Rapport annuel de la présidence 1967-1968

Olivier REVERDIN, président
9 décembre 1968

 

 

Mesdames, Messieurs,

En ouvrant cette 80ème assemblée généra1e de la Société académique, je me conformerai à l’usage qui veut qu’un hommage soit rendu à ceux de nos membres que la mort nous a enlevés.

M. Léopold Boissier a été pour Genève un citoyen exemplaire, de noble et antique vertu ; il a donné beaucoup de lui-même à l’Université, et il était membre bienfaiteur de notre société.

Dix de nos membres à vie, M. le Dr Allred Diedey, Mme Gustave Hentsch, Mme Gustave Martin, le Dr René Mermod de Lausanne, le Dr François Naville, Mme Isaac Reverdin, M. W. H. Sauer, le Dr Raymond Taberlet, Mlle Marie Turrettini, M. Léon Vermot, et six membres ordinaires, le Dr Léon Boissonnas, Mlle J. Bindschedler, M. Raoul Cartier, le professeur Rodolphe Cortesi, le professeur Adolphe Franceschetti, le Dr Jean Maystre, nous ont quittés. En entendant ces noms, chacun de vous a évoqué des visages, a vu passer des personnalités qui ont joué dans la vie genevoise un rôle que l’on n’oubliera pas de sitôt. Je vous prie de vous lever pour honorer leur mémoire et témoigner votre reconnaissance de ce qu’ils ont été.

La Société académique a quatre-vingts ans révolus ; l’Université en a 410. Notre société s’est donc tenue aux côtés de l’Université pendant près du cinquième de son existence, toujours préoccupée de lui rendre service, jamais d’exercer sur elle la moindre pression.

Aujourd’hui, l’Université fait sauter ses cadres traditionnels. C’est un phénomène universel. Les deux principales causes en sont l’éclatement des disciplines et l’explosion démographique. Quelle différence entre les Bastions d’il y a quatre-vingts ans, où deux douzaines de professeurs, formant une petite famille avec ses affections et ses querelles, veillaient sur la formation de quelques centaines d’étudiants, et prolongeaient, dans les allées du jardin botanique ou dans leurs demeures toutes proches de la rue des Belles-Filles, du chemin des Philosophes ou des Tranchées, les conversations et les échanges, quelle différence entre cette université où les maîtres jouaient le rôle des pères, les étudiants, ceux des fils, sans que ni les uns ni les autres n’en souffrent ni ne s’en estiment diminués, et la grande fourmilière d’aujourd’hui, avec son va-et-vient d’étudiants, si nombreux que traverser le hall pendant les quarts d’heure n’est guère plus facile que de frayer sa voie dans quelque bazar de l’Orient !

Le Museum, longtemps, avait été dans ce paysage universitaire, un îlot de calme ; il semblait presque abandonné; on savait, certes, que d’éminents molacologues ou entomologistes y classaient patiemment des collections de murex ou de coléoptères; mais leur présence était si discrète et les classes d’école se faisaient si rares, autour de la girafe et de l’okapi, que le bâtiment semblait un château de la Belle au bois dormant. Il s’est réveillé maintenant ; il s’est transformé en caravansérail ; des centaines d’étudiants entrent, sortent, bavardent dans les couloirs, travaillent dans les bibliothèques et les salles de séminaire, qui se sont heureusement multipliées. Il était grand temps !

L’éclatement des sciences humaines et l’occupation du Museum, promu au rang l’« aile Jura » appellation dont on ne sait encore si elle prendra racine, cette occupation est de date toute récente. Les sciences physiques et naturelles ont depuis longtemps occupé les quartiers les plus divers, des bocages de Malagnou aux bords de l’Arve, des Bastions à l’Ariana. Le temps n’est plus où l’on faisait aux Bastions des recherches importantes dans le domaine de la physique. Quant à la Faculté de médecine, si elle accepte avec une patience qui confine à l’abnégation de se satisfaire encore pour ses activités pré-cliniques des installations vétustes de l’Ecole de médecine, elle s’est montrée singulièrement ambitieuse et conquérante pour ses installations cliniques dans le nouvel hôpital, et pour son futur centre de la campagne Claparède.

