Rapport annuel de la présidence 1922-1923

Dr Henri AUDEOUD, président
17 novembre 1923

  

Mesdames et Messieurs,

Notre société a joui cette année parmi les amis de l’Université d’une sympathie particulière. Grâce à une campagne de propagande menée activement par les membres du Comité 75 nouveaux adhérents sont venus joindre leurs forces aux nôtres pour travailler au bien de notre grande Ecole. Leur aide nous est précieuse et nous leur souhaitons la bienvenue. Nous avons d’autre part perdu onze membres par démissions ou par décès. Parmi ces derniers nous devons mentionner particulièrement Mlle Augusta Sarasin, un des fermes soutiens de la Société Académique ; dès sa formation, elle s’intéressa d’une manière très effective à son travail et sa générosité se manifesta à maintes reprises. Elle a tenu à nous en laisser une dernière preuve. Son départ creuse parmi nous un grand vide et son souvenir restera comme celui d’une Genevoise de vieille roche aux idées larges et au cœur généreux. M. Hippolyte Aubert, l’ancien directeur de la Bibliothèque publique et le créateur de son Fonds auxiliaire est aussi parmi les disparus ; membre à vie de notre association, il en faisait partie depuis sa fondation et a suivi son activité avec un intérêt soutenu.

Ancien élève de l’Ecole des Chartes, il a rendu à notre signalés, et s’il a dû quitter Genève pour se fixer à l’étranger, il n’a cessé de travailler jusqu’à son dernier jour au bien moral de son pays.

Que les familles de ceux que nous avons perdus reçoivent ici l’expression de noire profonde sympathie.

L’effectif de notre société qui était de 528 membres il y a un an, se monte ainsi actuellement à 591, soit 16 membres donateurs, 152 membres à vie et 423 membres ordinaires. Espérons qu’il continuera à progresser et que les anciens élèves de l’Université n’oublieront pas l’Alma mater.

Votre président a eu l’occasion, cette année, de représenter notre Association à quelques réunions plus ou moins universitaires : citons le jubilé de M. le professeur Alfred Martin, la séance solennelle à l’Aula à l’occasion du Centenaire de pasteur, la célébration du 25ème anniversaire de la société du Musée historique de la Réformation, avec une intéressante conférence sur Mathurin Cordier, et la réception offerte aux deux savants anglais, MM. A.C. Seward et D.W. Freshfield à l’occasion de leur nomination comme docteurs Honoris causa, au moment du dies academicus.

Nos étudiants jugent avec raison que la musique adoucit les meurs et ils ont formé un orchestre qui leur donne de réelles jouissances artistiques. Il se fait entendre dans des réunions universitaires, où il est le bienvenu et il a même organisé en mai dernier, au parc des Eaux-Vives, un concert pour donner l’occasion à tous les membres de l’Université et à ses amis de se rencontrer et de faire plus ample connaissance les uns avec les autres. Nous lui avons accordé pour cela une modeste subvention.

Le 22 octobre 1922 est décédé à Genève M. Jules Ernest Tissot, homme de lettres; par un testament du 12 décembre 1901, il avait institué la Société Académique sa légataire universelle, mais un second testament a soulevé des difficultés que le Comité s’efforce actuellement de résoudre au mieux de nos intérêts.

Voyons maintenant comment nous avons pu venir en aide cette année à notre haute Ecole. Les Cours de Vacances ont montré l’extrême utilité du patronage des étudiants : ceux qui viennent du dehors apprécient beaucoup le secrétaire dévoué qui s’occupe spécialement d’eux, échange des correspondances avant leur arrivée, les reçoit, les réunit, leur donne toutes les indications nécessaires pour la vie à Genève et fait en sorte qu’ils trouvent l’Université accueillante et non pas seulement un établissement d’instruction où ils seraient un simple numéro. Le Sénat s’est occupé activement de Ia création d’un secrétariat permanent du comité de patronage, mais il n’a pas de crédit pour cela et il est impossible d’en demander à l’Etat actuellement. Le recteur a donc sollicité notre aide, et nous avons jugé qu’il était fort utile de la lui accorder par une large subvention pour les deux prochains semestres.

Passons en revue les allocations aux différentes Facultés : la modicité de nos ressources ne nous a pas permis d’offrir de nouveaux instruments au Laboratoire de pharmacognosie du prof. Lendner, mais du moins nous avons pu compléter les collections des revues de sa bibliothèque.

Le laboratoire de chimie technique et de chimie théorique, dirigé avec une si grande compétence par M. le prof. Briner avait un besoin urgent de remettre à neuf sa batterie d’accumulateurs, qui travaille depuis vingt ans et était hors d’usage. Comme c’est un instrument de première nécessité, nous avons obtenu que l’Etat (c’était encore en octobre 1922) payât la moitié de la dépense et nous versâmes l’autre moitié. Ainsi pourront être menés à bien des travaux dans le domaine de l’électro-chimie, si importants pour notre pays où abondent les forces motrices naturelles, dont une partie est affectée à des industries chimiques.

