Rapport annuel de la présidence 1903-1904

Henry FATIO, président
17 novembre 190

  

Mesdames et Messieurs,

Cette année est Ia seizième de notre Société, qui devient une jeune personne tout à fait intéressante. Ayant pris de l’âge, de la raison et surtout une jolie dot, elle joue un certain rôle dans notre cité, où elle se voit entourée de l’affection d’un nombre toujours plus considérable de personnes. Les unes en veulent, d’une façon très légitime, à sa bourse, tandis que d’autres, au contraire, lui donnent des témoignages palpables de leur estime.

L’année qui vient d’échoir a été pour elle et pour notre Université une année de joies et de tristesses, de fêtes et de deuils. Elle a vu, d’une part, célébrer avec beaucoup d’enthousiasme le nouveau Dies Academicus, inauguré avec un grand succès ; et, de l’autre, partir des hommes de haute valeur, qui faisaient le plus grand honneur, au près comme au loin, à la science genevoise.

Nous avons, en ce qui nous concerne, à déplorer la perte de plusieurs de nos sociétaires, et, en particulier, celle d’un des membres les plus zélés de notre Comité, le prof. Charles Soret. Pendant six ans nous avons pu apprécier et mettre à contribution les capacités et la bonne volonté de ce collègue aimable, consciencieux et dévoué. Nous pouvions, à vues humaines, compter encore longtemps sur son concours, mais une courte maladie l’a enlevé dans la force de l’âge aux siens et à ses amis. Quoique ses cours, son laboratoire, ses fonctions de recteur et tant d’autres travaux de science fussent déjà une tâche très lourde, qui devait user ses forces prématurément , il était toujours prêt à remplir d’une façon très active ses devoirs de membre de notre Comité. Des voix plus autorisées que la mienne ont déjà dit tout ce qu’il avait été comme savant, digne continuateur des physiciens qui, comme son père, ont illustré notre Université ; mais nous, Société Académique, devons encore un témoignage de reconnaissance à sa mémoire.

Il a été suivi de près dans la tombe par son collègue et ami Albert Rilliet, enlevé comme lui beaucoup trop tôt à l’affection des siens et à l’estime de ses confrères et de ses élèves. Nous n’avons pas eu le privilège de le compter au nombre des membres de notre Comité, mais il fut un de nos sociétaires de la première heure, et ses héritiers, comme ceux de M. Charles Soret, ont tenu à rappeler l’intérêt qu’il portait à notre activité en nous en donnant un généreux témoignage.

A ces deux noms d’amis que la mort nous a enlevés cette année, nous devons encore ajouter ceux du prof. Zahn, et de William Spiess qui fut pendant un an un secrétaire dévoué de notre Comité, au sein duquel il représentait le corps des étudiants.

Trois dames, membres de notre Société, Madame Du Pan-Revilliod et Mesdemoiselles Antoinette Cougnard et Constance Clerc, ont également pensé à notre Université en rédigeant leurs dernières volontés et mis de très belles sommes à notre disposition.

Les Sociétés de Zofingue, de Belles-Lettres et des Etudiants français, Monsieur Edmond Chènevière Mademoiselle Aline Forget, ainsi que plusieurs membres à vie, sont venus aussi grossir notre capital dans le courant de cet exercice et le porter à Fr. 107’000.- environ.

À côté de ces dons en espèces, une gracieuseté a été faite par notre entremise à l’Université par Monsieur Henry Abegg, qui prépare de merveilleux clichés photographiques Pour le Département de l’Instruction publique de New-York. Il en a mis les originaux à notre disposition pour le cas où notre enseignement universitaire pourrait trouver à en utiliser les reproductions. Avec la faveur dont jouissent maintenant les conférences illustrées de projections lumineuses, nous ne doutons pas que cette collection remarquable, reproduisant des sites et des œuvres d’art, ne soit bientôt mise à réquisition.

Nous en arrivons maintenant à un chapitre assez important, qui vient d’entrer dans notre bilan à la demande de M. le Monsieur le Directeur de la Bibliothèque publique.

II s’agit d’un fonds spécial dont nous venons d’assumer la gestion et qui figure actuellement sur nos livres pour la somme de 2100 francs.

Suivant l’acte qui en règle le fonctionnement, notre Société a pris l’engagement d’affecter cette somme, et celles qu’elle pourra recueillir dans le même but, à un Fonds auxiliaire de la bibliothèque publique dont elle consacrera la pleine propriété, mais qui sera placé et administré d’une manière distincte de ses autres fonds et qui sera employé exclusivement dans l’intérêt de la Bibliothèque publique de la Ville de Genève, conformément aux stipulations qui suivent.

