Rapport annuel de la présidence 1915-1916

Henry DEONNA, président
11 novembre 1916

 

 Mesdames et Messieurs,

Le rapport de l’an dernier se terminait par un vœu de mon prédécesseur : « Le retour de la paix dans le monde et un regain de vie pour notre Société et pour notre Université. »

Le premier de ces bienfaits ne paraît pas, à vues humaines, en train de se réaliser, et la lutte des peuples déchaînés les uns contre les autres continue aussi inexorable que par le passé.

Mais la vie intellectuelle, si elle est ralentie par ces tragiques événements, n’en poursuit pas moins ses manifestations ; elle reste au milieu des ruines qui s’accumulent et de la dévastation, comme une clarté dont les rayons traversent quand même l’obscurité, si profonde qu’elle puisse être.

L’activité de notre Société ne peut pas se comparer, dans la période que nous traversons, à celle d’autres œuvres d’importance plus considérable ; cependant, votre comité est persuadé qu’ii s’est toujours inspiré du but élevé qui a présidé à la création de la Société Académique, pour favoriser les études dans notre Université et pour marcher avec notre temps, en se rendant compte des progrès à accomplir dans les divers domaines de la pensée.

Depuis la guerre, les questions politiques et les questions de races ont atteint une acuité toute particulière ; en Suisse spécialement, elles acquièrent une importance extrême, mais servent trop souvent de prétexte pour dresser des barrières entre des concitoyens faits pour s’entendre.

Les Confédérés se connaissent mal et souvent pas du tout ; cette vérité n’est pas nouvelle, elle a été exprimée à mainte reprise par des hommes animés d’un sain patriotisme. Pour s’estimer, s’apprécier à sa juste valeur, il faut se rapprocher, c’est-à-dire vivre avec celui que l’on veut comprendre, de sa vie de tous les jours et de sa vie intellectuelle ; voilà le vrai remède à une situation troublante, objet de préoccupation sérieuse pour notre avenir, cet avenir que bien des esprits soucieux envisagent avec anxiété.

C’est donc un vrai devoir, dans ces temps agités, de resserrer les liens de l’esprit entre tous les Confédérés, de multiplier les contacts entre la Suisse romande et la Suisse alémanique pour favoriser ainsi une appréciation mutuelle plus juste et plus vraie, en dehors de toutes préoccupations politiques.

Mû par ces sentiments, votre comité a décidé de créer à 1’Université de Genève une bourse pour étudiants de la Suisse alémanique. Notre Société consacrera donc à l’avenir, chaque année, une somme de 800 francs, destinée à faciliter le séjour à Genève et la fréquentation de notre Université, à un étudiant suisse de langue allemande, ayant déjà derrière lui un certain nombre de semestres d’études.
Il doit être présenté par le recteur de l’Université où il est immatriculé, et recommandé par le doyen de sa Faculté.
L’ordre institué est le suivant : Zurich, Berne et Bâle.

Selon les circonstances, le comité s’est réservé la faculté d’accorder la même faveur à un étudiant suisse de langue italienne.

Le bénéfice de cette nouvelle bourse a été attribué cette année à M. Adolphe Wegmann, candidat en sciences économiques et sociales, de Zurich.

Le titulaire vient de terminer ses études juridiques et prépare sa thèse de doctorat qu’il doit soutenir après son séjour parmi nous.

Notre appel aux étudiants de Zurich a été couronné de succès: une dizaine de candidats se sont présentés pour obtenir le subside promis; la plupart ne remplissaient pas au point de vue des conditions requises le but proposé, ou n’avaient pas la supériorité sur le candidat admis.

M. le professeur Yung a bien voulu nous communiquer les notes suivantes sur l’activité du bateau l’Edouard Claparède :
L’année qui vient de s’écouler a été exceptionnellement favorable aux travaux exécutés à bord de notre bateau l’Edouard Claparède. Du 20 novembre 1915 à ce jour, il a exécuté trente-deux sorties, chiffre qui n’avait pas encore été atteint jusqu’ici ; les dimanches de l’hiver dernier ayant été presque constamment beaux, il a été possible d’établir de solides points de comparaison sur la distribution du plankton dans les grandes profondeurs durant cette saison, et, à l’exception d’août, pendant lequel M. le professeur E. Yung a dû s’absenter, tous les mois d’été ont été consacrés à un nouvel ordre de recherches, touchant à la biologie des Copépodes et des Cladocères, et non plus seulement à leur distribution verticale. Dans ce but, il a été reconnu nécessaire d’augmenter l’outillage du bateau et, après entente prise avec son collègue, M. le professeur Fuhrmann de Neuchâtel, qui poursuit des recherches analogues sur le lac de Neuchâtel, M. Yung a commandé quelques filets appropriés à la récolte « entre deux eaux ».

