Rapport annuel de la présidence 1930-1931

Ch.-F. PFAEFFLI, président
21 novembre 1931

 

Mesdames, Messieurs,

Ceux qui ont l’honneur d’être vos mandataires assument une double tâche. Chargés d’assurer la marche normale et immédiate de la Société Académique, ils ont encore à guider ses pas sur une voie propice à son avenir.

Deux événements, de portée également considérable, survenus depuis la dernière Assemblée générale, ont rendu ces tâches plus laborieuses en accroissant, du même coup, le poids déjà lourd des responsabilités qui nous incombent, En même temps que la constitution par souscription publique du fonds « pour l’Université » faisait affluer vers nous des capitaux considérables, nous assistions à l’aggravation d’une crise économique et financière intense accompagnée de l’ébranlement des placements les plus sûrs.

Vous ne serez donc point surpris, ni alarmés, si nous écartant de la coutume établie et nous inclinant devant le désir exprimé par notre trésorier, nous avons fait appel, devant une situation heureusement exceptionnelle, à la collaboration d’une société fiduciaire.

Au tableau clair et détaillé qui vous est d’ordinaire présenté, celle-ci ajoutera les précisions nécessaires à votre quiétude au sujet de l’état des assises fondamentales sur lesquelles repose la Société Académique.
Elle confirmera, en vous la faisant partager, la confiance que nous avons en leur solidité.

Toutefois, à l’optimisme sans restriction de la brève note donnée dans nos rapports précédents sur la situation financière, succède aujourd’hui une appréciation moins avantageuse à entendre ; elle est empreinte néanmoins de sérénité. En effet, si les valeurs mobilières qui composent la fortune de notre Société ne peuvent pas, plus que d’autres, éviter une sérieuse dépréciation, il est réconfortant d’apprendre que les revenus dont elles sont la source ne semblent pas, sauf faible exception, avoir à subir de sensibles réductions.

Soyez certains, Mesdames et Messieurs, qu’en cette période angoissante et troublée, votre Comité veille et prendra toutes mesures utiles à préserver les biens si précieux dont il a la garde.

Ceci dit, et sans empiéter davantage sur le rapport financier qui vous doit les développements qu’appelle un tel sujet, nous avons à vous donner une vue générale du chemin parcouru au cours de l’exercice terminé le 30 septembre dernier. Avant de vous dire l’essentiel sur les faits qui en jalonnèrent les étapes, faisons tout d’abord l’inspection de nos forces. Elles restent à peu près les mêmes qu’auparavant, car nous aurions eu mauvaise grâce à faire marcher de pair notre propagande habituelle de recrutement avec celle qu’exigeait la grande souscription que nous avions ouverte. C’est donc de façon spontanée que sont venus à nous quelques membres à cotisation annuelle et que notre effectif compte dorénavant parmi ceux qui s’inscrivent à vie : MM. Charles et Georges Cornu, Albert Jentzer, Robert Martin et Jean Stræhlin.

A tous nous sommes heureux de faire publiquement le plus chaleureux accueil.

Par un cruel contraste, chaque année renouvelé, à ces paroles de bienvenue succède un dernier adieu. En un instant de recueillement et de commune affliction adressons-le à ceux dont l’unique mention suffit à évoquer tout ce qu’ils ont mis de leurs forces et de leur cœur au service de notre cause : M. Henry Fatio, ancien Président de la Société Académique, M. Raoul Gautier, professeur honoraire et ancien recteur de l’Université, M. Frédéric Reverdin, docteur honoris causa de l’Université, MM. Henri Darier, Edouard d’Espine, Constant Picot, Mme Adrien Lachenal, créatrice d’un fonds universitaire.
A ces personnalités regrettées, il nous faut ajouter celle de M. Max Barschall. S’il ne fut pas des nôtres officiellement, il le devint effectivement par la munificence avec laquelle il répondit à l’appel que nous avons lancé. A l’expression de la tristesse motivée par tant de départs douloureux s’allie celle de notre reconnaissance émue envers les familles de MM. Henri Darier, Henry Fatio, Raoul Gautier, Constant Picot et Frédéric Reverdin, qui ont tenu à rappeler par une dernière donation le souvenir de leurs parents défunts.