Face à cette évolution, où en est la Société académique ? Sa fondation remonte aux temps idylliques évoqués au début de ce rapport ; elle leur est restée jusqu’à un certain point fidèle en ce sens que pour elle, malgré son éclatement, l’Université est une ; mais elle a évolué, elle aussi; mieux: souvent ses préoccupations ont devancé celles de l’Université, dont les recteurs éphémères, le secrétaire surchargé, les doyens bénévoles, pouvaient tout juste trouver le temps d’expédier les affaires courantes, sans trop se soucier de quoi demain serait fait. Le Comité de la Société académique, formé en partie d’hommes que leur activité dans la vie économique, financière, politique rendaient mieux conscients des exigences d’un monde en transformation, voyaient venir ce qu’il n’est pas excessif d’appeler la malemparée. Ils ont dès lors estimé que leur rôle ne pouvait se borner à distribuer les revenus des fonds qui leur étaient confiés ; ils ont, avec une grande discrétion, joué un rôle efficace dans la préparation des deux réformes qui ont abouti la première, à la création du poste de secrétaire général et à celle du Conseil académique ; la seconde, à celle d’un rectorat fort, libéré des servitudes du tournus entre les facultés et de la promotion aux honneurs d’hommes trop souvent âgés et fatigués. Si un historien étudiait ces deux réformes, il découvrirait que l’initiative en est partie de notre société. Elle n’a pas l’ambition de faire valoir ses « droits de propriété intellectuelle » ni de quémander une quelconque reconnaissance ; mais ce n’est pas présomption de sa part que de rappeler ce qui a été. La Société académique ne s’est d’ailleurs jamais fait d’illusions : ces deux réformes n’étaient que des pré-réformes, que des étapes préalables. Il fallait se contenter de ce qui était possible, tant étaient fortes, au sein du corps professoral, les résistances à toute innovation. Mais ces changements limités ont déclenché un processus que rien ne saurait plus arrêter. Notre société est prête à maintenir ses bons offices pour les étapes ultérieures, mais seulement dans la mesure où on le lui demandera. Elle est convaincue qu’une vraie réforme n’est concevable que si l’Université, professeurs et étudiants, d’une part, les pouvoirs publics et les initiatives privées, de l’autre, trouvent, au prix d’une recherche commune qui ne saurait exclure les heurts et les tensions, une solution équilibrée. Quand les contestataires renonceront à se payer de mots et quand, en leur for intérieur, ceux qui sont satisfaits de l’état de choses actuel admettront que des changements s’imposent, le vrai travail commencera. Mais, au fait, il a déjà commencé, et i1 durera des années : personne n’a encore une idée claire de ce que devrait être l’Université de demain ; il faudra donc procéder par étapes.

L’action discrète de la Société académique, formée de représentants des milieux de la Cité jusqu’ici les plus directement soucieux du développement de 1’Université, a déjà été en partie relayé par le Conseil académique ; elle le sera plus encore par le futur Conseil universitaire, dont la base de recrutement sera plus large, et qui associera aux affaires universitaires des milieux qui jusqu’ici ne s’en étaient guère souciés. Nous nous réjouissons de cette évolution.

Jamais, nous n’avons prétendu monopoliser l’intérêt et la sollicitude des Genevois pour leur Université ; jamais, en dépit de ces étudiants contestataires qui empruntent à l’étranger des slogans dont ils comprennent mal le sens, il n’y a eu à Genève de « classe bourgeoise » considérant l’université comme « sa chose ».

Venons-en à la Société académique distributrice de subsides destinés à encourager, à faciliter l’enseignement et la recherche. C’est une belle activité, à laquelle elle est heureuse de s’adonner. L’éclatement de l’Université et du savoir multiplie pour elle les occasions de se rendre utile. Elle gère des fonds qui ne sont pas sans importance – bientôt 8 millions de francs ; elle en répartit les revenus dans une université où les subsides du Fonds national et l’aide fédérale, qui commence seulement à déployer ses effets, loin de diminuer les besoins, les augmentent.

Les allocations de la Société académique ont le plus souvent aujourd’hui un caractère complémentaire. Ni l’Etat, ni le Fonds national ne peuvent tout faire. Il y a des secteurs, à la limite de l’enseignement et de la recherche, qui ne sont pas couverts ; et les procédures de l’Etat sont lourdes, longues; celles du Fonds national rigoureuses, et souvent aussi assez longues. La Société académique est plus souple, plus mobile. Elle peut combler une lacune, compléter un équipement, accorder en temps utile à un institut les livres, les appareils qui lui manquent. Il suffit de parcourir le registre des lettres de remerciements qu’elle reçoit pour constater que l’efficacité de ses subsides dépasse très souvent leur montant.

Cette efficacité serait plus grande encore si ceux qui lèguent tout ou partie de leur fortune à la Société académique le faisaient dans un esprit plus largement ouvert sur ce que l’avenir comporte d’imprévisible. Trop souvent, au moment de quitter ce monde, l’homme s’imagine qu’il n’évoluera plus; par des dispositions testamentaires étroites, il prétend le fixer dans les structures qu’il a connues. De là, dans les testaments faits au profit de la Société académique, des dispositions trop restrictives, qui finissent par se retourner contre les intentions mêmes des testateurs. Si la Société académique pouvait disposer plus librement de ses fonds, son aide serait beaucoup plus efficace ; liée par les dernières volontés de donateurs morts il y a des décennies, elle se trouve souvent dans l’impossibilité d’utiliser les revenus qui s’accumulent et se déprécient ; elle a le sentiment d’être obligée de faire des choses peu raisonnables.

