Rapport annuel de la présidence 1932-1933

Alphonse BERNOUD, président
17 novembre 1933

 

 Mesdames et Messieurs,

Transmettre la science, telle est la première fonction de l’Université ; l’accroître, c’est la deuxième et c’est aussi la plus importante. Voilà pourquoi tous les efforts de votre comité, durant cet exercice, ont tendu à soutenir l’esprit de recherche, le travail de découverte, l’ardeur spéculative et expérimentale des professeurs et des étudiants de notre haute Ecole.
Sondez, explorez tous les mystères de la Nature, cherchez, cherchez encore ; nous sommes là pour vous en fournir les moyens, avons-nous dit à tous. Et ce rapport, Mesdames et Messieurs, n’a pas d’autre raison que de vous exposer les encouragements que nous avons distribués en votre nom.
Le temps n’est plus où l’on découvrait par Ia seule observation des sens. La marmite de Papin, le lampadaire de Galilée, la pomme de Newton, la chandelle et le brin de menthe de Priestley qui provoquèrent l’éclosion brusque d’une pensée longuement mririe dans l’inconscient nous paraissent aujourd’hui des moyens primitifs adapté seulement à une époque révolue. Les philosophes ne s’enferment plus dans des poêles pour imaginer des systèmes du monde.
De nos jours, on ne découvre qu’après avoir étudié attentivement les phénomènes à l’aide d’une instrumentation compliquée qui, suppléant à la faiblesse de nos yeux, nous introduit dans l’intimité même de la matière.
Les juristes, les sociologues, les littérateurs mêmes, s’ils n’ont pas à manier d’appareils, ne peuvent cependant se passer de connaître l’immense amas de matière première que composent les travaux de leurs devanciers et de leurs contemporains. Il leur faut des livres, des périodiques, des revues.
Si parfois l’éclair brusque de l’intuition semble jaillir spontanément d’un cerveau, soyez bien certains que ce n’est qu’après une lente accumulation d’observations et l’assemblage d’une quantité de renseignements soigneusement choisis.
A la grande armée de l’étude et de la recherche il est donc nécessaire de fournir matériel et munitions.

Encore convient-il de ne lui livrer que des armes de la meilleure qualité, car l’Université de Genève ne peut être médiocrement outillée. Dans sa pacifique rivalité avec les institutions du même ordre, elle est obligée d’être une prima inter pares sous peine de déchoir et de disparaître.

Nous avons le bonheur de posséder un corps de professeurs d’une valeur incontestée dont les travaux attirent l’attention du monde entier ; une jeunesse avide de s’instruire se presse dans leurs auditoires ; la réputation de l’ancienne académie devenue université nous requiert de poursuivre les efforts des siècles précédents et d’assurer aux disciplines modernes autant d’intérêt que nos pères en marquèrent aux humanités d’alors. Notre tâche est donc nettement tracée et nous entendons l’accomplir scrupuleusement et avec succès.

Les diverses facultés de l’Université ont des besoins très variés. Alors que du côté des Lettres, du Droit ou des Sciences sociales et économiques, l’on nous demande surtout des livres dont l’acquisition n’est jamais très onéreuse, il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit des Sciences et de la Médecine. Dans ces domaines, non seulement il convient aussi de distribuer des allocations destinées aux traités et aux périodiques, mais il faut encore contribuer à l’achat d’instruments et à f installation de laboratoires, dépenses toujours assez élevées.
De là une certaine inégalité dans la répartition des fonds dont nous disposons. Soucieux de ménager les intérêts de tous les enseignements, de soutenir les efforts de l’ensemble des professeurs et de procéder avec une impartialité aussi approximative que possible, votre comité a décidé de prélever sur le « Fonds pour l’Université », constitué par souscription publique, la somme de trois cent mille francs pour la mettre à la disposition de l’Université et destinée à contribuer aux agrandissements que projettent l’Etat et la Ville de Genève.

Nous parlons ici de la construction de la nouvelle bibliothèque et de la transformation des bâtiments universitaires, auxquels serait annexée l’aile occupée jusqu’ici par la bibliothèque actuelle.
Cette allocation massive n’a été décidée qu’après l’accord complet du Sénat et des représentants de toutes les Facultés. A l’unanimité, ces corps ont estimé que cette participation de la Société Académique aux frais des travaux envisagés, correspondait exactement à l’intérêt général et donnerait satisfaction aux désirs de tous les universitaires, professeurs et étudiants.

Dans notre esprit, la subvention annoncée doit servir à l’aménagement en locaux universitaires de la bibliothèque actuelle, te jour que la nouvelle bibliothèque sera terminée. Il ne nous est pas possible de fixer Ia date de ces transformations. Les constructions projetées dépendent de la situation financière et de la volonté des deux grandes administrations qui gèrent l’Université et la Bibliothèque. Durant les années de dépression économique, on doit se borner à des études et à des projets. Mais la Société Académique, en informant le Département de l’Instruction publique de sa décision, a voulu montrer qu’elle était prête à participer, le moment venu, aux grands travaux qu’une période plus fortunée permettra d’entreprendre.