Nous nous sommes étendus assez longuement l’an dernier, Mesdames et Messieurs, sur les relations que nous entretenons avec les sociétés savantes, les associations d’étudiants et les institutions dont les buts sont proches du nôtre, pour qu’il nous soit permis de n’y pas revenir. Mais il importe que vous sachiez la cordialité et l’harmonie qui président à la collaboration toujours plus étroite et aux rapports fréquents que nous entretenons avec M. Henri Fehr, recteur de l’Université, comme avec MM. les doyens des facultés. Nous sommes également heureux de souligner ici l’intérêt bienveillant dont M. le Conseiller d’Etat Paul Lachenal, Président du Département de l’Instruction publique, fait preuve à notre égard.

Passant, maintenant, à l’énumération des décisions prises au cours de l’année statutaire, nous débuterons par celles concernant deux des organes par lesquels s’élabore partiellement notre tâche. Nous avons procédé à l’élection pour une période de trois ans, des membres que nous déléguons dans les commissions du fonds Emile Plantamour et du fonds auxiliaire de la Bibliothèque Publique et Universitaire. Dans la première, nous avons renouvelé le mandat de MM. Léon Collet, Georges Tiercy, Alphonse Bernoud et Adrien Picot, et nommé à la place vacante du regretté professeur Raoul Gautier, M. André Chaix.

Dans la seconde, MM. Louis Blondel, Edouard Chapuisat, Frédéric Gardy, Arnold Pictet, Emile Rivoire, ont été confirmés dans leurs fonctions, tandis que M. Alphonse Bernoud était appelé à remplacer M. Charles Sarasin qui désirait se retirer. Nous saisissons cette occasion de remercier ces messieurs du dévouement qu’ils mettent au service de ces branches spéciales de notre activité.

L’énumération des subsides, accordés en votre nom, serait escortée d’une bien grande monotonie, si leur attribution n’éveillait en vous une juste curiosité et n’augmentait encore le vif intérêt que vous portez aux disciplines qui en bénéficient. En voici la nomenclature.
Tout d’abord, la bourse Albert Gallatin. En participation avec l’Université et avec le fonds des anciens étudiants, elle a été remise à Miss Elizabeth Yard, étudiante américaine inscrite aux cours de la faculté des sciences économiques et sociales, en même temps qu’à ceux de l’Institut Universitaire des hautes études internationales.
En second lieu, recourant exclusivement à nos propres ressources, dans des proportions approximativement pareilles à celles de l’an dernier, nous avons prélevé sur nos différents fonds des subventions qui, après les consultations et enquêtes d’usage, ont été distribuées dans les facultés.

Pour la première fois, depuis l’accession du professeur Weiglé à la chaire de physique, le privilège nous revint de lui rendre service en complétant l’appareillage de son institut par un oscillographe. Cet instrument, attrayant pour les profanes comme tant d’autres en physique, projette sur un écran une courbe lumineuse correspondant aux vibrations d’un diaphragme. Par une utilisation alternée de Ia salle de cours au laboratoire, perfectionnant l’enseignement donné et servant aux recherches, il permet la démonstration et favorise l’étude des ondes mécaniques, acoustiques, électromagnétiques et lumineuses qu’il rend visibles. Il fournit vous le voyez, un complément indispensable aux investigations multiples qu’appellent, entre autres, les vibrations enregistrées par nos oreilles ou les oscillations électriques sur lesquelles se base la télégraphie sans fil.

A l’Ecole de Chimie, en tarissant une source de misères, nous avons apporté une amélioration qui présente quelque analogie avec celle dont nous venons de parler. Là, échappait aux regards des étudiants, non pas des phénomènes, mais simplement la vision d’une partie des clichés destinés à la diffusion de schémas et de formules que le champ trop restreint d’un appareil à projections mutilait de la manière la plus nuisible. Aussi est-ce avec une très grande satisfaction que nous avons doté les professeurs de cette école d’un épidiascope Leitz répondant d’une manière parfaite à tous les besoins de leur enseignement théorique.

Quittant les salles austères et vétustes des bâtiments universitaires, votre Comité a rendu visite in corpore à l’agreste installation du chemin Sautter où, depuis plus de quinze ans, M. Arnold Pictet, privat-docent, poursuit ses patients travaux. Plus de 20.000 cobayes ont vécu là, dont il a étudié la génétique, notant et publiant le résultat des observations qu’il fait sur des problèmes particuliers de transmission héréditaire. Sans notre secours, cette œuvre à laquelle il a consacré, seul jusqu’ici, des sommes considérables et que le Professeur Guyénot suit avec intérêt, risquait d’être interrompue. C’eût été déplorable à l’heure où celui qui la conduit, avec la même conscience qu’il met à remplir ses fonctions auprès de nous, en entrevoit le terme.

