Rapport annuel de la présidence 1959-1960

Jean-Jacques GAUTIER, président
1er décembre 1960

 

Mesdames et Messieurs,

C’est un honneur pour moi, en ouvrant la 72ème Assemblée générale de la Société académique, de souhaiter la bienvenue à M. Alfred Borel, président du Département de l’Instruction Publique, à M. le Recteur Eric Martin, à M. le Vice-Recteur Jean Graven, à MM. les doyens et Professeurs ainsi qu’aux représentants de la presse qui ont bien voulu assister à notre séance. Leur présence ici est pour moi le signe tangible de l’intérêt qu’ils accordent à notre Société, qui, sans aucun mandat officiel, mais forte de l’appui moral et matériel que lui ont assuré plusieurs générations de bons citoyens s’efforce d’être un élément de contact entre notre Université et l’ensemble de la population genevoise.

J’ai grand plaisir également à saluer notre conférencier de ce soir, le Professeur Marcel Raymond.

Je ne me donnerai pas le ridicule de vouloir le présenter dans l’enceinte de cette Université où il enseigne depuis presque trente ans et qu’il a si brillamment illustrée par ses cours, par son ouvrage « De Baudelaire au Surréalisme » qui est l’œuvre critique fondamentale de la poésie contemporaine et par ses autres publications qui embrassent le champ presque complet de la littérature française de la Renaissance à l’époque actuelle et font toutes autorité. Qu’il me permette de lui dire simplement combien les profanes apprécient ce don qu’il a de dépasser la critique purement littéraire pour atteindre à l’essentiel d’une époque ou d’une civilisation. Les Genevois lui doivent en outre une reconnaissance particulière pour s’être attelé depuis sept ans déjà avec M. Bernard Gagnebin à la publication des œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau, édifiant ainsi le véritable monument auquel a droit le plus illustre peut-être des fils de notre Cité qui est certainement le plus illustre écrivain français de nationalité étrangère. Je remercie vivement M. Raymond d’avoir accepté de venir nous parler ce soir des origines de cette œuvre extraordinaire que sont les Confessions.

Mais avant de nous abandonner aux joies de la littérature, nous devons vous présenter nos rapports d’activité. En commençant le mien, j’ai le triste devoir de rappeler ici le nom de ceux de nos sociétaires que la mort nous a enlevés depuis notre dernière assemblée. Ce sont notre Président d’Honneur, le Professeur François Pfaeffli, le Docteur Létellier, membre bienfaiteur, Mme Arnold Pictet, les Professeurs Fernand Chatillon et Pierre Arminjon, les Docteurs Jules Pallard et Fritz Loup, MM. Albert Lombard, Frantz Fulpius, Arthur Privat, Oscar Dusendschön, Jean Hirsch, Paul Naville, Paul Droz et Antoine Ormond». Nous rendons hommage à la mémoire de ces disparus et assurons leurs familles de nos sentiments de vive sympathie. Nous désirons également exprimer notre profonde gratitude à Mme Jules Pallard qui nous a fait don d’une somme de Fr. 5oo,- en souvenir de son mari.

Pour notre Société, le décès du Professeur Pfaeffli est un coup particulièrement douloureux. Bien peu d’hommes ont rendu autant de services à notre Université, dont il fut Professeur pendant 27 ans. Le nouvel Institut de médecine dentaire, inauguré en 1932, lui doit ses plans, sa construction et son aménagement, de même que de nombreux perfectionnements ultérieurs. Il a été membre de Ia Commission administrative de l’Université et Président de la Société des Anciens Etudiants, mais c’est surtout au sein de notre Société qu’il s’est dépensé en faveur de l’Université. Membre de notre Comité pendant quarante et un ans, il l’a présidé une première fois de 1929 à 1931. C’est sous sa présidence que nous organisâmes la grande collecte de 1931 à laquelle il consacra toute son énergie et qui réussit en pleine crise économique à réunir Fr. 750.000 pour l’équipement de l’Université. En 1938, il accepta de reprendre la présidence pour fêter le 50me anniversaire de notre Société. Puis, lorsque notre collecte de 1944 eut réuni les fonds nécessaires à l’équipement du nouvel Institut de Physique, il accepta de présider la Commission de Construction. Sa direction ferme et intelligente, les rapports excellents qu’il sut entretenir avec nos autorités comme avec nos architectes permirent à l’Institut de Physique de sortir de terre rapidement. Nommé Président d’Honneur en 1953, le Professeur Pfaeffli manifesta jusqu’à ses derniers jours envers notre Société un intérêt actif et un total dévouement. Nous conservons précieusement son souvenir et nous nous efforcerons d’être dignes de l’exemple qu’il nous a tracé.

