Rapport annuel de la présidence 2017-2018

Patrizia LOMBARDO, présidente
29 novembre 2018

 

La générosité

L’activité de la SACAD s’est poursuivie cette année avec l’octroi de subventions variées et un gros effort pour la réorganisation du chalet du jardin alpin, propriété de la SACAD, la Linnaea à Bourg-St-Pierre (VS). Je remercie la Commission de la Linnaea, en particulier son président, M. Pierre-André Loizeau, et Mme Caroline Baltzinger.

Comme il avait été annoncé l’an dernier, la mise en ligne des requêtes est achevée grâce au travail inlassable de Mme Caroline Baltzinger et de M. Jean-Michel Dayer ; l’équipe travaille à présent sur notre site et à la mise à jour de ses différentes rubriques.

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Dans le monde d’aujourd’hui, il semble de plus en plus nécessaire de réfléchir sur les valeurs en reprenant des idées qui ont été ébauchées, ou traitées plus amplement, par les penseurs du passé et qui suggèrent des développements aux penseurs d’aujourd’hui. Il serait absurde d’interpréter notre monde moderne selon des schémas antiques exclusivement, mais il serait trop facile de croire à un nouveau absolu et de se fixer sur les dernières modes sans considérer l’importance des bagages culturels du passé, lesquels peuvent nous rendre mieux conscients des transformations. Le fait que la technologie avancée crée des conditions de vie nouvelles ne dispense pas de l’attention à ce qui a constitué la sagesse et la clé des relations sociales dans les cultures les plus diverses. Dans le passé, on s’est beaucoup interrogé sur les vices et les vertus, du point de vue philosophique et théologique ; les vices et les vertus sont liés aux différentes passions et émotions humaines, et les nombreux philosophes qui ont étudié celles-ci ont souligné leur importance dans la vie individuelle et collective. La littérature a toujours analysé et exposé par la fiction les conflits moraux réels des êtres humains.

L’an dernier, j’ai eu l’occasion de parler d’une valeur ou émotion chère à Michel de Montaigne, la confiance ; cette année je voudrais proposer quelques brèves réflexions sur une valeur qui s’y apparente, la générosité, valeur indispensable dans la sphère publique et dans la sphère privée. Au niveau mondial, il est de plus en plus crucial que les pays les plus riches ne se resserrent pas sur leurs intérêts spécifiques, mais s’inquiètent de l’équilibre avec les pays en voie de développement. Face à l’immigration massive de ces dernières années en Europe, il est souhaitable que les pays européens agissent de manière réfléchie et généreuse, et parviennent à un véritable accord. Au niveau de la vie communautaire, nous savons l’importance des institutions humanitaires de tout type – internationales et nationales. Dans notre monde genevois et universitaire, la SACAD n’existerait pas sans la générosité de ses fondateurs en 1888, de ses nombreux donateurs qui ont renouvelé les dons au cours des années, et de ses membres qui veillent à ce que la recherche dans les champs les plus divers soit encouragée ainsi qu’à solliciter de possibles nouveaux donateurs. Je dirais même que toute recherche, indépendamment des motivations particulières d’un chercheur, contient de la générosité, la générosité de l’intelligence qui s’engage dans un but inévitablement commun dont l’utilité peut être à court terme ou à long terme. Car la générosité comporte certes les biens matériels, mais aussi le temps, l’intelligence et les sentiments que l’on peut donner à ses propres occupations et à autrui.

Historiquement, la générosité représente une vertu aristocratique. Le mot français vient du latin generositas, qui signifie noblesse, mais aussi bonté, excellence, et qui a donné le terme gentil. Dans la Chine ancienne, la générosité fait partie, avec la gentillesse, de l’esprit ouvert d’un noble, ainsi que le dit le Yi Jing, Le Livre des mutations (écrit en langue archaïque plusieurs siècles avant J.-C., il a été commenté et élaboré plusieurs fois, et sa traduction fut connue en Europe à la fin du XVIIe siècle). Dès le XVIIe siècle en Occident, l’usage du terme indique de plus en plus une qualité spirituelle et non simplement une origine familiale. Mais Aristote remarquait déjà que les vertus ne dépendent pas de la richesse et que l’on peut accomplir des actions exemplaires avec des moyens modestes. Il faut comprendre ce qui est aristocratique non en termes de classe mais d’attitudes morales, et il ne faudrait pas craindre de relancer ce qui a eu un rôle fondamental dans la philosophie éthique du passé. Confiance, générosité, admiration, respect : voilà des valeurs que l’on devrait cultiver et qui peuvent freiner les impulsions égoïstes et individualistes qui persistent en dépit des grands discours de notre époque bavarde.

