attachés ; plusieurs ont illustré l’Université par leur enseignement ; deux ont rendu à notre Société des services particuliers que je voudrais souligner ici.

Membre fondateur de la Société Académique il y a soixante ans, Arnold Pictet avait siégé dans son comité de façon presque continue pendant quarante ans. Trésorier de 1899 à 1907 et de 1908 à 1913, président pendant I’année 1907-1908, secrétaire enfin, d’une conscience exemplaire, de 1915 à 1939. Lorsque lui fut décerné, en 1944, le rare titre de Président d’honneur, notre président d’alors, M. Gustave Hentsch, sut exprimer ce que la Société Académique doit au dévouement inlassable et au fidèle attachement d’Arnold Pictet. « Je ne sais pas de membre de notre comité, disait-il alors ici-même, qui ait mis plus de cœur et de soins à remplir la tâche qui lui était confiée, et nous sommes heureux dc lui remettre un diplôme, modeste témoignage de notre admiration et de notre affection ». D’autres ont dit, ailleurs, les mérites d’Arnold Pictet comme naturaliste, et l’intérêt de ses publications savantes. Nous devons rappeler qu’il fut aussi l’historien de notre société dont il a, à deux reprises, retracé l’activité, à l’occasion du vingt-cinquième, puis du cinquantième anniversaire de sa fondation- Son manuscrit nous a été remis par Mme Arnold Pictet ; nous le conservons précieusement comme un témoignage tangible et durable de l’active et longue collaboration de notre ancien collègue, et nous sommes persuadés que ce texte, si documenté, sera, pour d’autres, le fondement indispensable de futures recherches.

Georges Lemaître n’appartenait au Comité de la Société Académique que depuis 1944 : mais comme partout où il passa, sa personnalité lucide et énergique, sa grande intelligence, son sens aigu des réalisations y laissent une trace durable. Son activité parmi nous s’attacha particulièrement à l’action entreprise pour récolter des fonds en vue de la construction du nouvel Institut de physique. Nous lui devons, pour une très grande part, le succès de cette initiative. Nous n’oublierons pas non plus l’affabilité de son abord, la pertinence de ses avis, et, en dépit d’une activité professionnelle extraordinairement remplie, des intérêts considérables dont ailleurs il avait la charge, son assiduité à nos séances et 1’attachement qu’il ne cessa de nous témoigner.

De tous, la Société Académique garde un souvenir ému et reconnaissant ; elle exprime à leurs familles l’expression de sa vive sympathie.

Le départ pour Bruxelles de notre collègue, M. Augustin Lombard, appelé à la chaire de géologie de l’Université libre de cette ville, laisse une autre place vide au sein de notre comité. Nous sommes heureux de penser que M. Lombard, en dépit de son éloignement, restera en contact avec nous et continuera à nous faire bénéficier de ses avis.

Je m’en voudrais enfin de ne pas dire ici à M. Bernard Naef, qui, pendant trois ans présida notre comité, la reconnaissance de Ia Société Académique pour tout ce qu’il a fait pour elle, pour les soins attentifs qu’il a voués à ses affaires, pour la courtoisie et la fermeté qu’il a apportées à la conduire.

Pour remplacer au comité MM. Georges Lemaître et Augustin Lombard, nous vous proposons d’élire tout à l’heure MM. Marc D’Espine et André Fatio.

D’autre part, le bulletin de vote qui vous â été remis porte les noms de six membres du comité arrivés au terme de leur mandat et que nous vous proposons de réélire ; ce sont MM. Louis Blondel, Paul Collart, Roger Firmenich, Frédéric Gardy, Bemard Naef et Jean Sautter. Les trois contrôleurs des comptes soumis à vos suffrages sont MM. Walter Heccius, Jean-Louis Micheli et Max Rappard ; nous les remercions d’avance de leur aide précieuse, comme nous remercions aussi M. Fernand Dominicé qui n’a pu accepter un nouveau mandat.