Le benzol se maintenant à un prix fort élevé et les mécaniciens ayant majoré les prix de leurs catalogues, les dépenses de cette année ont dépassé celles des années précédentes. Il est probable que ce sera le cas tant que durera la guerre, mais notre commission du fonds Claparède est décidée à aller de l’avant ; elle envisage dès maintenant comme un perfectionnement désirable l’adaptation de l’excellent moteur du bateau à la mise en action du treuil de la drague. Ramener à la main celle-ci de deux cents à trois cents mètres de profondeur, chargée de deux à trois quintaux de boue, est une opération qui prend beaucoup dc temps et exige le concours d’aides robustes qu’il n’est pas toujours facile de se procurer. Notre comité examinera la question avec tout le soin qu’elle mérite. M. Yung a continué de jouir, cette année, de la gracieuse collaboration de savants spécialistes ; de nouvelles publications relatives à notre faune lacustre ont vu le jour, d’autres sont en préparation. Nous sommes heureux de constater l’activité croissante de notre bateau et de Ia sympathie dont il est entouré sur tout le littoral du lac, notamment à Lutry, son principal port d’attache, dont l’hospitalité est parfaite.

La Société La Linnaea, créée, comme vous le savez, pour permettre l’étude des plantes alpines dans le jardin de Bourg-Saint-Pierre, a été dissoute et le jardin a passé entre les mains de la Société académique.
Sous la direction dévouée et éclairée de M. le professeur Chodat ce jardin a continué de prospérer et de se développer.

La Confédération, ou mieux le Département fédéral de l’Intérieur, nous a témoigné d’une manière flatteuse l’intérêt qu’il prend à notre jardin alpin : en plus de son subside annuel de 500 francs, il nous a octroyé une allocation extraordinaire de 300 francs, pour permettre l’achèvement de l’installation du laboratoire de botanique. Nous sommes heureux et reconnaissants de cette preuve de sollicitude de nos hautes autorités fédérales ; elle affirme ainsi la valeur de cette fondation, en même temps que les hautes capacités du maître qui la dirige.

Nos finances nous ont permis de verser une somme de 1000 francs au fonds capital de la Linnaea. Nos efforts tendent à l’augmenter, de manière à lui permettre de subvenir, un jour ou l’autre, au moyen de ses seuls revenus, à l’entretien du jardin.

Terminons ce sujet par une petite réclame au profit de notre rejeton valaisan : N’oubliez pas, Mesdames et Messieurs, de faire, en été, un pèlerinage à Bourg-Saint-Pierre, vous en reviendrez enchantés, j’en suis sûr, et cet enchantement se traduira, j’en suis persuadé également, par une reconnaissance pécuniaire qui sera la bienvenue.

Continuons le chapitre des allocations : Comme contribution à la publication de son livre du centenaire, il a été attribué à la Société helvétique des sciences naturelles une somme de 200 francs.

Pour permettre au Laboratoire de Psychologie l’acquisition d’un chronomètre donnant le 1/100 de seconde, appareil imaginé et fabriqué par un horloger genevois, et d’un dynamomètre enregistreur, nous lui avons accordé une subvention de 475 francs.

La diminution considérable qui s’est produite sur le nombre des étudiants, pendant l’année scolaire 1914-1915, dans le Séminaire de français moderne, comme dans toutes les facultés, et ensuite pendant l’été 1915 sur le nombre des participants aux cours de vacances a fortement réduit les ressources de cette institution.

L’administration du Séminaire et des cours de vacances se trouvait donc, pour commencer l’année, dans une situation assez précaire, puisqu’elle devait, malgré le déficit d’étudiants, survenir à des obligations multiples.

Faisant droit à la demande qui nous était adressée, un subside de 2500 francs a été remis au Séminaire dans l’espoir que la crise que traversent ces institutions spéciales d’étude de la littérature et de la langue françaises, comme tant d’établissements d’instruction, prendra fin avec la guerre.

Pour témoigner de son intérêt à la Société, Jean-Jacques Rousseau, notre comité lui a alloué la somme de 1000 francs, en faveur de son Musée. Depuis l’exposition iconographique, organisée par le comité de cette Société dans le Musée Rath lors du deuxième centenaire de la naissance de Rousseau, il avait été décidé de créer un musée, qui réunît à Genève tous les documents et manuscrits, en iconographie graphique et plastique, en art populaire, encore conservés à Genève et dans des collections publiques et privées, pour constituer une exposition permanente.

Grâce à la libéralité de la Ville, de l’Etat de Genève et de quelques amis, ce projet a pu être réalisé dans le courant de cette année, et le musée installé dans une salle de la Bibliothèque publique et universitaire.