Vous n’avez pas oublié, Mesdames et Messieurs, qu’en plus de l’allocation régulière affectée aux besoins de l’Observatoire, nous votions, il y a trois ans, d’importants crédits au Professeur Tiercy pour la construction d’un poste astronomique au Jungfraujoch. Nous avons renouvelé ces prestations échelonnées. Aux difficultés ordinaires des travaux qu’elles ont permis d’effectuer sur le roc à une telle altitude, sont venus s’ajouter les obstacles créés par les intempéries de l’été delnier. En dépit d’un froid glacial et d’abondantes chutes de neige, le minage de la plateforme et de la cheminée verticale d’accès, le bétonnage de cette dernière, comme les murs du bâtiment, sont terminés. Le toit seul reste à faire, qui précèdera l’aménagement intérieur et l’installation des instruments. C’est donc à la défaveur du ciel qu’est dû ce retard imprévu. Il contrarie l’espoir que nous caressions d’entendre bientôt le Professeur Tiercy parler ici-même d’une œuvre dont il dirige énergiquement l’exécution et qui honore l’astronomie genevoise.

A la requête de la Faculté des Lettres et en surcroît de ce que nous faisons pour quelques-unes de ses chaires, nous avons placé sous l’égide de la Société Académique une série de conférences. Elles furent données au laboratoire de phonétique expérimentale par le Dr Peters, ancien professeur à l’Université de Dorpat, inventeur d’un procédé ingénieux pour l’étude des inflexions et des intonations du langage.

Des motifs identiques nous ont engagés à remettre, une dernière fois, une modeste allocation à Mlle Pauline Long, privat-docent, pour les frais occasionnés par son cours sur l’histoire de la musique. Enfin, c’est par l’annonce d’une bonne nouvelle que nous nous séparons de la Faculté des Lettres. Le Professeur Borgeaud, en recourant au fonds du livre de l’Université, nous a fait savoir que bientôt serait achevé le dernier volume de l’œuvre monumentale qu’il érige à Ia gloire de notre vieille Académie.

Les demandes de la Faculté des Sciences économiques et sociales et celles de la Faculté de droit sont circonscrites, comme auparavant, aux besoins de leurs bibliothèques. Celles-ci, grâce à notre concours, ont enrichi leurs rayons d’ouvrages nouveaux et de nombreuses publications dont les séries ont été complétées.

Les subventions à la Faculté de Médecine s’adressent, par contre, à des domaines divers.
Au Professeur René Kônig, nous avons donné deux instruments : un appareil d’anesthésie au protoxyde d’azote et oxygène qui offre de grands avantages en obstétrique et familiarise, du même coup, les étudiants; avec une méthode de narcose chez nous rarement utilisée, puis, une lampe à rayons ultra-violets pour le traitement des malades gravement infectés et difficilement transportables de la Maternité à l’Hôpital. Pour la troisième fois, nous avons facilité à M. le cloyen Eugène Bujard, l’acquisition des volumes parus du traité allemand d’anatomie microscopique de l’homme. Ayant appris, d’autre part, de quelle pénurie souffrait son laboratoire, nous lui avons offert sept microscopes Leitz à trois objectifs, du type moderne dont il souhaite voir un jour son Institut entièrement muni.

Sans pouvoir, jusqu’ici, combler les lacunes qui nuisent, de toutes parts, aux rendements didactiques et scientifiques, nous cherchons du moins l’occasion d’en diminuer le nombre. Nous l’avons saisie, cette année, en dotant l’Institut pathologique d’un assistant de parasitologie : le Dr Jean Baer.

Votre Comité, Mesdames et Messieurs, soucieux de ne pas créer de précédents qui l’entraîneraient hors de la sphère d’action délimitée par son règlement, se refuse à subventionner les congrès. Il lui arrive cependant de confirmer cette règle par une exception, dans les cas lui paraissant favoriser le rayonnement de notre haute Ecole. C’est en obéissant à une telle prévision qu’il s’est associé, par une très forte contribution, aux préparatifs scientifiques de la première conférence internationale de pathologie géographique.
Ouverte dans notre ville, il y a quelques semaines, sous les auspices du Département de l’Instruction publique et de l’Université, elle groupait d’éminents pathologistes, représentant une vingtaine de nations. Nul d’entre vous n’ignore quel fut son succès. Après en avoir dirigé magistralement les délibérations, le Professeur Askanazy eut l’honneur d’être appelé à présider la Société internationale qui en est issue.
Au cours de ces journées, nous avons été témoins de l’hommage unanime, rendu par ses pairs, à la valeur d’un professeur de notre Faculté de médecine et du vif éclat qui en rejaillit, non seulement sur celle-ci, mais sur l’Université tout entière.