Les tâches proposées à l’attention de la Société Académique deviennent chaque jour plus nombreuses et plus onéreuses; pour y faire place, elle a besoin que se groupent autour d’elle tous les amis de l’Université. Par leur grand nombre, et malgré la modicité de la cotisation qui leur est demandée, ceux-ci apporteront ainsi aux études supérieures dans notre ville une aide efficace ; ct surtout, ils contribueront à entretenir autour de notre Alma mater cette atmosphère d’intérêt et de sympathie si nécessaire à ceux qui travaillent à des recherches désintéressées. Que ceux d’entre vous, Mesdames et Messieurs, qui ne font pas encore partie de la Société Académique viennent s’inscrire auprès de nous à l’issue de cette séance ; et que tous nous amènent de nouveaux membres. L’énumération de nos activités va vous persuader, j’espère, de la nécessité de nous aider et de l’utilité de nos démarches.

Comme de coutume, notre comité s’est efforcé de répondre, dans la mesure de ses moyens, aux demandes de subsides que lui ont adressées les professeurs des différentes Facultés. Voici la liste des acquisitions que son intervention a rendues possibles :

Pour la Faculté iles Sciences, nous avons accordé au professeur Wenger un crédit qui lui a permis de

compléter l’équipement du laboratoire de chimie analytique par l’achat d’un polarographe.

La Faculté des Lettres a pu, grâce à nous, installer une collection de fac-simile dc paléographie latine médiévale, utilisée par le professeur Paul-.E. Martin.

Pierre Bouffard, privat-docent, er fait confectionner une série de clichés diapositifs sur l’art roman et gothique, nécessaires à l’illustration de son cours. Ces clichés resteront la propriété de la Société Académique jusqu’au moment où la concentration, si désirable, des collections existant à Genève en permettront l’utilisation rationnelle.

Nous avons également contribué à la constitution d’un fonds destiné à favoriser les recherches dans le domaine de la papyrologie et créé, en l’honneur du professeur Victor Martin, par un groupe de collègues, d’anciens élèves et d’amis.

La Faculté des Sciences économique et sociale désirait enrichir sa bibliothèque de nombreux ouvrages et faire relier un certain nombre de volumes à la demande de son doyen, le professeur Terrier : nous lui avons permis de faire face à ces dépenses.

Pour maintenir ses cliniques et ses laboratoires à la hauteur des exigences modernes, la Faculté de Médecine a sans cesse besoin d’acquérir de nombreux et coûteux appareils.

Grâce à nous, le professeur Roch a pu doter la clinique médicale d’un appareil de Warburg pour la mesure des pressions liquidiennes veineuses et artérielles par ponction ou par sondage du cœur.

Le professeur Favarger a reçu, pour l’Institut de chimie physiologique, une cuve thermostatique de précision, destinée à obtenir une température stable.

Le professeur Held a pu pourvoir le laboratoire de recherches histologiques de l’Institut de Médecine dentaire d’une installation optique spéciale permettant de faire des examens sans fixation ni coloration.

Le professeur de Watteville a acquis, pour la clinique gynécologique, un microscope binoculaire de recherches.

Enfin, le professeur Eric Martin a pu acheter un appareil photographique destiné à pourvoir les policliniques médicale et chirurgicale d’une précieuse documentation.

Nous avons pu, cette année encore, accorder la Faculté autonome de Théologie une importante allocation destinée à subventionner l’enseignement d’histoire des religions.

En outre, répondant à une demande du recteur nous avons participé à la Bourse Gallatin, destinée à organiser des échanges d’étudiants entre la Suisse et l’Amérique.

Ces dons divers faits à nos Facultés universitaires ont épuisé Ia totalité des revenus de notre Fonds Ordinaire ; non point ceux des nombreux autres fonds dont la Société Académique a la garde, et dont nous avons disposé, conformément à leur but et aux stipulations particulières qui les régissent, dans l’intérêt de l’Université. Il convient d’en donner ici un aperçu.

L’avenir du jardin alpin La Linnaea, à Bourg-Saint-Pierre, dont la Société Académique est propriétaire, nous a causé quelques préoccupations.

Au moment même où nous était notifiée la suppression de la modeste subvention fédérale qui nous aidait à en assurer l’entretien, le professeur Chodat qui, pendant des années, consacra ses étés à la direction scientifique de la station, avec tant de dévouement et de compétence, nous informait de son intention de renoncer à cette activité, Et si, d’une part, une démarche pressante, que voulut bien appuyer le Recteur, auprès de l’Inspection fédérale des forêts, chasse et pêche, à Berne, demeurait, à notre regret, sans effet, d’autre part, nous devions bien nous rendre aux raisons impérieuses invoquées par le professeur Chodat pour justifier sa détermination.