Si l’exercice qui vient de s’écouler n’a pas été marqué comme celui du jubilé par un événement éclatant, il n’en a pas moins apporté à notre Comité le cortège de tâches usuelles ou exceptionnelles qui sont sa raison d’être.

Nos différents fonds ont été mis largement à contribution en raison des demandes nombreuses et intéressantes qui nous ont été présentées.

Nous avons prélevé sur notre Fonds ordinaire les allocations suivantes :

A la Faculté des Sciences, Fr. 4.190,- au professeur Wenger pour l’achat d’un détecteur à scintillations pour la mesure des rayons gamma ; Fr. 3.000,- au professeur Kitty Ponse pour l’achat d’un microscope Leitz destiné à la station de zoologie expérimentale ; Fr. 267,55 pour payer la moitié des frais du séjour à Genève du professeur Jauch, séjour dont est résulté sa nomination de professeur ordinaire de physique nucléaire théorique.

A la Faculté ile Médecine, Fr. 3.ooo,- au professeur Baud, qui, ajoutés à une somme de Fr. 3.250,- votée antérieurement, ont permis d’acquérir pour le laboratoire de diffraction des rayons X une caméra spéciale qui rendra également des services à la Faculté des Sciences ; Fr. 158,7o au professeur Bickel pour l’achat du Répertoire des périodiques étrangers reçus par les bibliothèques suisses ; Fr. 3.000,- au docteur Zahnd pour l’acquisition d’un appareil destiné au dosage de l’insuline ; Fr. 1.94o,4o au professeur Mach pour l’achat d’un appareil à photocopier.

A la Faculté des Lettres, Fr. 1.5oo,- au professeur Collart pour augmenter sa collection de clichés de petit format.

La Faculté de Droit et celle des Sciences Economiques et Sociales ont reçu chacune Fr. 1.5oo,- pour la mise en état et la reliure d’ouvrages de leurs bibliothèques. Quiconque a fréquenté celles-ci sait qu’il s’agit là de dépenses d’une absolue nécessité. Enfin, le professeur Steiling-Michaud a reçu Fr. 1r.5oo,- pour l’achat de dictionnaires multilingues destinés à l’Ecole d’Interprètes.

Au total, les subventions effectuées par lie Fonds ordinaire ont atteint F1r. 21.556,45.

Le Fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique a consacré Fr. 9.14o,- à différents achats d’ouvrages destinés à enrichir notre bibliothèque.

Le Fonds pour les Etudes classiques et orientales nous a permis deux subventions : une première de Fr. 1.500 pour la publication du Discolos de Ménandre, l’œuvre déchiffrée par le professeur Victor Martin et jouée avec tant de succès Lors du jubilé universitaire ; une autre de Fr. 4.000,- pour le séjour à l’Institut Suisse de Rome de M. Daniel Dunand, qui y prépare une monographie sur l’une des colonies grecque de Sicile.

Sur les revenus du Fonds Gillet ordinaire nous avons versé Fr. 6.750,- à la Faculté des Lettres pour la chaire d’histoire du professeur PauI Rousset et Fr. 4.000,- à la Faculté Autonome de Théologie pour l’enseignement de l’histoire des religions.

Les 3 prix de Fr. 1.000,- chacun attribués par le Fonds GiIIet voyages aux titulaires des premières maturités sont allés cette année à MM. Philippe Martin en section classique, Jean-Pierre Dufel en section latine, et Michel Verdan en section scientifique.