Que les notaires sous les yeux de qui tomberont ces lignes, que les personnes qui, dans leur générosité, songent à faire à l’Université, par le truchement de la Société académique, dons ou legs y réfléchissent : s’ils mettent à un don, à un legs des conditions trop strictes, ils courent le risque de le stériliser.

Ils peuvent faire confiance à notre société : elle saura respecter l’esprit de leurs intentions.

Sciences humaines
Passons maintenant en revue les allocations que la Société académique a été en mesure de faire pendant son 80ème exercice.

Traditionnellement, les sciences de l’Antiquité occupent une place de choix dans les activités de la Faculté des lettres, dont la seule chaire qui remonte à la fondation même de l’Académie, en 1559, est la chaire de grec.

Pendant l’exercice dont je vous rends compte, la Société académique leur a attribué Fr. 18.000,-. Il s’agit de trois subsides accordés à des licenciés pour les aider à achever leur thèse de doctorat et d’une aide destinée à l’équipement d’un laboratoire de photographie destiné principalement à l’enseignement de l’archéologie, qui vient d’être confié, pour la première fois, à un professeur à pleine charge, M. José Dörig : jusqu’ici, il ne s’était agi que d’un enseignement d’appoint, d’une, puis de deux heures de cours ou de séminaire par semaine, donné successivement par Edouard Naville, Waldemar Deonna, Paul Collart et Henri Metzger.

Voici le détail des subsides concernant les Sciences humaines : A Mme Joseph Starobinski, qui achève une thèse sur le philosophe juif Philon d’Alexandrie (1er siècle de notre ère), Fr. 3.000,- prélevés sur le Fonds pour les études classiques et orientales; A. M. René Amacker, qui achève à l’Institut suisse de Rome une thèse sur la syntaxe d’Ovide, Fr. 2.500,- prélevés sur le Fonds Moriaud; A MlIe Andrée Villard, qui travaille à une thèse sur la solitude dans la poésie latine, Fr. 2.500,- prélevés sur le Fonds pour les études classiques et orientales; Au doyen de la Faculté des lettres, pour l’équipement d’un laboratoire photographique destiné principalement à l’enseignement de l’archéologie classique, Fr. 10.000,- (dont Fr.8.000,- à Ia charge du Fonds général et Fr. 2.000,- à la charge du Fonds Pronier).

L’Institut des sciences de l’éducation a reçu Fr. 4.000,- prélevés sur le Fonds général, pour sa bibliothèque, qui n’a bénéficié jusqu’ici que de crédits dérisoires de la part de l’Etat, et n’a pu se développer. L’aide de la Société académique permettra de compléter les collections de deux très importantes revues américaines de psychologie. Elle aura aussi, espérons-le, le mérite d’attirer l’attention du Département de l’instruction publique sur l’état pitoyable de l’équipement scientifique dans ce secteur de l’Université. Un subside de Fr. 800,- prélevé sur le Fonds Moriaud a permis à deux jeunes théologiens, MM. Labarthe et Vorburger, collaborateurs du pasteur Fraenkel pour l’édition de textes du XVIè siècle, de participer à un congrès à Cambridge. Un subside de Fr. 6.000,- prélevé sur ce même fonds, permettra au professeur François Bovon, successeur du professeur Franz Leenhardt à la chaire de nouveau testament, de bénéficier, pour une recherche en cours sur le livre des Actes des apôtres, de l’aide d’un assistant, M. Marcel Fallet, licencié en théologie.

Il est rare qu’une revue savante ait l’occasion de commémorer son centenaire ; plus rare encore que ce soit une revue philosophique. Or cela vient d’avoir lieu en Suisse romande. En octobre dernier à Lausanne, la Revue de théologie et de philosophie célébrait le centième anniversaire de sa fondation.

Depuis un siècle, elle accueille les réflexions et les études des philosophes et des théologiens des cantons de Genève, de Vaud et de Neuchâtel. Sa collection est le fidèle reflet d’un siècle de pensée romande. Les Sociétés académiques de Genève, de Lausanne et de Neuchâtel ont accordé en commun 6.250 francs aux rédacteurs de la revue pour leur permettre d’imprimer la table analytique des années 1938 à 1967. La part de notre société, prélevée sur le Fonds ordinaire, a été de Fr. 2.500,-.