Notre Comité envisagea alors l’éventualité de céder gratuitement à la ville de Genève la jouissance de La Linnaea comme pépinière alpine du jardin botanique, sous la direction du professeur Bæhni ; mais cette proposition se heurta auprès du Conseil administratif à une fin de non-recevoir. Informés de cette situation, M. le Conseiller d’Etat Albert Picot et M. le Recteur Paul-E. Martin nous conseillèrent alors de soumettre la question à la Faculté des Sciences dans le but de rechercher une solution propre à conserver à l’Université un instrument de travail qui lui a rendu déjà, pendant plus de trente ans, d’importants services. L’affaire semble maintenant en bonne voie et nous attendons les suggestions précises que la Faculté des Sciences ne manquera pas de nous présenter dans un proche avenir.

Cette année encore, le professeur Chodat a séjourné à Bourg-Saint-Pierre pendant tout le mois d’août ; il y a pourvu, avec le jardinier, à l’entretien et à Ia réfection des rocailles ; il a pu, d’autre part, étudier sur place les conditions dans lesquelles notre station alpine pourrait poursuivre son activité avec une orientation différente.

La construction du nouvel Institut de Physique en vue de laquelle un fonds de plus de 250’000 francs ont été réuni par la Société Académique, est maintenant sur le point de commencer. Les crédits nécessaires ont été votés par le Grand Conseil, les plans de l’architecte, M. D. Honegger, ont été définitivement arrêtés et signés, et l’on a tout lieu de croire que le premier coup de pioche pourra être donné avant la fin r1e l’année. Ainsi notre Université va se trouver dotée des moyens nécessaires de recherches dans un domaine où se présentent chaque jour des exigences nouvelles. Nous devons remercier notre collègue M. le professeur Pfaeffli pour les soins attentifs qu’il ne cesse de vouer à cette importante entreprise.

Le nouveau Fonds pour les études classiques et orientales (Boissier, Naville, van Berchem) va bientôt pouvoir entrer en activité. Il se monte actuellement à une trentaine de mille francs, somme qu’il conviendra d’accroître pour qu’il puisse pleinement répondre à son but. Toutefois, l’ouverture toute récente de l’Institut suisse de Rome, où il serait heureux qu’un Genevois pût d’emblée trouver place, comme aussi les possibilités d’accueil qui demeurent ouvertes aux Suisses dans les Instituts français d’archéologie à Athènes, au Caire, à Beyrouth nous font un devoir d’envisager sans plus attendre l’octroi d’une première bourse d’études.

Les Fonds Gillet sont intervenus pour couvrir notre allocation pour l’enseignement de l’histoire des religions à la Faculté autonome de Théologie, et comme de coutume, pour l’octroi des prix de voyage aux élèves de la classe supérieure du Collège ayant obtenu, dans chaque section, le premier rang à l’examen de maturité. Cette année quatre prix de 500 francs ont été décernés : pour la section classique, à M. Philippe Wiblé, pour la section latine à M. Heinz Birchmeier, pour Ia section moderne à M. Jean-Jacques Lagrange et pour la section scientifique à M. Jean-Pierre Imhof. Seuls deux de ces lauréats ont déjà accompli leur voyage, et l’un d’eux nous a fait parvenir son rapport. La médaille Gillet a été remise aux Archives du Collège, qui conserve avec soin les récits de voyage rédigés par nos lauréats.

Le Fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique et universitaire, que préside M. Fred. Gardy, a permis d’acquérir un ouvrage de Lozoya « Historia del arte hispanico », et quatre volumes.

Grâce au Fonds Moynier les frais de dix-neuf abonnements de revues ont pu être couverts, et deux séries, interrompues par la guerre, ont été complétées ; il s’agit des collections du « Journal of political Economy » (1942-1947) et de la « Royal statistical Society » (1940-1947).

Une nouvelle destination du Fonds Edouard Claparède, qui n’a plus eu depuis longtemps à intervenir, est actuellement à l’étude.

Le nouveau Fonds Victor Martin, pour des recherches de papyrologie, dont la gestion a été confiée à la Société Académique, se monte à 6800 francs environ.