L’intérêt que nous portons à la plus ancienne des facultés n’a pas besoin de stimulants, mais vous verrez, sans doute avec plaisir, dans l’accroissement réjouissant des étudiants inscrits en théologie, un nouveau gage donné à notre coopération. Comme par le passé, celle-ci concourt à l’enseignement de l’histoire religieuse sous toutes ses formes.

Nous arrivons, maintenant, Mesdames et Messieurs, à la revue de nos fonds spéciaux.

Tandis que le fonds Gustave Moynier payait l’abonnement à 71 revues de droit, d’histoire et de sciences sociales en complétant par l’achat de 61 volumes la série de quatre d’entre elles, le fonds auxiliaire de Ia Bibliothèque publique et universitaire affectait Ia plus forte partie de ses prestations à l’acquisition de divers ouvrages imprimés clans notre ville au XVme siècle et au début du XVIme siècle.
Marquons leur heureux retour : deux incunables bien conservés, faisant partie de la collection de Lavallaz à Sion, romans de chevalerie en français imprimés entre 1480 et 1490 dont l’un est orné de gravures ; le Manuale ad usum Lausannensum datant de 1500 ; enfin, deux feuillets d’épreuve d’un petit livret de liturgie catholique inconnu jusqu’ici, sorti des presses genevoises entre 1520 et 1530.

Le fonds Gillet voyages a, cette année encore, décerné des prix de 1000 francs aux lauréats sortis premiers des sections du Collège supérieur.
Voici les noms de ces élèves méritants : Pierre Alphonse, section classique; Jean-Paul Galland, section réale latine ; Charles Lenz, section réale moderne ; David Schmidt, section technique.
La plupart d’entre eux ont accompli leur voyage en parcourant les grands pays voisins et rédigé sur leurs pérégrinations d’intéressants rapports. Les médailles d’argent qui en sont la récompense ont été remises à ces collégiens frais émoulus, auxquels nous souhaitons de conserver clans la vie la place honorable qu’ils occupent actuellement. Le souvenir de Mme Gillet-Brez mérite qu’à deux ans d’intervalle, il nous soit permis non pas de nous répéter, mais de citer une fois encore les dernières lignes de l’un des écrits remis entre nos mains: « Et maintenant, il ne me reste plus qu’à rendre un hommage reconnaissant à la mémoire de Mme Gillet, dont la générosité m’a permis d’entreprendre ce merveilleux voyage, qui sera peut-être la plus belle étape de ma vie d’étudiant.

La garde de la bibliothèque fournie par les 56 relations de voyage que possède actuellement la Société Académique, a été confiée, depuis longtemps, au Professeur Henri Mercier, archiviste du Collège. Nous le remercions très sincèrement du soin qu’il apporte à l’accomplissement de ses fonctions. Ajoutons que, de son côté, le Dr Henri Audeoud a droit à notre très vive reconnaissance pour avoir, durant une période particulièrement absorbante, déchargé la présidence des démarches, entrevues et correspondance qu’occasionne la gestion du fonds dont nous venons de parler.

Le repos imposé au Professeur Robert Chodat par un mauvais état de santé dont chacun se félicite de le voir rétabli, a fait naître des doutes sur l’ouverture des cours donnés à la Linnaea. Les savants qui s’y rendent pour y poursuivre leurs études furent, de ce fait, moins nombreux que par le passé. L’activité scientifique personnelle des maîtres et de leurs collaborateurs ou élèves n’en fut pas moins remarquable.
Les Drs Otto Jaag, privat-docent à l’Ecole polytechnique fédérale et René Pictet, chimiste, en collaboration avec le Professeur Fernand Chodat, firent des recherches sur l’analyse physique et chimique des sols sans lesquelles on ne saurait connaître les influences déterminant les sociétés végétales. Ces recherches conduites sur un plan moderne, grâce à un appareillage nouveau, ouvrent la voie à une biologie alpine basée sur l’expérimentation. Notre jardin botanique s’apprête donc à être la station la plus appréciée sous ce rapport en Europe. D’autres travaux, que nous ne pouvons mentionner ici, attirent l’attention des savants par les méthodes qu’ils inaugurent et les applications qu’ils suggèrent. On ne saurait omettre d’ajouter que le Professeur Fernand Chodat, profitant de ses rares heures de loisir, et secondé par un jardinier compétent, a commencé la révision des étiquettes florales et procédé à de vastes remaniements. L’élargissement des chemins, la transformation des rocailles auxquelles Ia générosité de MM. Correvon et Beauverd vient ajouter l’ornement de 31 espèces nouvelles, rendra, vous le voyez, Mesdames et Messieurs, notre jardin alpin plus attrayant par sa luxuriance et la richesse de ses couleurs.

