Rapport annuel de la présidence 1933-1934

Alphonse BERNOUD, président
23 novembre 1934

 

 Mesdames et Messieurs,

En y comprenant les policliniques, l’Institut dentaire et l’Observatoire, l’Université de Genève compte environ 9o chaires, vingt laboratoires avec une soixantaine d’assistants et de préparateurs. Elle distribue la science et le savoir à plus d’un millier d’étudiants et émarge au budget de l’Etat pour une somme un peu supérieure au million et demi.
Quelle peut donc être l’utilité de la Société Académique en face d’une institution aussi considérable et dont les moyens financiers sont appréciables ?

Ce rapport a justement pour but de vous montrer que notre société contribue efficacement et de multiples façons au développement de l’enseignement et, ce disant, nous n’avons pas l’intention d’en tirer la moindre fierté mais bien de reporter sur vous, dont la générosité facilite notre mission, tout le mérite de cette activité au service de la Haute Ecole.
Durant cet exercice, votre comité a été saisi de demandes les plus variées : allocations à des cours, bourses pour étudiants de valeur’, acquisition d’instruments, installation de bibliothèques, achats de livres et de périodiques, transformation de laboratoires, subventions pour voyages et recherches, etc., etc.

Dans un instant, notre trésorier vous soumettra un rapport détaillé vous indiquant l’ensemble de nos décisions. Ce serait exagéré que de prétendre avoir pu satisfaire à toutes les demandes qui nous ont été adressées. Souvent, trop souvent, nous avons dû en écarter, bien qu’elles correspondissent à des besoins réels, mais en raison de l’afflux d’autres affectations que nous avons jugées plus utiles à l’enseignement.

Notre fortune est répartie en quinze fonds différents dont l’emploi est déterminé soit par la volonté des testateurs, soit par celle des personnes qui les ont constitués. Nous respectons scrupuleusement les termes et l’esprit des contrats tacites ou signés auxquels nous avons souscrit ; de ce fait, certaines attributions sont facilitées tant qu’il y a de l’argent disponible, d’autres, en revanche, sont repoussées en raison de l’épuisement des crédits.

Le fonds pour l’Université constitué par la magnifique souscription publique à laquelle vous avez prêté un concours si large, nous a permis d’intervenir avec efficacité dans nombre d’occasions où, en temps ordinaire, nous aurions été obligés d’opposer un refus décevant. Cependant, ne craignons pas de le répéter, bien que nous disposions de sommes importantes, nous avons dans chaque cas examiné sévèrement les demandes présentées, nous les avons soumises à des commissions compétentes et nous n’avons pris nos décisions qu’après nous être assurés de l’objectivité complète de ces demandes. Ainsi, espérons-nous avoir interprété au mieux des intérêts universitaires le splendide geste de générosité et de dévouement du peuple de Genève lorsqu’il nous a remis un aussi beau don.

Pour exprimer notre reconnaissance aux souscripteurs et leur laisser un souvenir durable, nous leur avons adressé au commencement de l’année une plaquette illustrée contenant divers articles concernant l’Université et les réalisations que nous avions déjà pu exécuter. La liste complète des donateurs rangés dans l’ordre alphabétique complétait cet opuscule.
L’an passé, à pareille époque, nous vous avions entretenus des grands projets préparés par nos architectes MM. Peyrot et Bourrit.

Il s’agissait alors d’un bâtiment imposant construit à frais communs par l’Etat et la Ville prévu comme annexe à la Bibliothèque publique, afin de dégager l’aile affectée aux livres, pour la transformer en locaux universitaires. Dans cette opération notre société intervenait par un don de 300.000 francs destiné à l’aménagement des nouveaux locaux universitaires.
Malheureusement, la crise a stérilisé nos bonnes intentions.
L’Etat nous a informés que sa situation financière embarrassée ne l’autorisait pas à participer aux dépenses prévues. La Ville, bien que mieux placée, estime qu’elle ne peut pas non plus, dans les circonstances actuelles, s’engager dans des travaux de grande envergure.
Nous avons dû modifier nos dispositions. Votre comité, après avoir murement pesé les conjonctures, après avoir admis que les intérêts intellectuels de l’Etat, propriétaire et administrateur de l’Université et ceux de la Ville, gérante de la Bibliothèque publique.

devaient être considérés comme un complexe indivisible, votre comité a décidé de ne plus faire de subtile distinction entre ces deux autorités et administrations et de mettre à leur commune disposition le don conditionnel qu’il avait prévu pour l’aménagement général des locaux universitaires.