Voyons maintenant comment ont été distribués les revenus de nos capitaux et les prélèvements effectués sur le fonds « Pour l’Université ».

A la Clinique chirurgicale de l’Hôpital nous avons fourni un bistouri électrique. Cet appareil facilite les opérations du cerveau en supprimant les épanchements de sang toujours si dangereux et entre les mains habiles du professeur Jentzer, il a déjà contribué à sauver la vie de malades et de blessés qui n’auraient pu être traités sans cet auxiliaire perfectionné.

Aux laboratoires de la Faculté de Médecine, dont le matériel d’étude devenu vétuste devait être renouvelé, des allocations importantes ont conduit à l’acquisition de plus de cent microscopes, ainsi que des instruments nécessaires à la microphotographie. Les laboratoires d’anatomie normale, d’histologie et de physiologie bénéficient maintenant d’un matériel moderne au grand avantage de l’enseignement. La Clinique médicale a reçu un électrocardiographe, le laboratoire de Pharmacologie des microscopes et un polarimètre, le laboratoire de Bactériologie 40 microscopes, la Clinique chirurgicale un appareil de coupes

microscopiques, la Clinique dermatologique une installation pour l’application de la méthode Vernes, utilisée dans le diagnostic de la syphilis.

La Clinique chirurgicale et la Policlinique chirurgicale ont chacune reçu un épidiascope.

Pour encourager M. le professeur de Seigneux et lui témoigner sa reconnaissance de vingt années d’efforts dans la construction d’un mannequin gynécologique qui, tout en épargnant des souffrances aux femmes examinées, développe les qualités d’adresse des étudiants, le comité a remis au distingué praticien une allocation spéciale, qui lui facilitera la préparation des nouveaux modèles dont son enseignement bénéficiera.
Enfin, des subventions ont été remises à M. le professeur Askanazy pour ses études du cancer, à M. Ie Professeur Koenig qui continue ses recherches sur la sécrétion des glandes endocrines et les hormones, à MM. les professeurs Julliard et Gilbert en vue d’acquisitions variées et à M. le Dr Thomas pour ses travaux d’acclimatation des animaux aux hautes altitudes.
A l’occasion de l’inauguration de nouvel Institut dentaire, un appareil de radioscopie a été offert à cet établissement.
Aux sciences pures nous n’avons pas ménagé les allocations.
La Chimie a utilisé la totalité des dons que divers souscripteurs désiraient affecter à cette branche. La Géologie et Ia Minéralogie, dont les laboratoires ont été transportés à l’Institut d’Hygiène, ont obtenu des allocations destinées à f installation de nouvelles vitrines et à l’acquisition de livres et d’instruments.
Une subvention spéciale a été accordée au laboratoire de Géographie physique dont les assistants construisent un appareil de leur invention et qui leur servira à mesurer l’orientation et f intensité des courants profonds dans les lacs.
Au laboratoire de Physique, nous avons remis une allocation pour soutenir les travaux d’un étudiant de grande valeur qui se livre à des recherches sur la production et Ia direction des ondes très courtes.

Le Comité de la Société Académique est favorable à des distributions de bourses du genre de celle qui vient d’être citée, mais il entend ne les accorder que s’il se trouve en face de personnalités de premier ordre dont les travaux lui sont signalés tout spécialement.
Au Musée d’Ethnographie, une allocation a facilité l’achat d’une très belle collection d’objets péruviens déposés à Mon-Repos.

Le bateau L’Ed. Claparède et la « Linnæa » ont touché leurs subventions habituelles. Ce jardin et le laboratoire de botanique alpine, que dirige avec autant de science que de dévouement M. le professeur Robert Chodat, ont reçu la visite de plusieurs professeurs et gradués d’Université qui en ont suivi les cours et conférences donnés en juillet et août. Durant leur séjour à l’institution de Bourg-St-Pierre, ces savants ont eu l’occasion de se livrer à des recherches personnelles dont les résultats, cités dans le rapport directorial qui nous a été remis, paraîtront dans le Bulletin de la Société Botanique de Genève. La Station marine de Wimereux où une trentaine d’étudiants de notre université passent chaque année, nous a conservé sa table, pour laquelle nous fournissons une allocation unique.
A l’occasion de l’inauguration de la Station de zoologie expérimentale qui a eu lieu le 14 ct., nous avons remis à son distingué directeur, M. le professeur Guyénot, un don qu’il affectera à l’installation d’instruments. Ceux d’entre vous qui ont eu le privilège d’assister à la séance officielle précédant la visite de la, station ont pu constater combien étaient appréciées les allocations de la Société Académique et quelle abondance de remerciements elles lui ont valu.
L’observatoire de la Jungfrau est bientôt terminé. Cette construction à 4000 m. d’altitude a présenté des difficultés considérables et son aménagement en local scientifique a nécessité des frais imprévus que nous n’avons pas hésité à fournir, étant donné la valeur de cette station de recherches. Son inauguration est prévue dans le courant de l’année prochaine.
Le Séminaire de Géographie a reçu des livres et des instruments, la Faculté autonome de Théologie une allocation.