Le Fonds Ernest Pronier dont le bénéfice doit revenir à Ia Faculté des Lettres, conformément aux

conditions du legs fait à la Société Académique par la Doctoresse Anna Gourowsxy, a été constitué ; il se monte à environ 13’000 francs. Pendant trois ans, les revenus en seront versés au Fonds général de l’Université, à charge pour lui d’observer cette clause.

Par une délégation de trois de ses membres, la Société Académique est représentée au Conseil de fondation du Fonds général de I’Université, à la constitution duquel elle a contribué. Elle continue ainsi à suivre de près une entreprise destinée à rendre de grands services à notre haute école, et qui en rendrait plus encore si, comme il est souhaitable, le montant de ce fonds pouvait être substantiellement accru.

J’ai gardé pour la fin deux de nos Fonds sur les revenus desquels nous devons aujourd’hui décerne des prix :

Le Fonds Turrettini, qui, conformément aux propositions de Ia commission présidée par M. Alphonse Bernoud, nous permet de récompenser par un prix de 500 francs M. Jean-Ph. Buffle, Dr ès sciences et ingénieur-chimiste, auteur d’un travail intitulé « Filtre rapide à drainage intégral » ; le Fonds Paul Moriaud, qui, conformément aux propositions de la commission présidée par M. Bernard Naef, nous permet de décerner un prix de 500 francs à M. Marc Vuagnat, Dr ès-sciences privat-docent à l’Université, pour la poursuite de ses travaux de recherches dans le domaine de la géologie, et une allocation de 500 francs à Mme Marguerite Lobsinger-Dellenbach pour un voyage d’études chez les Peuhls, peuplade du Sahara.

Je dois mentionner encore que la Société Académique a reçu, dans le cours de cet exercice, deux dons de 1000 francs; l’un de Mme Arnold Pictet en mémoire de son mari ; l’autre de M. et Mme Gustave Roch, en souvenir de leur fils Blaise, ancien étudiant de notre Université, décédé accidentellement en Italie au mois de mai. Ce dernier doit être attribué, par moitiés, à la Faculté autonome de Théologie et à la Clinique médicale de l’Université.

Dans l’accomplissement de sa tâche, le comité de la Société Académique a été heureux de pouvoir compter, en toutes circonstances, sur le bienveillant intérêt des autorités universitaires. Ce m’est un agréable devoir de remercier ici, pour l’appui qu’ils nous ont accordé et pour les informations qu’ils nous ont fournies toutes les fois que nous les avons sollicités, MM. les Recteurs Paul-E. Martin et Georges Tiercy, MM. les Doyens des différentes Facultés, de nombreux professeurs, et l’actif secrétaire de l’Université M. Hermann Blanc.

Nous nous sommes efforcés, d’autre part, de conserver avec l’Université un vivant contact en participant aux manifestations universitaires auxquelles nous avons été aimablement conviés. Le comité de la Société Académique a été représenté par son président ou par l’un ou l’autre de ses membres à l’Assemblée de la Fédération genevoise des Sociétés savantes ; à la cérémonie commémorative du cent cinquantième anniversaire de l’Indépendance tessinoise, organisée par les étudiants tessinois de Genève; aux journées cliniques de l’Association des candidats en médecine suisses; à la séance solennelle du Dies Academicus ; au dîner organisé à l’occasion du trentième anniversaire de professorat du professeur Victor Martin ; à la cérémonie du cent vingt-cinquième anniversaire de la fondation de la Société médicale de Genève; au dîner organisé en l’honneur du professeur Edgard Michaud, à l’occasion de sa retraite ; au Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences ; et, tout récemment encore, à la séance d’ouverture des cours du semestre d’hiver 1948-1949.

A cette séance, M. le Recteur Georges Tiercy prononça une allocution d’une haute élévation de pensée, qui fit une profonde impression sur ceux qui eurent le privilège de l’entendre. C’est, pour la Cité, un honneur de posséder une Ecole dont le chef puisse proclamer ainsi ses convictions devant ceux qu’il est responsable de conduire et marquer avec une tranquille assurance Ia dignité et les limites de l’activité du savant. La Société Académique peut être fière de contribuer, pour une part, dans la modeste mesure de ses moyens et de sa bonne volonté, au maintien d’une tradition universitaire qui ne se peut dissocier du destin de Genève.

 

Paul COLLART, président

6 décembre 1948