Conformément aux stipulations qui régissent le Fonds Paul Moriaud, nous avons attribué Fr. 3.000 à M. Candaux pour achever son travail sur la correspondance de Jean-Louis Du Pan ; Fr. 500,- au professeur Cortesi pour Ia publication d’un ouvrage sur l’anatomie végétale ; et Fr. 1.000,- à M. Mahyar Nashat, un excellent élément de notre Université qui avait obtenu une bourse d’études à l’Université de Standford aux Etats-Unis, mais n’avait pas les moyens de payer son voyage.

Comme chaque année, une somme de Fr. 600,- provenant des revenus du Fonds Gustave Moynier a été consacrée à l’achat de périodiques pour la Bibliothèque publique.

Les disponibilités du Fonds Plantamour nous ont permis, outre un versement de Fr. 15o,- à M. Maxime de Saussure, de réitérer la subvention de Fr. 2.350,- affectée l’année dernière à l’Observatoire pour l’achat d’un millivoltmètre de Fr. 4.700,-, et d’allouer au professeur Golay un montant de Fr. 1.500,-, auquel s’ajoutent Fr. 7.700,- libérés sur une allocation antérieure, lui permettant ainsi de se rendre à différents congrès d’astronomie en Europe et aux Etats-Unis.

Le Fonds Ernest Pronier a participé pour Fr. 2.500, et le Fonds Schwitzguebel pour Fr.1.200,- à l’achat d’un kymographe Palmer qui rendra de grands services au laboratoire de phonétique du professeur Morier.

Sur les revenus du Fonds Frédéric Firmenich nous avons alloué une nouvelle somme de Fr. 5.000,- à Mme Freyss-Béguin, lui permettant ainsi de poursuivre ses recherches sur l’hypoxie du rat.

La Commission du Fonds Marc Birkigt enfin a voté cette année des subventions pour un total de près de Fr. 20.000,-, soit : Fr. 4.000,- à M. Jacques Naef pour l’équipement d’une chambre climatisée ; Fr. 2.300,- à Mlle Janine Séchaud pour ses études sur la génétique des bactériophages ; Fr. 4.000,- à M. Alain Gallay pour suivre les cours de l’Institut d’Ethnologie de l’Université de Paris ; Fr. 3.600,-, Fr. 3.000,- et Fr. 3.000,- respectivement à MM. Félix Hunkeler, Michel Pfau et Laurent Maître pour continuer et terminer le thèses de doctorat.

Parmi les nombreux objets qui ont occupé séances, je dois mentionner le transfert du Muséum d’Histoire Naturelle, auquel nous nous intéressons depuis plus de trente ans, car il permettra. Enfin à l’Université de disposer de l’aile nord-ouest de bâtiments, dont elle a un besoin de plus en plus urgent. C’est pourquoi nous avons accueilli avec une vive satisfaction la nouvelle que la Ville s’est enfin décidée à construire un nouveau muséum et que les pourparlers avec I’Etat pour la cession de l’aile nord-ouest à ce dernier étaient parvenus à chef. Le Recteur nous a demandé d’aider l’Université dans l’étude des transformations qu’il faudra apporter à ce corps de bâtiment pour l’adapter à sa nouvelle destination. Nous avons en conséquence chargé M. François Peyrot, architecte, de reprendre problème sur la base des études faites pour nous par son père, il y a plus de 25 ans, et d’un mémoire que chacune des facultés intéressées lui a présenté sur ses besoins de locaux. L’un des membres de notre Comité, qui désire conserver l’anonymat, s’est avisé que ce programme ne serait pas complet si l’on ne tenait pas compte d’emblée de la possibilité de constructions ultérieures à l’ouest de l’Université. Pour permettre à notre architecte de comprendre cette étude dans ses travaux, il nous a fait don d’une somme de Fr. 4.000,-. Je suis sûr d’être votre interprète à tous en le remerciant très vivement ici de son geste généreux.

Le problème du Museum est loin d’être le seul, vous vous en doutez, à préoccuper les responsables de notre Université. Celui du logement des étudiants confédérés et étrangers, que nous ne pouvons refuser d’accueillir sans faillir gravement à notre vocation, a passé par une crise aiguë et n’est que très partiellement résolu. C’est pourquoi je me dois de remercier ici notre Conseil d’Etat qui a bien voulu donner l’assurance que les travaux de construction de la Cité Universitaire commenceront dans quelques semaines, et de l’encourager respectueusement à les poursuivre avec énergie, comme aussi à étudier avec bienveillance les différentes suggestions de l’Association Générale des Etudiants, dont l’activité dans ce domaine est extrêmement méritoire.