Le regretté prof. Charles Cailler avait écrit un ouvrage remarquable : Introduction géométrique à la Mécanique rationnelle, mais il n’avait pu le publier. Un comité se constitua pour éditer ce livre d’une grande portée scientifique, qui sera certainement le point de départ de nouveaux travaux. C’est une introduction nouvelle et générale aux théories modernes de la Cinématique, de la Statique et de la Dynamique. Les simplifications qu’il apporte par le caractère général des méthodes faciliteront dans une large mesure l’étude et la diffusion des théories qui préoccupent actuellement les mathématiciens et les physiciens, celle d’Einstein en particulier. La publication de ce traité fera un grand honneur à Ia science suisse. Nous y avons collaboré en souscrivant à 20 exemplaires qui seront remis à des savants qui ne pourraient se le procurer à cause de son prix élevé. Dans ce même domaine des publications scientifiques nous avons accordé un subside à M. Arnold Pictet pour la publication d’un travail de M. Ferrière sur la génétique. M. le prof. Collet, que vous allez avoir le plaisir d’entendre tout à l’heure, vient d’entreprendre une étude réclamée depuis longtemps, celle des sédiments du lac de Genève au point de vue géologique. Nous avons mis à sa disposition notre bateau l’Edouard Claparède et lui avons permis l’achat du matériel de travail nécessaire (balances, thermomètres à renversement, etc.) et fourni à ses aides, assistant et mécanicien, la possibilité de parcourir le haut lac.

La géographie physique touche de près à la géologie et M. le prof. Emile Chaix a été heureux de pouvoir acquérir avec notre aide un perspecteur, instrument remarquablement ingénieux, inventé et fabriqué à Genève par M. de Ziegler, pour dessiner les cartes en perspective. L’observateur peut se placer à volonté à la hauteur nécessaire pour avoir une vue restreinte ou générale de la région à étudier. M. Chaix a déjà établi par ce moyen plusieurs documents fort intéressants pour son enseignement.

Enfin, pour terminer ce qui concerne les sciences naturelles, analysons rapidement le rapport très suggestif que nous a présenté M. le prof. Chodat sur l’activité du jardin et du Laboratoire de Biologie alpine, la Linnæa, dans le beau canton du Valais.

Le travail y a duré cette année du 8 juillet au 22 septembre. Plus de 300 plantes nouvelles y ont été introduites et l’étiquetage de toutes les espèces a été révisé. Des relations d’échange se sont établies avec le professeur Præger de Dublin. Jamais notre jardin n’eut plus de visiteurs de marque que cet été. Quelques améliorations ont été apportées au laboratoire et M. le professeur Saeger, d’Exeter, ainsi que M. Fernand Chodat ont étudié spécialement les rapports entre les réactions du sol et la végétation alpine. Le congrès international de géobotanique, composé d’une quarantaine de savants spécialisés, suisses et étrangers, a été guidé pendant trois jours d’études par M. le professeur Chodat dans la région de Bourg-St-Pierre et du Grand-St-Bernard; puis ont eu lieu, à la Linnæa, des conférences auxquelles ont pris part MM. les professeurs Salisbury de Londres, Ostwald d’Upsala et du Rietz de Stockholm. Le Cours de Vacances de biologie alpine a dû, faute de place, être limité à 13 étudiants étrangers, avancés dans leurs études. Comme ils étaient presque tous anglo-saxons, les leçons ont été données en anglais ; le travail sur le terrain et les excursions ont été pour eux d’un très vif intérêt. Dans cette vallée d’Entremont, les céréales semées en automne souffrent beaucoup des gelées du printemps, qui diminuent sensiblement la récolte. Le directeur de la Linnæa a essayé cette année d’introduire des races sélectionnées d’avoine, d’orge, de seigle et de blé ; les résultats ont dépassé toute attente : elles ont mûri au bout de 90 à 105 jours. L’an prochain des champs entiers seront ensemencés, et l’on espère venir ainsi en aide à la population de cette région valaisanne.

C’est ainsi que notre station botanique alpine, grâce à l’activité inlassable du professeur Chodat, rend des services de plus en plus étendus aux travailleurs de tout âge, tant nationaux qu’étrangers.