Un nouveau projet a été établi et va être très prochainement soumis à l’attention et à l’examen des deux autorités.
Ce projet prévoit simplement un vaste magasin de livres pouvant abriter quelque 600.000 volumes, magasin qui serait élevé à proximité immédiate de la bibliothèque actuelle de telle façon que les constructions futures dépendant de la bibliothèque ne soient en rien entravées et laissant ainsi toutes facilités à un agrandissement ultérieur de cette institution.
Le nouveau magasin de livres réunirait toutes les collections, livres, périodiques, de la bibliothèque actuelle qui, libérée de cet encombrement, pourrait alors être aménagée en bureaux à l’usage de ses services administratifs et surtout en locaux universitaires qui décongestionneraient l’Université et lui faciliteraient le regroupement de ses auditoires.

Cette solution, quoique moins architecturale que le projet primitif, répond exactement aux besoins actuels tout en prévoyant les nécessités futures ; elle aère la bibliothèque en dégageant ses salles, elle offre à l’Université engorgée l’occasion immédiate de s’agrandir à proximité de son bâtiment central.
Il semble donc que l’on ait réussi à trouver un dénouement convenable autant aux complications administratives qu’aux difficultés matérielles et qu’ainsi il sera possible de donner satisfaction à tous les intéressés sans provoquer des dépenses que chacun s’accorde à trouver irréalisables en ce moment.

Une autre construction dont nous avons eu à nous occuper concerne l’Observatoire de la Jungfrau qui doit devenir une annexe, annexe un peu haut perchée, de l’Observatoire de Genève. Son directeur M. le professeur Tiercy nous tient régulièrement au courant des travaux entrepris ; ne nous cache pas les difficultés d’un travail opéré par une température polaire et nous fait espérer, qu’en dépit de Ia résistance des éléments météorologiques qu’il enregistre mais qu’il ne commande pas, il pourra terminer son œuvre dans l’été de l’année prochaine.

Le jardin alpin de La Linnæa a été cruellement éprouvé. Nous avons eu le grand chagrin de perdre son directeur M. le professeur Robert Chodat, perte qu’ont ressentie non seulement l’Université mais tous ceux qui avaient eu l’occasion d’approcher ce savant éminent, grand travailleur, doué d’un rare talent d’exposition, chercheur obstiné et heureux, homme d’énergie et de bons conseils. M. le professeur Chodat fut de tout temps un ami fidèle de notre société et son souvenir demeurera parmi nous aussi vif et réconfortant que jamais.
Nous avons chargé son fils, M. le professeur Fernand Chodat, de recueillir la succession difficile de son père et nous ne doutons pas, qu’élevé dans un si bel exemple, le nouveau professeur de botanique satisfera toutes les espérances que nous plaçons en lui.

Peu après le départ de son directeur, La Linnæa perdit aussi son jardinier, M. Charles Dorsaz. Nous avons nommé à sa place son fils M. Edouard Dorsaz qui continuera l’activité de son prédécesseur.