L’Institut J.-J. Rousseau vient de constituer un fonds dû à la générosité de M. le professeur Edouard Claparède ; nous avons accepté, sur sa demande, d’administrer ce capital, dont les intérêts devront s’accumuler, de manière à former une somme d’une certaine importance. Comme don de joyeux avènement, la Société Académique a versé 1500 francs à ce fonds.

Le but poursuivi était de rattacher, par notre intermédiaire et sous notre égide, cette institution à la pleïade d’autres qui gravitent autour de notre Université, la complètent et l’enrichissent.

Il est inutile de rappeler ici les services rendus par l’Institut J.-J. Rousseau, ils ont depuis longtemps été reconnus, et le « diplôme de mérite pour services rendus à la cause de l’utilité publique » qui lui a été décerné par l’Exposition nationale de Berne en est bien une preuve de Plus.

Il convient de remarquer que cet Institut, loin de faire concurrence aux enseignements universitaires, leur attire att contraire des clients : tous ses élèves sont en effet inscrits à l’Université, ou comme étudiants ou comme auditeurs. Il comptait quarante-sept élèves réguliers et soixante-douze auditeurs au moment de la guerre; à la suite de cet événement, ces chiffres ont notablement baissé, et beaucoup sont dans l’impossibilité d’acquitter leur finance d’inscription ; cet hiver, une douzaine d’internés fiançais instituteurs suivent les cours à titre gratuit’

Pendant l’exercice terminé, le Fonds auxiliaire de Ia Bibliothèque a remis en don à la Bibliothèque les publications suivantes :
Zeitschrift für Kristallographie und Mineralogie, cinquante-cinq volumes, et vingt-un volumes du Journal of experimental zoology, du coût total de 2100 fr.45. Il a voté l’achat d’importants ouvrages historiques, qui figureront seulement au prochain exercice.

Le Fonds Moynier a continué à payer l’abonnement à quarante-quatre revues et journaux de sciences sociales.

L’année vient de s’écouler sans avoir vu la réalisation d’un projet intéressant, actuellement à l’étude de notre comité : la création d’un Catalogue sur fiches de tous les livres existant à Genève, aussi bien dans les bibliothèques privées que dans celles des institutions publiques. Pareille œuvre s’est faite à Zurich ; la Bibliothèque de cette ville possède un catalogue semblable qui rend de grands services.
Mais c’est un travail considérable et de longue haleine, aussi une commission, composée de M. Fr. Gardy, directeur de la Bibliothèque publique et universitaire et de M. le professeur Eugène Choisy, a-t-elle été nommée pour étudier la question dans tous ses détails techniques et pratiques, de manière à éviter une fausse conception de cette classification.

Il convient de changer de sujet, et après avoir jeté un rapide coup d’œil sur l’activité de notre société, examinons quels sont ses moyens financiers, éléments indispensables à son existence et à sa prospérité.

Je me garderai bien de vous parler finances et placements, ce dicastère étant celui de notre dévoué trésorier, M. Aymon Pictet, qui vous soumettra son rapport.

La rumeur publique – elle déforme, embellit, exagère tour à tour les faits – a dû sans doute vous révéler, bien avant cette séance, Mesdames et Messieurs, que la Société Académique a été l’objet de la générosité d’une femme de grand cœur : Mme Elisabeth Aline Brez, veuve de M. Etienne Gillet.

Mme Gillet est décédée à Genève, le 1er octobre de cette année.

Son mari était originaire de notre ville ; elle-même appartenait par son père, établi depuis 1831 aux Etats-Unis, à une famille émigrée des Vallées vaudoises du Piémont, fixée à Genève vers la fin du XVIIIè siècle, et admise à la citoyenneté en 1792.

L’attachement qu’elle portait à sa patrie d’origine, où elle s’était retirée depuis quelques années, s’est manifesté par des dispositions testamentaires dont bénéficient presque toutes nos institutions scientifiques et philanthropiques.

Par son testament du 28 janvier 1907, elle lègue en souvenir de son mari, à la Société Académique, cinquante obligations américaines de 1000 dollars chacune, aulx conditions suivantes :

« Le capital sera la propriété de la Société Académique, qui le conservera sous le nom de « Fondation Gillet » et l’administrera avec le concours d’une commission, comme celle du fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique. Le revenu de ce capital servira à subventionner ou à créer deux chaires d’histoire, de géographie ou d’économie politique. Dans le cas où les revenus annuels ne seraient pas entièrement dépensés, les reliquats capitalisés ne devraient jamais dépasser ensemble la somme de 7000 dollars, soit 35.000 francs, sinon tout ce qui excèderait cette dernière somme devrait être versé au Fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique.