Il n’y a pas d’enseignement d’histoire des sciences à l’université. C’est une lacune. La société Académique a pris l’initiative de la combler. Elle disposait pour cela des revenus du Fonds Gillet, qui lui ont déjà permis, il y a quelques années, d’introduire à la Faculté des lettres un enseignement d’histoire médiévale repris depuis par l’Etat.

20.000 francs ont été prélevés sur ce fonds, grâce auxquels M. Pierre Speziali pourra être déchargé, pour une première année de la moitié de ses obligations à l’Ecole supérieure des jeunes filles, ce qui lui permettra de donner un cours et de diriger, en collaboration avec le professeur Jauch, un séminaire de recherche sur des sujets d’histoire des sciences. Ce nouvel enseignement intéresse au premier chef la Faculté des sciences. Les maîtres secondaires de mathématiques, de physique, de chimie, de sciences naturelles qu’elle forme doivent pouvoir exposer à l’occasion aux élèves qui leur sont confiés la genèse des grandes découvertes ; mais cet enseignement intéresse aussi la Faculté des lettres: l’histoire des sciences n’est-elle pas un des aspects les plus importants de l’histoire tout court ?
Ce subside compris, la part des sciences humaines à été de Fr. 51.300,-.

Sciences physiques et naturelles
Le total des subsides accordés à la Faculté des sciences, les 20.000 francs destinés à l’enseignement de M. Speziali non compris, est cette année de Fr, 39.514,-.

Médecine
C’est à partir de l’exercice en cours que la Faculté de médecine bénéficiera pleinement des retenus du Fonds Rapin, dont je vous ai annoncé il y a un an la création. Pendant l’exercice dont je vous rends compte, il n’a pu être prélevé sur les revenus de ce fonds que Fr. 7.300,- qui ont permis au professeur Jean-Aimé Baumann d’acquérir deux microtomes.
Un subside de Fr.  4.157,50 à la charge du Fonds général, a été alloué au professeur W. Geisendorf à titre de contribution à l’achat d’un appareil qui permet de déceler par ultra-sons les battements du cœur fœtal de manière très précoce, puis de localiser le placenta et de déterminer la position de l’enfant avant l’accouchement.
Le prix Fernex, d’un montant de Fr. 3.500,- a été remis au Dr André Cruchaud, dont les travaux sur les protéines anormales chez les malades atteints de tumeurs constituent une contribution à la recherche sur le cancer.
Cela fait, au total, pour la médecine Fr. 14.957.-.

Subsides divers :
A ces subsides alloués aux facultés, il y a lieu d’ajouter les trois prix Gillet, de Fr. 1.000,- chacun, remis aux élèves du Collège qui ont obtenu en juin 1968, les premières maturités classique (Alec Martin-Achard), réale (Eric Langlo) et scientifique (André Etienne), ainsi que le paiement du solde des factures relatives à l’aménagement du Centre culturel international de l’Université à la Villa Rigot, soit Fr. 69.069,-. Cela fait au total, Fr. 177.840,- que la Société académique a pu distribuer à l’Université pendant son 80è exercice.
Sur ce montant, Fr. 127.518,30, proviennent de ses propres revenus, qui se sont élevés, comme va vous l’exposer notre trésorier, à Fr. 164.669,-.

Votre société n’a donc pas dépensé la totalité de ses revenus. C’est, si je puis dire, un accident, que l’exercice en cours a déjà commencé à corriger. Il convient cependant de rappeler une nouvelle fois que certains de nos fonds sont stérilisés par les dispositions testamentaires trop limitatives de ceux qui nous les ont légués.

Que ses revenus – et sa fortune – aient connu l’heureux développement qui permet à la Société académique d’accroître sans cesse l’efficacité de son aide, c’est en grande partie à ses financiers que nous le devons. Ils ont admirablement géré ses portefeuilles, et leur gestion a inspiré une confiance qui se répercute dans les legs et les dons qui lui sont faits en nombre croissant.

Or, celui qui a été au cœur de tout ce travail financier depuis plus de 20 ans, qui n’a jamais ménagé ni son temps, ni sa peine, qui a exercé en faveur de notre société toutes les ressources de sa générosité personnelle, cet homme nous quitte. J’ai nommé M. Jean-Jacques Gautier. Il nous quitte après nous avoir rendu d’inestimables services, non seulement dans la gestion de nos fonds, mais dans l’accomplissement de toutes nos tâches, et notamment dans nos efforts pour aider l’université à adapter ses structures aux temps nouveaux. Il a estimé que le moment était venu pour lui de faire place à un homme plus jeune, donnant ainsi le meilleur des exemples. Dans quelques instants, il vous présentera son vingtième et dernier rapport. Vos applaudissements lui montreront que vous partagez les sentiments de regret et de reconnaissance de ses collègues du comité.