Nous avons soutenu les enseignements de MM. les professeurs Walther, Gielly, Piaget, Hamburger et nous avons avisé le Département de l’Instruction Publique que nous étions prêts à renouveler l’allocation aux cours de M. le professeur Guglielmo Ferrero. Le Séminaire de Français moderne a bénéficié d’une subvention ; le laboratoire de Phonétique a pu acquérir des appareils de reproduction de la voix et des disques ; la bourse Gallatin a été prolongée. Au Sénat, une forte allocation a été remise, que ce corps a distribué à ses œuvres sociales. Par une modeste contribution, nous avons soutenu l’effort de la Fédération des Sociétés savantes.
Le Fonds Moynier a fourni à la Bibliothèque l’abonnement à 58 revues de sciences sociale, droit et histoire, et le Fonds auxiliaire a accordé des subsides qui ont enrichi la Bibliothèque de plusieurs beaux volumes.

Quatre prix Gillet ont été distribués aux lauréats de la première maturité dans chaque section du Collège. Ces jeunes gens auxquels nous souhaitons une carrière de succès sont MM. Willy Plattner, Elhanan Aberson, Ferdinand Beer et Charles Ferrand.

Voilà, Mesdames et Messieurs, un assez pâle résumé des distributions que nous avons faites en votre nom.

Le rapport de notre dévoué trésorier complètera ces premières données. Nous espérons que vous voudrez bien approuver la façon dont nous avons réparti les fonds que vous mettez généreusement à notre disposition. Soyez certains qu’aucune de nos allocations n’est remise sans une enquête approfondie de la part des commissaires chargés de cette attribution.

Nous nous efforçons d’agir avec impartialité, de mesurer la valeur et l’affectation des sommes qui nous sont demandées seulement en nous inspirant des intérêts de l’Université et si parfois nous avons dû refuser l’aide qui nous était demandée, ce n’est pas que nous en ayons méconnu l’utilité, mais bien que, désirant nous conformer strictement à l’accomplissement de l’œuvre dont vous nous avez chargés, nous avons préféré disposer, d’une autre façon, des sommes à nous confiées.

Nous avons eu le grand chagrin de perdre des membres et des collaborateurs dévoués. En décembre 1932, notre collègue M. Adrien Picot a été enlevé accidentellement à l’affection des siens. M. Picot, membre de notre comité depuis six ans, secrétaire de la commission Diodati-Plantamour, nous était très précieux ; ses judicieuses observations, ses conseils professionnels, ses connaissances étendues faisaient de lui un collègue dont la perte ne sera pas compensée.

La mort nous a encore repris MM. le Dr Auguste Collomb, Godefroy Mallet, Henri Schutz, Dr Hector Maillart, Mlle Hélène Cramer, Mmes Ernest Favre, Roux-Eggly et Ernest Hentsch.
Nous n’oublierons jamais que Mme Ernest Hentsch fit partie du groupe des initiateurs de notre appel au public en vue de la souscription dite « Pour l’Université ». Sa générosité et l’intérêt qu’elle portait à la Société Académique et à l’Université demeureront dans nos mémoires.

Aux familles de ces regrettés disparus nous adressons ici l’expression de notre sympathie émue et l’hommage de nos sentiments de reconnaissance.

Nous avons eu le plaisir d’accueillir quelques nouveaux membres : Mme Anna Kamensky, puis comme membres à vie MM. le professeur J. Weiglé et Marcel Wiegandt, opticien, auxquels nous souhaitons une cordiale bienvenue.

De la famille de Mme Filiberti, nous avons reçu un legs dont nous lui sommes très reconnaissants.

Enfin, Mesdames et Messieurs, conscient de ses devoirs de gratitude envers tous ceux qui, sans compter, ont apporté un concours si large à la souscription publique en faveur de l’Université, votre comité a décidé de publier une brochure qui leur sera envoyée à titre de remerciements. Cette petite brochure contiendra des articles de divers collaborateurs retraçant la vie universitaire, vous indiquant l’usage partiel des fonds récoltés, puis des illustrations et, enfin, la liste de tous les souscripteurs par ordre alphabétique ; elle vous sera adressée prochainement.

En terminant, je n’aurai garde d’oublier de remercier tous les membres de notre comité, notre secrétaire M. Arnold Pictet, notre trésorier M. Charles Gautier, l’un et l’autre si consciencieux dans l’accomplissement des tâches particulières qui leur incombent, ainsi que mes autres collègues dont les conseils et les démarches ont facilité les devoirs de votre président.