Ceux d’entre vous qui, l’an prochain, monteront le visiter, auront peut-être l’occasion, en revenant par le lac, de croiser un bateau à profil de vedette : l’Edouard Claparède II. Il succède, sous le même vocable, à celui qui, après vingt ans de service, sombrait, le 28 février 1929, en rade de Genève. Les assauts d’une bise soufflant en ouragan avaient porté un coup funeste à la coque cinquantenaire d’un yacht autrefois témoin de plaisirs mondains et, sur le tard, mis au service de la science. Le Professeur Emile André et le Dr Arnold Pictet furent chargés d’étudier les moyens de remédier à ce désastre. Ceux-ci se présentaient nombreux, – nous vous les épargnons en nous bornant à remercier nos collègues du zèle qu’ils mirent et de la compétence dont ils firent preuve en s’arrêtant à la solution la plus satisfaisante. La coque neuve, construite par MM. Ressert et Engeli, reçut dans sa cale l’excellent moteur 12 chevaux sauvé du naufrage, tandis que sur son pont les appareils scientifiques retrouvèrent leur place.

Avant de mettre à la disposition de la Faculté des sciences ce bâtiment moderne, la Société Académique se devait d’en marquer l’inauguration. A cette cérémonie, à la fois officielle et intime, avaient été convies les descendants du savant dont il perpétue le nom, les autorités universitaires, enfin tous ceux qui, à quelque titre, s’intéressent à la station de zoologie lacustre de l’Université. Le 5 de ce mois-ci, par un bel après-midi d’automne, la nouvelle embarcation, suivie d’un canot à moteur chargé d’invités, quittait la rade et mettait le cap sur Bellerive. Au cours de cette traversée, la démonstration des engins de pêche et de sondage fut faite par l’équipage, sous la direction du Professeur André. Pendant l’escale, agrémentée d’une collation, eut lieu le baptême. De brèves et solennelles paroles évoquèrent l’œuvre accomplie sur l’ancien bateau : études biologiques de son premier directeur, le grand zoologiste Emile Yung et de son successeur le Professeur André ; explorations de MM. Le Royer, Blondel, et du Professeur Eugène Pittard, sur Ia topographie des palafittes ; travaux des professeurs Collet et Paréjas sur les dépôts sédimentaires. Puis, le souvenir d’Edouard Claparède ayant été commémoré par la lecture de quelques-uns de ses manuscrits, le souhait fut formé que les études scientifiques qui se feront à bord de ce second bateau grandissent et se développent comme devant sa proue s’étend et s’élargit la nappe bleue de notre lac.

Mesdames et Messieurs, grâce à l’élan magnifique avec lequel le peuple genevois et les amis de sa haute Ecole ont répondu à la voix de la Société Académique, le fonds « pour l’Université de Genève » a terminé la première phase de sa réalisation. Il est agrégé aujourd’hui à l’ensemble des fonds qu’elle possède. Bien que la souscription publique soit dès maintenant close, il s’offre encore à la générosité de chacun et reste ouvert à tous les dons. Ceux qui sont à votre tête s’efforçant d’accroître, sans relâche, son développement, poursuivront l’achèvement du programme qu’ils se sont tracé. Au point où nous en sommes, il serait oiseux de refaire l’histoire de la tâche dont notre Société a pris l’initiative sur la proposition de notre cher et dévoué collègue M. Gustave Hentsch. En des temps difficiles et par une réponse que nous croyons unique dans ses annales, Genève a proclamé qu’elle en avait mesuré la grandeur et compris la nécessité.