Si je mentionne encore la coordination des efforts des différentes Universités dans le domaine de la recherche scientifique et l’accès à l’Université des éléments doués de notre population qui n’ont pas les moyens de subvenir eux-mêmes à leurs études, je n’aurai cité que quelques-unes parmi les questions que notre époque pose à l’Université et qui attendent une réponse. Si des groupements tels que le nôtre peuvent s’efforcer de proposer des solutions, si l’Etat ne saurait leur rester indifférent, il est évident cependant que ces questions ont leur point de départ et leur aboutissement à la direction de l’Université.

Or, la structure même de l’Université, cette communauté considérable à l’échelle cantonale, puisqu’elle groupe 4000 personnes, ne laisse pas d’étonner parfois ceux d’entre nous qui ont le centre de leur activité dans le monde des affaires. Alors que depuis un siècle, l’organisation des entreprises privées a fait des progrès énormes, imposés par les nécessités de la vie moderne et facilitée par des études d’une rigueur scientifique, le gouvernement de l’Université n’a guère évolué pendant cette période. La presque totalité des pouvoirs et des devoirs y reste concentrée sur la tête d’un Recteur qui change tous les deux ans et qui doit assumer cette tâche énorme en plus de ses fonctions de professeur. Le bureau du Sénat chargé de l’assister est formé principalement des doyens des facultés, déjà très occupés eux-mêmes par leur enseignement et les obligations du décanat. Si la forte personnalité et le déroulement exemplaire des Recteurs que nous avons connus leur ont permis, non sans péril parfois pour leur propre santé, de maîtriser les principales tâches qui leur étaient échues, force est bien, cependant, de constater l’existence de certains phénomènes anarchiques tels que l’absence d’un plan de développement à long terme et même d’un budget général annuel, une certaine confusion entre les Fonctions administratives et scientifiques et l’excessive autonomie de certains professeurs, ou directeurs d’instituts et de laboratoire qui ont pris l’habitude de traiter directement avec les départements intéressés ou adressent d’importantes requêtes au Fonds National de la Recherche sans en informer l’Université.

C’est pourquoi notre Comité a accueilli avec une vive satisfaction l’initiative du Sénat tendant à reprendre le problème de l’organisation universitaire. Plusieurs d’entre nous ont été heureux de collaborer directement ou indirectement, aux travaux de la Commission chargée de cette mission, travaux qui s’appuyant sur une vingtaine d’études consacrées aux Universités étrangères, ont été menés avec une célérité exemplaire. En moins d’une année, ils ont abouti à une première réforme, prévoyant la nomination d’un Secrétaire général, qui déchargera le Recteur d’une partie de ses tâches administratives, et la création d’un Conseil académique, recruté en majorité en dehors de l’Université, qui étudiera les problèmes à long terme, proposera des solutions et contribuera à renforcer les liens qui doivent unir l’Université et la Cité.

Permettez-moi, Monsieur le Recteur, de vous adresser les félicitations de notre Comité pour cet réalisation, qui doit beaucoup à votre intervention personnelle. Vous ne nous en voudrez pas, cependant d’y joindre le vœu qu’elle soit considérée comme une première étape. Une plus nette séparation des tâches administratives et scientifiques, une hiérarchie mieux organisée, notamment en matière financière, une continuité mieux assurée d’un rectorat à l’autre, voilà quelques souhaits que vous connaissez et qui ne nous paraissent attenter en rien au principe de la liberté de l’enseignement, pas plus qu’à celui de l’autonomie académique.

Si nous sommes attachés aux formes traditionnelles de l’Université, qui sont l’héritage de quatre siècles d’histoire, le respect que nous avons pour nos ancêtres ne nous interdit en rien de modifier des institutions qu’ils ont eux-mêmes modifiées au gré des circonstances de leur temps. Bien au contraire, nous ne serons leurs dignes successeurs que si nous recherchons, nous aussi, et si nous réalisons les structures nouvelles qu’imposent les nécessités de l’heure présente.