Dans la règle, le capital ne sera pas entamé, toutefois, on pourrait y puiser dans des circonstances exceptionnelles, mais jusqu’à concurrence seulement de la somme de 7000 dollars, soit 35.000 francs, de manière que le capital ne soit jamais inférieur à 43.000 dollars, soit 215,000 francs. »

La commission du Fonds Gillet sera composée de trois à cinq membres, dont M. Emile Rivoire, notaire, François Barrelet, banquier, et Louis Wuarin, professeur, exécuteurs testamentaires de Mme Gillet.
Le 1er juillet 1907, elle stipulait un second legs de douze obligations américaines de 1000 dollars chacune, destinées à créer un Fonds Gillet pour voyages et dont les intérêts serviront chaque année à récompenser les deux élèves pris parmi ceux ayant terminé leurs études au Collège qui auront obtenu, pendant la dernière année, les meilleures notes moyennes.

Chacun d’eux recevra la somme de 1000 francs au plus, pour faire un voyage six mois au plus tard après leur sortie du collège. Ils devront en écrire une relation qui deviendra la propriété de la Société Académique. A leur retour, une médaille d’argent, grand module, que la Société Académique devra faire frapper à cet effet, leur sera remise ; cette médaille portera le nom du titulaire, le but et la date du voyage.
La Société Académique élaborera un règlement fixant les autres conditions imposées aux bénéficiaires, mais ceux-ci seront désignés sans distinction de sexe, de nationalité ni de confession.

Le capital pourra être exceptionnellement entamé, sans toutefois qu’il puisse descendre au-dessous de 50.000 francs, et à la condition qu’il soit ramené le plus tôt à 60.000 francs. Il ne devra pas dépasser 70.000 francs, le sur plus de cette somme devant être alors versé au Fonds auxiliaire de la Bibliothèque publique. Une commission de trois à cinq membres, dont M. Rivoire, Barrelet et Wuarin, administrera ce fonds.

Le 20 octobre 1911, Mme Gillet lègue à notre Société 10.000 francs, pour être versés au Fonds Edouard Claparède, destiné à l’étude de la faune lacustre.

Enfin, le 14 février 1914, nouvelle et dernière disposition en notre faveur, d’une somme de 10.000 dollars en fonds américains, grevée d’une rente annuelle et viagère de 2000 francs au profit d’une parente. Après la mort de la crédirentière, la Société Académique est autorisée à prélever chaque année une somme jusqu’à concurrence de 3000 francs, même en entamant le capital, pour être versée à son budget ordinaire. Tous ces legs sont francs de tous droits.

Comme vous le voyez, Mesdames et Messieurs, notre Société peut être profondément reconnaissante envers Mme Gillet de ses libéralités. Son nom restera gravé dans bien des cœurs comme étant celui d’une philanthrope et d’une grande amie de Genève.

Les liquidateurs de la Société pour la lutte contre le cancer nous ont remis, pour être versé dans nos caisses, le solde de la liquidation, soit 293 francs, et cinq obligations 4% Société financière, dont la rente représente 2 293 francs.
Nous remercions les sociétaires d’avoir eu la généreuse pensée de faire bénéficier Ia Société Académique de cette somme.
Nous avons encore reçu les dons suivants : Des héritiers de Mme Ernest Pictet 200 Fr. ; De la Société de Zofingue 50 ; De la Société de Belles-Lettres 50.

Pendant l’année qui vient de s’écouler, la Société a eu le regret de perdre trois membres à vie : MM. le docteur Léon Gautier, le docteur Auguste Wartmann, Théodore Turrettini et Mme Etienne Gillet, et quatre membres ordinaires.

Le nombre actuel des membres est de 557 (soit 179 membres à vie, 378 membres ordinaires). Nous avons reçu M. le professeur Louis Duparc comme membre à vie.

Vous avez pu constater, Mesdames et Messieurs, que l’année 1916 marque une date dans l’histoire de la Société Académique, car par suite du legs qui nous a été fait par Mme Gillet et des conditions qui nous sont imposées par son acceptation, une nouvelle orientation est donnée à notre activité.

L’influence que notre Société exercera désormais sera plus grande et plus forte ; le rôle qu’elle aura à jouer dans nos études plus étendu, puisque, par ses nouvelles ressources et si les autorités compétentes sont d’accord, elle pourra favoriser la création de deux chaires universitaires destinées à rehausser encore l’enseignement supérieur de notre ancienne institution.

Je terminerai ce trop long exposé en vous remerciant, Messieurs, de votre appui précieux, et vous, Mesdames, de l’intérêt que vous n’avez cessé de porter à notre Société dès ses premières années.