Sans revenir en arrière, il sied du moins que soit repris l’enchaînement des actes qui, depuis notre dernier rapport, marquèrent le splendide épanouissement de ce mouvement populaire. Si les membres de votre Comité s’étaient acquis, par de simples démarches, l’immédiat et généreux appui du petit groupe dont Le concours leur apportait plus de 300.000 francs, ils n’eussent pu, seuls, mener à bien la complexe besogne administrative qui devait précéder et suivre l’ouverture de la souscription publique. Ils trouvèrent, pour les seconder, un homme actif et avisé au dévouement duquel ils sont heureux de rendre hommage ; M. Henri Cornu. Après avoir établi l’état nominatif des 25.000 personnes ou institutions que devait atteindre notre envoi postal, il fut chargé du soin de recueillir les fonds épars et de dresser en vue de sa publication fréquente, la liste de ceux qui les avaient souscrits. De plus, toujours à l’affût des occasions qui pouvaient surgir d’intensifier la propagande instituée, il mérite notre éloge pour cette précieuse collaboration accessoire. Tout cela, vous le sentez, impliqua pour nous, comme pour lui, un labeur incessant qui n’alla point sans que quelques impairs fussent commis. Que ceux qui en furent les victimes veuillent bien nous les pardonner.

Aux dons individuels des habitants de notre ville et des amis étrangers, dont le souvenir mériterait d’être gravé dans une plaquette commémorative, sont venues se joindre des contributions collectives.

En leur adressant en bloc l’expression de la plus vive gratitude, nous devons nous borner à les énumérer brièvement : concours prépondérant, accordé libéralement par la presse et rehaussé d’articles dus au talent comme au patriotisme de MM. Edouard Chapuisat, Eugène Fabre, Edgar Junod, René Leyvraz et Louis Gielly ; propagande auxiliaire de la Faculté des sciences, de la Faculté de médecine et de l’Institut dentaire, organisée par les Professeurs Briner et Bujard qui répandirent au loin plus de 1000 exemplaires d’un appel spécial adressé à d’anciens étudiants ; enfin, représentations théâtrales, conférences, bals, par lesquels ceux qui en firent les frais, embellirent tour à tour d’une touche artistique, littéraire ou mondaine, la marche de la souscription.

Sans apporter de détails statistiques sur la manière dont celle-ci s’est déroulée, disons que, en chiffres ronds, Genève mobilisa en sa faveur 712.815 francs, nos confédérés 12.816 francs, et nos amis à l’étranger 12.3§11fr. Le total arrêté au 30 septembre, terme de notre année statutaire, s’élève exactement à 738.060 francs 50 centimes, auxquels s’ajoutent des souscriptions nouvelles que l’on va bientôt publier.

Dans le succès de ce premier effort, dont nous ressentons tous une joie profonde, s’affirme la volonté du peuple genevois de maintenir son originale et fière individualité et ses nobles fonctions internationales par la rénovation de son Académie.

Les modalités de cette rénovation doivent être sérieusement préparées. Nous n’avons pas attendu la fin de la souscription pour nous en occuper. Dès le mois de janvier, nous demandions à M. le recteur d’envisager la création dans le sein de l’Université d’une commission administrative chargée d’assembler les renseignements utiles à l’établissement méthodique d’un plan de développement. Le projet en est étudié par le Bureau du Sénat. En de fréquents échanges de vues avec ses délégués, nous examinons, d’autre part, la solution de certains problèmes immédiats, tout en ébauchant le vaste programme qui les englobe. Nous sommes donc à pied d’œuvre. Prêts à collaborer de la manière la plus étroite avec les représentants de l’Université, nous serons heureux d’apporter à l’Etat un concours loyal, sans toutefois nous substituer à lui dans les tâches qui lui sont dévolues. Mais, avant d’engager cette action de longue haleine, les principes qui seront à sa base, comme les règles déterminant l’attribution de capitaux ou de revenus, doivent être fixés. Ainsi garantirons-nous à ceux qui nous ont confié leur argent et leurs pleins-pouvoirs en vue d’une œuvre grandiose que celle-ci s’exécutera selon leur volonté.

Mesdames et Messieurs,

A l’ampleur inaccoutumée de ce rapport, il n’est point nécessaire d’ajouter des considérations. Le grand événement qui marque de son empreinte la quarante-troisième année d’existence de la Société Académique éveille dans nos cœurs des sentiments qui s’offenseraient d’être exaltés. Paraphrasant, d’heureuse façon, la maxime de Guillaume le Taciturne, qu’il soit donné à la Société Académique « de réussir en persévérant après avoir espéré en entreprenant » pour le bien de Genève et de son Université.