La Faculté de Théologie n’a pas des besoins matériels aussi grands que celle des Sciences ; notre rôle s’est borné à lui allouer une modeste subvention pour le cours de Psychologie religieuse, donné par M. le pasteur Georges Berguer qui réunit un grand nombre d’étudiants. M. le professeur Victor Martin nous a demandé pour la Bibliothèque de la Faculté d.es Lettres un fichier que nous lui avons accordé volontiers. On y classera sans doute dans un avenir prochain les volumes que prépare M. le professeur François. Celui-ci s’est attaqué à un travail considérable, qui doit être fait à Genève, l’édition critique de la Correspondance générale de J.-J. Rousseau. Les matériaux réunis servent au cours de philologie française ; nous avons ainsi pu accorder une subvention au professeur. Cette publication fera honneur à notre Université.

Un effort très important de la Faculté des Lettres a porté sur les Cours de Vacances pour la réussite desquels nous avons fourni une importante garantie financière. Déjà au mois de mai dernier, nous avons réuni avec la Société des Arts, à l’Athénée, les collaborateurs bénévoles du Secrétariat de la Société des Nations et du Bureau International du Travail avec des professeurs et quelques personnalités genevoises susceptibles de s’intéresser aux cours de vacances. M. G. Fatio a exprimé notre reconnaissance à ceux qui nous ont aidés et l’étude des questions internationales à Genève y a été traitée par MM. les professeurs Bouvier et Rappard. De son côté M. Thudichurn a travaillé de longs mois à l’avance avec une activité opiniâtre à la préparation des cours de vacances de cet été. Vous en avez eu le programme et vous avez pu constater leur belle réussite ; cependant le nombre des étudiants, plus élevé qu’en 1922, est encore loin d’atteindre celui d’avant-guerre, mais la reprise se fait progressivement. L’essai des conférences sur les questions internationales fait l’année dernière ayant été très apprécié, une nouvelle série a eu lieu en août et septembre. D’éminentes personnalités politiques ou universitaires ont répondu avec empressement à l’appel qui leur a été adressé et ont contribué à augmenter 1a réputation dont jouit notre école genevoise. Je rappelle le remarquable discours de lord Robert Cecil sur la Société des Nations, profession de foi d’un grand idéaliste. La Faculté des Sciences s’est associée cette année aux Cours de Vacances en organisant des travaux botaniques à la Linnæa dont nous venons de parler et, sous la direction du professeur Collet, un cours de géologie alpine. Celui-ci comportait deux parties : une semaine de cours et de laboratoire à Genève et une excursion de 25 jours dans les Alpes (massif du Mont-Blanc, Dents du Midi, Jungfrau, Cervin, etc.) ; il fut suivi par ro participants dont B étrangers, et le cours fut donné en anglais. Vous voyez, Mesdames et Messieurs, quel intéressant développement prend cette organisation.

La Faculté de Droit nous a demandé de l’aider dans l’acquisition de collections importantes qui manquent dans sa bibliothèque. La hausse du prix des livres empêche certains étudiants d’acheter les commentaires et ouvrages nécessaires à leurs travaux. Il appartient à la Faculté de les leur procurer. Nous avons estimé qu’il était bien dans notre rôle de lui en fournir les moyens, ce qui nous a valu une grande reconnaissance des maîtres et des élèves.

C’est aussi pour sa bibliothèque, instrument de travail de premier ordre, que le doyen de la Faculté des Sciences Economiques et Sociales a sollicité notre appui. Ces publications comprennent en particulier celles du Bureau International du Travail et un nombre important de volumes concernant la sociologie, l’économie sociale, la statistique et l’histoire économique. Une série de clichés à projections serviront à illustrer la vie économique. Enfin la Faculté a acquis un épidiascope perfectionné qui permet d’obtenir des vues remarquables, soit au moyen des clichés, soit en projetant directement des gravures en noir ou en couleurs. Cet instrument pourra être aussi utilisé par les professeurs d’autres Facultés.

L’Institut J.-J. Rousseau, est rattaché à la Faculté des Lettres, mais l’activité de sa Section de Technopsychologie s’oriente plutôt du côté économique et social. Elle se développe progressivement et il est bien regrettable que le manque de ressources l’empêche de répondre à toutes les demandes qui lui sont adressées. Elle a travaillé cette année dans cinq directions différentes : 1) établissement de monographies professionnelles; 2) étude des tests en général, principalement pour les aptitudes motrices; 3) examen des aptitudes professionnelles des élèves de l’Ecole des Arts et Métiers et, ultérieurement, des candidats aux fonctions postales; 4) fonctionnement du Cabinet d’orientation professionnelle pour une trentaine de jeunes gens envoyés par l’office d’apprentissages ; 5) stage pratique dans les usines où les recherches théoriques sont appliquées et contrôlées.

Nous avons pu aider ce travail si utile par une allocation importante.

Abordons maintenant la Faculté de Médecine. Le laboratoire de physiologie manquait d’un appareil permettant d’obtenir la dessiccation rapide des tissus.