De sa faux la mort a tracé un large cercle parmi nos membres. Nous avons eu le grand chagrin de perdre encore MM. les professeurs E. Kummer et E. Montet, puis M. le Dr Kresteff, Mme Auguste De Loriol et Mme Adrien Naville, M. Adolphe Moynier, M. le Dr Gustave Turrettini et l’un de nos membres à vie M. Charles Sarasin. Ces départs d’amis et de bienfaiteurs de notre société nous ont été très sensibles et nous prions les familles de ces très regrettés disparus de vouloir bien accepter ici le témoignage de notre vive et respectueuse sympathie.
Ces vides béants n’ont été que partiellement comblés. Nous avons eu cependant la satisfaction de recevoir parmi nos membres à vie M. Jean Cellerier, M. Marcel Wiegandt et MM. les professeurs Rolin Wavre et Kurt Meyer.
Comme membres ordinaires nouveaux, nous saluons aussi l’admission de MM. les professeurs Marcel Gysin, Louis Hamburger, W. A. Liebeskind, Edmond Rossier, Albert Thibaudet et Paul Wenger.
A tous nous exprimons notre reconnaissance de leur geste de solidarité et nous leur souhaitons une chaleureuse bienvenue parmi nous.

Le comité de la Société Académique s’est associé au jubilé de M. le professeur Charles Borgeaud, célébré il y a quelques jours. Nous avons contribué à la publication du 3me tome de l’Histoire de l’Université, monument magnifique retraçant la vie de l’institution à laquelle nous sommes si attachés ; au savant jubilaire, qui fut à la fois un fondateur de notre société et en est actuellement le président d’honneur, nous avons exprimé notre tribut de reconnaissance et d’admiration en lui remettant un diplôme enluminé établissant à des titres divers, les sentiments que nous éprouvons à son égard.

Trois prix Gillet ont été décernés aux lauréats de la première maturité du Collège. Les bénéficiaires de cette distinction sont MM. Pierre Richard, Armand Keller et Henri Poisat. Nous souhaitons à ces jeunes gens une heureuse carrière dont les débuts sont déjà si riches en promesses.

Nous avons eu le regret d’enregistrer la démission d’un de nos membres les plus utiles. M.  Victor Gautier, très absorbé par les exigences de sa profession, a renoncé à faire partie de notre comité. Nous ne voulons pas le laisser partir sans lui dire toute notre gratitude et sans le remercier des excellents conseils qu’il nous a prodigués. En revanche, nous sommes heureux d’avoir obtenu l’adhésion de M. Bernard Naef, un ami précieux de notre société et que vous nous adjoindrez dans quelques instants en nommant avec lui MM. Charles Gautier, Louis Blondel, Edouard Claparède, Frédéric Gardy, Robert Martin et William Rappard dont le mandat est expiré.

Permettez-moi aussi d’adresser nos meilleurs remerciements aux deux colonnes de notre comité, M. Charles Gautier qui administre notre fortune et dirige nos modestes galions à travers les dangereux récifs que la fatalité et le malheur des temps sèment sur notre route ; puis à notre dévoué secrétaire, M. Arnold Pictet, toujours d’une conscience d’historiographe

et d’une précision exemplaire. A eux, à nos autres collaborateurs, nous tenons, en quittant ce fauteuil présidentiel, à dire combien leurs conseils et leur appui nous ont été utiles et quelle reconnaissance nous leur en conservons.

Et maintenant, Mesdames et Messieurs, comment nous séparer sans dire quelques mots de la situation tragique que traverse cette semaine la république de Genève. Parodiant le grand orateur sacré, nous pourrions nous écrier : nos finances se meurent, nos finances sont mortes. Ces mots funèbres, nous refusons de les prononcer. Si souvent, dans l’histoire de notre cité, l’on a assisté à des redressements inattendus, religieux, politiques, financiers, que nous ne doutons pas que, cette fois encore, Genève saura dominer les circonstances et rétablir énergiquement son équilibre financier.

En tout cas, pour ce qui concerne l’Université dont vous nous avez remis la sauvegarde, si dures que soient les restrictions que l’on nous fait prévoir, nous nous efforcerons d’en atténuer les effets nuisibles et nous interviendrons aussi souvent que cela sera nécessaire pour conserver à l’Université ses moyens de travail et ses ressources d’enseignement. A cet effet, le comité de la Société Académique compte sur votre appui, sur votre générosité, sur votre concours, modeste ou somptueux, occasionnel ou permanent, anonyme ou publicitaire. L’Université est menacée, l’Université est en danger; la Société Académique doit être son rempart.