Ce fonds sera formé au moyen du versement qui vient d’y être affecté, des dons et legs qui pourront être faits à notre Société, avec destination spéciale à ce fonds, ainsi que des bénéfices qui pourront être réalisés sur les titres qui le constitueront. Il sera placé en valeurs sûres par les soins du Comité de notre Société et ses intérêts devront être capitalisés jusqu’à ce que le capital atteigne le montant de 25,000 francs. Lorsqu’il aura atteint ce chiffre, les intérêts pourront être employés, jusqu’à concurrence du 75 %, à l’achat d’ouvrages destinés à la Bibliothèque publique, le surplus des intérêts devant être capitalisé. Néanmoins, tout don ou legs, fait spécialement sous des indications différentes, pourra être accepté pour ce fonds auxiliaire.

Le choix ou l’achat d’ouvrages modernes ou anciens, utiles pour les différentes branches des études et travaux universitaires, seront faits par les soins de notre Société, qui sera libre d’affecter chaque année à ces achats la totalité ou une partie seulement de la quotité disponible des intérêts de ce fonds. Dans ce but, votre Comité élira, suivant le mode et pour la durée qu’il jugera convenable, une commission composée de trois membres au moins faisant partie de la Société Académique. Cette commission votera et exécutera les achats sous le contrôle de votre Comité.

Elle pourra prendre, à titre consultatif, les avis de la Direction de la Bibliothèque publique sur l’opportunité de certains achats, spécialement afin d’éviter que les acquisitions ne soient faites à double, et pour connaître les demandes venant de l’Université. Votre Comité aurait, enfin, à vous rendre compte chaque année, dans son rapport annuel, de la gestion et de l’emploi de ce fonds auxiliaire que notre Société aurait en tout temps, et lorsqu’elle le jugerait opportun, la faculté de remettre à une société, association ou fondation, présentant les garanties requises de sécurité, qui s’engagerait à en faire un emploi conforme à ce qui se trouve stipulé dans son acte constitutif.

C’est en vue d’éviter, pour le moment du moins, la constitution d’une nouvelle société auxiliaire, devant rendre à notre Bibliothèque publique les mêmes services que rendent à nos musées leurs sociétés auxiliaires que la Direction de la Bibliothèque est venue nous demander de prendre en mains ce service.

Comme notre vieille Bibliothèque est l’un des instruments de travail les plus précieux de notre Université, nous n’avons pas cru déroger au mandat déterminé par l’art. 3 de nos statuts en acceptant cette responsabilité nouvelle.

Ce fonds auxiliaire viendra compléter les crédits alloués par la Ville de Genève qui, s’il ne se constituait pas, seraient, d’ici peu de temps, trop faibles pour soutenir notre Bibliothèque publique au niveau auquel elle devrait être. Nous souhaitons qu’il ramène à cette précieuse institution l’intérêt que lui portaient nos ancêtres. Ils la sentaient indispensable au rôle qu’ils aspiraient à voir jouer par Genève et son Académie. On pourrait citer des exemples nombreux et frappants de ce souci répandu chez tous, et souvent touchant dans ses manifestations, de contribuer, chacun pour sa part, à assurer à sa ville le bénéfice d’une bibliothèque aussi bien fournie que possible d’ouvrages utiles. Dans son intéressant récit de la fondation de l’Académie, M. le professeur Borgeaud a rappelé la pauvre boulangère qui versa cinq sous pour l’Académie ; de même, en parcourant les listes des testateurs

ou des souscripteurs qui ont octroyé des largesses à la Bibliothèque, on rencontre à chaque instant, côte à côte, les noms des habitants de Genève les plus riches et ceux des moins fortunés, simples artisans ou ouvriers. Dans la plupart des testaments, si modique que fût la fortune à répartir, le nom de la Bibliothèque apparaissait au nombre des légataires. C’est par ces dons et legs que se constitua le compte « Dons et legs de la Bibliothèque publique », qui fut pendant longtemps fort important ; mais les besoins grandissant et les dons diminuant, on eut bientôt pour résultat de le voir s’évanouir presque complètement et de laisser la Bibliothèque en face des seules allocations budgétaires, dont plus des deux tiers sont consacrées aux abonnements et aux suites d’ouvrages en cours de publication.

Revenons aux anciennes traditions, Mesdames et Messieurs ; et maintenons en pleine valeur ce merveilleux outil dont nous avons hérité !

Après ce préambule, plutôt étendu, sur nos recettes, nous en arrivons au but principal de ce rapport, qui est de vous mettre au courant de l’emploi des fonds que vous avez mis à notre disposition pour le bien de notre Université.

Notre plus forte subvention de l’année a été votée pour la publication du second volume du Livre de l’Université de M. le professeur Ch. Borgeaud. Le legs de 500 francs, fait à la Société par Mademoiselle Clerc, a permis de constituer, selon le vœu de la donatrice, un fonds nouveau, le Fonds du Livre de l’Université. L’Alma Mater, nous l’espérons, en recueillera le fruit pour 1909, époque où elle célèbrera le 350ème anniversaire de sa naissance.