La générosité implique, certes, des sentiments, mais aussi des actions et des gestes. Eleutheriotes est le terme par lequel Aristote, dans ses deux ouvrages de philosophie morale, l’Éthique à  Nicomaque et l’Éthique à Eudème, indique la condition du citoyen libre qui sait être au-dessus de ses possessions et en faire un bon usage dans des buts utiles et admirables. Les commentaires récents concordent sur la traduction de ce mot par générosité ou libéralité. On sait combien il est difficile de trouver, dans une langue moderne, une correspondance avec des concepts et sentiments exprimés dans les langues anciennes, ou même des correspondances entre une langue contemporaine et une autre, mais quelle magnifique investigation à la fois philologique, historique, culturelle et morale que d’étudier les étymologies et les sens des mots !

Descartes, dans Les Passions de l’âme, poursuit l’idée que la « vraie générosité » constitue un motif d’estime de soi, car le généreux ne manque jamais « de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu’il jugera être les meilleures », sans limiter cette vertu à un rapport à soi ou à un sentiment de supériorité, mais en l’élargissant au rapport à autrui, car « elle empêche que l’on méprise les autres ». Il n’y a aucun doute que la générosité éloigne du mépris et de la méfiance ; elle comporte un regard bienveillant envers les autres, ceux qui nous sont proches et ceux qui nous sont moins proches.

Une étude approfondie de la générosité devrait enquêter sur les différentes conceptions, religieuses ou non, de la justice et de la charité, sur la sympathie que David Hume et certains philosophes du XVIIIe siècle ont considérée comme une disposition cruciale pour l’existence des collectivités. Aujourd’hui, on parle beaucoup d’empathie en philosophie morale et en psychologie ; dans les approches féministes, la notion de care ethics (éthique de la sollicitude) est courante ; des psychologues évolutionnistes contemporains (Christopher Krupenye de Saint Andrews en Écosse, Brian Hare de Duke University) mènent des expériences avec certains types de singes pour comprendre l’instinct de la générosité ; en psychologie sociale et dans les théories de management, on étudie des formes différentes de prosocial behavior (comportement prosocial), comme le volontariat, la coopération et la philanthropie. À côté des éloges de la générosité, il y a et il y a eu, surtout dans certains courants de la pensée moderne et contemporaine, des critiques, car la générosité impliquerait un pouvoir de celui qui fait le don sur celui qui le reçoit ; l’exemple de la vraie générosité serait le potlatch des tribus amérindiennes et de certaines ethnies du Pacifique, avec le rituel du don et du contre-don où tous les acteurs se privent d’un objet qui leur est particulièrement cher et l’offrent à l’autre.

Mais peut-être Aristote peut-il encore une fois nous éclairer. Il distingue entre possession ou acquisition, et utilisation des biens. Le généreux use de ses biens en faisant des dons (dósis = don) ; il diffère de l’avare qui s’accroche aux biens acquis et du prodigue qui les utilise mal. Comme souvent chez ce philosophe, une vertu ou un vice implique un affect ou une émotion, et une action. Selon Aristote, la pratique d’une vertu suppose du plaisir ; le généreux a à la fois le plaisir d’acquérir et celui de donner. Aristote inspire un type de pensée qui refuse l’accumulation pour l’accumulation aussi bien qu’une pensée mystique trop utopique qui ne valoriserait que le don total de soi. Se situant toujours  dans une vision du juste milieu, il nous encourage à fuir les excès. La générosité serait ainsi une belle vertu modérée, source et preuve d’équilibre moral.

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Je voudrais exprimer notre tristesse pour le décès du professeur Gérard de Haller le 12 mai 2018.
M. de Haller a été président de la SACAD de 1986 à 1989 et il a contribué à relancer le jardin alpin de la Linnaea au moment du centième anniversaire de la SACAD. Son ouverture d’esprit et sa bienveillance nous manqueront. Nous tenons à remercier sa famille pour les dons qui ont été offerts à la Linnaea en sa mémoire.