Plusieurs substances actives contenues dans les glandes s’altèrent très vite si ces organes ne sont pas réduits à l’état sec aussi rapidement que possible. L’opération doit être faite à basse température et en l’absence de l’oxygène de l’air. C’est dans une atmosphère d’azote

que l’évaporation est obtenue par un ventilateur électrique. D’autre part, les professeurs Batelli et Stern avaient besoin d’un agitateur, électrique aussi, pour l’étude de certains tissus. Nous avons donc contribué à l’achat de ces instruments qui permettront des travaux importants.

La Revue générale d’ophtalmologie que dirige M. le professeur Gourfein est le seul organe suisse de cette spécialité ; elle est très appréciée à l’étranger, mais elle traverse encore une période difficile pour laquelle notre intérêt effectif lui a été précieux.

Le laboratoire d’histologie du professeur d’Eternod n’a depuis 20 ans reçu aucune allocation de notre Société. Aussi avons-nous pu accueillir favorablement la demande de lui procurer un grand microtome à rotation, qui, comme vous le savez, sert à obtenir de fines coupes microscopiques en séries et un statif, grand modèle, d’un microscope monobinoculaire, fort utile pour les recherches quotidiennes du laboratoire.

Comme de nos jours le féminisme ne perd jamais ses droits, mais en acquiert constamment de nouveaux, nous nous sommes intéressés à la bonne marche de l’Ecole d’études sociales pour femmes. Le nombre de ses élèves, auditeurs compris, a passé de 64 à 173, et la Confédération lui donne son appui financier. Nous avons souscrit quelques-unes de ses parts sociales.

Disons maintenant deux mots des lauréats des prix Gillet, qui élargissent avec une grande satisfaction l’étendue de leurs connaissances par des voyages d’instruction. Une Polonaise est allée au musée historique de la Pologne à Rapperschwyl étudier d’anciens documents relatant les rapports de son pays avec le nôtre. Puis elle a parcouru la Suisse, sa seconde patrie, heureuse de mieux la connaître. Un autre, un technicien, a voyagé avec un vif intérêt dans le grand-duché de Luxembourg, en Belgique et en Hollande : il a vu de près les aciéries, les hauts fourneaux et les forges d’Arbed, les mines et usines de Hadir, Charleroi et ses charbonnages, la grande métallurgie de Cockerill.

Mêlant l’agréable à l’utile, Bruxelles, Bruges et Amsterdam ont été pour lui des révélations. Un troisième est resté près de deux mois en Allemagne où il a étudié sur place les manifestations variées de la vie de ce grand pays ; il s’est trouvé millionnaire à peu de frais. Un dernier prépare son départ pour Rome.

Les rapports qu’ils nous ont présentés sont bien faits et nous leur remettons en souvenir de leur voyage la belle médaille d’argent gravée à leur nom. Tous se montrent fort reconnaissants envers notre association et la mémoire de Mme Gillet.

Vous savez, Mesdames et Messieurs, que la Société académique de Bâle est notre sœur aînée ; elle est maintenant une dame fort respectable, qui s’est inscrite dans nos registres comme membre à vie. Nous avons une sœur cadette à Lausanne ; mais la Société académique vaudoise est loin de posséder les ressources qui sont les nôtres, aussi notre Comité a-t-il trouvé qu’il était bon de lui témoigner notre encourageante sympathie en nous inscrivant aussi comme un de ses membres à vie. Un généreux anonyme a voulu se charger de cette contribution. Ces deux gestes ont été très appréciés. Nous voici arrivés à Ia fin de cette revue annuelle un peu longue, mais nécessaire pour vous tenir au courant de ce que notre Société a pu faire en faveur des Hautes Etudes dans notre ville.

Et maintenant que sera l’avenir ?

Nous ne pensons pas que Genève veuille jamais, comme certains le proposent, supprimer son Université, mais il est certain que le million et demi qu’elle coûte cette année à la communauté est un total trop élevé eu égard à la fréquentation réduite des élèves et surtout à la situation critique de l’Etat.

Vous savez que la commission des experts nommés par le gouvernement propose de réduire ces dépenses de 200.000 francs en opérant dans l’espace de deux ans une réorganisation nécessaire. Il semble utile, en effet, d’élaguer quelque peu certaines parties de ce grand arbre pour garder toute leur vigueur aux branches principales. Cette transformation doit être opérée d’un commun accord entre l’Université et l’Etat. Notre rôle à nous, Société académique, sera de continuer à contribuer de tout notre pouvoir aux progrès du haut enseignement dans tous les domaines et d’aider notre Université à maintenir haut et ferme, malgré la difficulté des temps actuels, le flambeau de la science, de la pensée et de Ia vérité. Elles ont été dans le passé la force de notre Genève ; elles le seront encore dans l’avenir.