La constitution de ce fonds, auquel votre Comité a décidé de verser une allocation de 1000 francs, ainsi que le don de zoo francs prélevé par Ia Société de Zofingue sur le produit de sa soirée annuelle, était devenue nécessaire pour permettre l’achèvement de l’histoire de l’Université. On sait que l’impression et l’illustration du premier volume de cette publication

de luxe, l’Académie de Calvin, ont complètement épuisé les ressources mises à la disposition de la commission d’édition. Le second volume, consacré à l’Académie et à l’Université de notre temps, doit contenir les biographies et les portraits des professeurs du dix-neuvième siècle. Il constituera, s’il peut recevoir le même développement que le premier, un dictionnaire de biographies genevoises contemporaines, qui reliera en quelque sorte la Genève scientifique et littéraire du présent à celle du passé.

Il n’est pas possible, vu le coût considérable d’une telle publication et le caractère purement genevois du sujet, de compter sur la vente en librairie pour en couvrir les frais ; c’est pourquoi votre Comité, qui en a pris l’initiative, recommande le Fonds du Livre de l’Université à tous ceux qui désirent assurer l’achèvement de cette œuvre nationale, de ce monument élevé à la gloire de la fille de Calvin.

Le premier volume de ce magnifique ouvrage a donné récemment au chef d’une grande République l’occasion de dire des paroles aimables, au sujet de notre petite République, à l’un de nos professeurs qui lui en faisait l’hommage au nom de l’Université.

L’enseignement de la géographie historique, politique et économique ayant été récemment introduit dans la Faculté des Lettres et Sciences sociales, M. le professeur W. Rosier, chargé de ce cours, est venu nous demander notre concours pour l’acquisition du matériel cartographique qui lui était nécessaire. Nous y avons répondu en lui donnant les moyens de se procurer un certain nombre de cartes murales qui, avec quelques petites modifications, pourront lui servir pendant plusieurs années.

Puis, nous avons, à la demande de la Faculté de Droit, renouvelé notre subside à M. le privat-docent H. de Claparède, qui professe le droit allemand à l’Université. Son cours continue à être suivi par un nombre important d’étudiants de langue allemande qui viennent à Genève se perfectionner dans notre langue.

Enfin, le versement du solde de notre allocation pour le Catalogue à fiches du Concilium Bibliographicum et une nouvelle petite subvention au Chœur universitaire ont quasiment épuisé le solde de nos revenus.

Nous n’avons rien de spécial à vous dire à propos des Fonds Schwytzguebel et Moynier. Les revenus du premier ont été remis à la Faculté des Lettres, suivant les intentions du testateur. Pour le Fonds Moynier, nous nous trouvons encore dans la même situation que l’an dernier. La salle dite « des périodiques » qui doit recevoir, dans le bâtiment de la Bibliothèque publique, les publications se rapportant aux sciences sociales, auxquelles les revenus de ce fonds seront affectés, n’est pas encore prête, mais ne tardera plus beaucoup à l’être. Nous nous sommes donc bornés à faire accroître le capital que nous a versé Monsieur Gustave Moynier, des intérêts qu’il a pu produire, en attendant son emploi. La commission qui doit s’occuper du choix et de l’achat des publications a été nommée suivant les termes de la convention qui régit cette fondation ; elle se compose de MM. les professeurs de Girard, Adrien Naville et L. Wuarin représentant la Faculté des Lettres et Sciences sociales, de M. le professeur A. Moriaud représentant la Faculté de Droit, de M. le professeur Alfred Gautier et de M. Ad. Moynier pour représenter notre Société, et de M. le Directeur de la Bibliothèque publique.

Cet exposé, très insuffisant, vous aura montré, Mesdames et Messieurs, ce que nous avons pu faire pendant cet exercice, et laissé entrevoir ce que nous voudrions et devrions encore faire avec votre concours et, si nous osions le demander, celui de MM. les Professeurs. S’inspirant du beau résultat obtenu l’an dernier par M. le professeur Alfred Gautier, et de ce que font leurs confrères de Lausanne pour la Société Académique de cette ville, ils pourraient peut-être, eux aussi, augmenter dans une forte mesure nos moyens d’action. Chargé de dettes et de bien d’autres monuments scolaires, l’Etat ne peut faire tout ce qu’il devrait et voudrait, sans doute, pour notre Université ; c’est donc sur l’initiative privée, dont on a bien voulu nous faire les représentants, que retombe le soin de combler les lacunes laissées par nos gouvernements municipaux et cantonaux. C’est une tâche onéreuse mais belle et point ingrate, que nous n’hésitons pas à vous mettre sur le cœur en terminant et vous remerciant, Mesdames et Messieurs, de votre bienveillante attention.