 Activités de l’année 2017-2018

 La Bourse post-doctorale Eugène Choisy et Charles Borgeaudde la Société académique de Genève (CHF 60’000.-/an pour deux ans) a été attribuée l’an dernier, en 2016- 2017, à M. Andrea Vestrucci de la Faculté de théologie. À la fin de sa première année de bourse, ce lauréat, d’abord affilié comme Researcher à l’Université de Californie à Berkeley, dans le Center for the Study of Religion, et, depuis mai 2018, Visiting Professor à la Graduate Theological Uninion de Berkeley, a fait preuve d’une activité remarquable. Dûment modifiée, sa thèse de doctorat à Genève sous la direction du Professeur Hans-Christoph Askani a été soumise pour publication aux éditions Mohr Siebeck (Tübingen), sous le titreTheology as Freedom. Un article sur Hanna Arendt a paru dans un volume publié par Cambridge Scholars, et une édition et traduction de la philosophe Agnes Heller est sous presse. Sa recherche avance brillamment du point de vue des publications et des conférences, et se rapporte à deux branches de recherche interdisciplinaire : le lien entre théologie et esthétique, qui avait été apprécié au moment de l’attribution de la bourse, et le rapport entre théologie, logique et mathématique, qui constitue un champ d’investigation audacieux et tout à fait nouveau.

Répartition requêtes:

  • 35 participations à des congrès ou voyages d’étude
  • 7 achats d’appareils scientifiques
  • 6 contributions à des frais d’impression (livres, actes de congrès, etc…)
  • 30 subsides divers, destinés à l’organisation de colloques, de cours ou à des attributions de bourses ou autres projets de recherche.

Quelques autres événements:

  • Prix Charles Bally attribué à Mme Griveau-Genest Grisot pour sa thèse intitulée L’Esthétique du faire croire. Etude littéraire des sermons latins et français de Jean Gerson.

Prix Gillet Voyage 2017

1er Prix, attribué à May Mardam Bey pour son projet de voyage au Japon
2ème Prix, attribué à Manon Davies pour son projet de voyage en Equateur
.3ème Prix, attribué à Alix Frauchiger pour son projet de voyage intitulé : Montrez-moi Cléopâtre VII.

Bourse Philibert Collart attribuée à Rami Adam Kais pour son projet de recherche intitulé : The Sophist and the Philosopher in Plato’s Sophist.

 Quelques subventions et interventions importantes :

  • C. Aumeier, CHF 50’000.-, contribution à l’acquisition d’un système d’imagerie TIRF-FRAP-Ablation.
  • P. Cosson, CHF 40’000.-, équiper et moderniser les laboratoires de travaux pratiques de sciences biomédicales, projet prioritaire de la Faculté de médecine.
  • B. Wehrle, CHF 30’000.-, achat d’un microscope à fluorescence de super-résolution dynamique 3D à intégrer dans une plateforme facultaire utilisée par de nombreux groupe à l’intérieur et à l’extérieur de la faculté de médecine.
  • P. Linder, CHF 30’000, achat d’équipement scientifique nécessaire au travail de la Prof. I. Eckerle nouvellement nommée.
  • U. Schaltegger, CHF 80’000.- contribution à la mise à jour du laboratoire de géochronologie argon-argon au sein du groupe de Géochimie isotopique et de géochronologie.
  • FOREMANE II – 3ème versement – CHF 250’000.-, projet Optogenetically inspired deep brain stimulation to treat addiction and OCD (OptoDBS) des Profs. Lüscher et P. Pollak, Université de Genève.

 5) Renouvellement des mandats au Comité : Les membres suivants sont proposés à l’Assemblée générale du 29 novembre 2018 pour un renouvellement de deux ans conformément aux statuts: Eric Allémann, Henri Bounameaux, Bénédict de Candolle, Jean-Michel Dayer, Claude Martinou, David Sander et Nicolas Zufferey.

6) Remerciements

Je ne peux que remercier encore cette année le trésorier M. Renaud Gagnebin, l’administratrice Mme Caroline Baltzinger, les membres du Comité et des nombreuses Commissions ainsi que tous les membres de la SACAD. Comme tous les ans, leur travail a été accompli avec passion, dévouement  et générosité.